Portrait

Pierre Péan, un journaliste-enquêteur qui explorait la part d'ombre des puissants

  • Publié le 26 juillet 2019 à 12:11
  • Actualisé le 26 juillet 2019 à 12:35

Le passé trouble de Mitterrand durant l'Occupation, les fameux diamants de Bokassa, la "face cachée" du Monde... : Pierre Péan, disparu jeudi à 81 ans, était un journaliste d'investigation chevronné célèbre pour ses enquêtes fouillées, dans lesquelles il mettait en lumière la part d'ombre des puissants et de l'histoire de France.

Pierre Péan est décédé "des suites d'une maladie" à l'hôpital d'Argenteuil, dans le Val-d'Oise, a précisé vendredi à l'AFP son fils, l'écrivain Jean Grégor, avec qui il avait rédigé son dernier livre, "Comme ils vivaient", une enquête sur le génocide méconnu des Juifs de Lituanie, parue l'an dernier au Seuil. "Pierre Péan, le grand journaliste d'investigation, est mort jeudi soir 25 juillet à l'âge de 81 ans", avait rapporté jeudi soir L'Obs sur son site internet, saluant "l'un des plus grands journalistes d'enquête français".

Christophe Nick, auteur avec Pierre Péan d'une enquête sur TF1 en 1997, avait également annoncé ce décès sur sa page Facebook: "C'est terrible. Le Patron, Pierre Péan, mon ami, est parti ce soir." Pierre Péan s'est fait connaître avec ses enquêtes fouillées au long cours, qu'il publiait à raison d'un livre tous les un ou deux ans.

Son coup de maître, il le réalise en 1994 avec "Une jeunesse française : François Mitterrand 1934-1947", dans lequel le président socialiste s'explique pour la première fois sur son appartenance à la droite pétainiste qui allait engager la France dans la collaboration avec l'occupant nazi, avant son action dans la Résistance.

- Journaliste du temps long -

Un ouvrage qui résumait bien sa démarche : Pierre Péan, qui récusait le qualificatif de journaliste d'investigation, lui reprochant un côté inquisitorial, s'attachait à montrer toute la complexité des sujets et des personnes sur lesquels il travaillait. Et il revendiquait d'enquêter librement, de sa propre initiative, sans se laisser dicter ses thèmes par des procédures judiciaires ou des modes médiatiques.

N'ayant jamais peur des polémiques, il enquêtera aussi sur Jacques Chirac, Bernard Kouchner ou Jean-Marie Le Pen. "C'était quelqu'un de simple, mais qui n'hésitait pas à s'attaquer à de grosses machines", et cela lui avait valu "une extraordinaire sympathie de la part du public", a confié à l'AFP Jean Grégor.

Fils d'un coiffeur de l'ouest de la France, Pierre Péan avait fait des études de droit et de sciences politiques. Après avoir travaillé comme coopérant dans des cabinets ministériels au Gabon, une expérience qui éveille son intérêt pour l'Afrique, il se lance dans le journalisme, passant par l'AFP puis l'hebdomadaire L'Express.

En 1979, il signe sa première grande affaire dans Le Canard enchaîné. Il s'agit de diamants que l'empereur Bokassa de Centrafrique aurait offerts au président français Valéry Giscard d'Estaing. Le scandale aura un grand retentissement à deux ans de l'élection présidentielle.

En 1983, ce tiers-mondiste dans l'âme publie "Affaires africaines", sur les relations entre la France et le Gabon, son premier succès en librairie. Il reviendra sur les sujets africains avec le génocide rwandais (dans "Noires fureurs, blancs menteurs" en 2005), où certains de ses propos sur les Tutsis feront polémique.

"Ma méthode est exclusivement fondée sur le temps, expliquait celui qui s'est aussi intéressé aux grands médias avec son livre "TF1, un pouvoir" (avec Christophe Nick) et son enquête "La Face cachée du Monde" (2003, avec Philippe Cohen) qui met à mal la réputation du quotidien français le plus respecté.

"C'était un géant, c'était le temps long contre l'immédiateté, comprendre mais pas juger. Sa mort est pour tous les journalistes l'occasion de se regarder en face", a confié à l'AFP Christophe Nick.

Pierre Péan "aura marqué l'histoire de la presse et de l'édition française avec la puissance de sa curiosité et de ses convictions", lui a rendu hommage Christophe Deloire, secrétaire général de l'association Reporters sans frontières.

AFP

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