Venezuela

Caracas, la "vitrine", fait enrager Maracaibo, la "martyre"

  • Publié le 28 juillet 2019 à 15:45
  • Actualisé le 28 juillet 2019 à 16:09

La vidéo est banale: un homme fait le plein à Caracas en cinq minutes. Mais quand on lui montre la scène sur écran portable, Gendry "enrage". Habitant de Maracaibo, il a dû attendre trois jours pour se procurer de l'essence. Au Venezuela, la crise n'est pas la même partout.

"Je suis indigné. Nous vivons dans le même pays, mais la situation est totalement différente qu'on vive dans tel endroit ou dans tel autre", s'échauffe Gendry Parra, 44 ans.

Et il égrène: chez lui à Maracaibo, la deuxième ville du Venezuela avec 3 millions d'habitants, l'eau courante et le gaz n'arrivent plus, les coupures de courant durent jusqu'à 20 heures par jour et pour faire le plein il faut attendre qu'un éventuel camion-citerne vienne remplir les cuves des stations-service.

L'homme de Caracas qui remplit son réservoir dans la vidéo que l'AFP montre à Gendry Parra s'appelle Alberto Arriechi. Et il a bien conscience que le geste anodin qu'il accomplit à la pompe est hors de portée de ses compatriotes de province.

Ils sont durement touchés par la pénurie d'essence qui frappe le Venezuela depuis avril, causée par la dégringolade de la production et le manque de liquidités.

Une fois le réservoir rempli, Alberto, qui "remercie Dieu" d'habiter Caracas, n'a qu'à payer l'essence à la pompe la moins chère du monde: au Venezuela, un dollar permettrait en théorie d'acheter... 855 millions de litres d'essence.

Officiellement, à Maracaibo aussi les prix de l'essence sont ridiculement bas. Mais pour éviter d'avoir à faire la queue, nombreux sont ceux qui préfèrent débourser 10 dollars pour acheter un bidon de 20 litres au marché noir.

Pas étonnant dès lors que 8 habitants de Maracaibo sur 10 aient une opinion négative des services de distribution d'eau et d'électricité, selon une enquête de l'Observatoire des services publics, un institut privé.

Le contraste avec Caracas et ses six millions d'habitants est saisissant: trois "Caraqueños" sur quatre se disent, eux, satisfaits du réseau de distribution d'énergie.

Preuve supplémentaire de cette disparité: la nouvelle panne d'électricité qui a plongé le Venezuela dans le noir lundi soir a duré 8 heures à Caracas, mais jusqu'à 24 heures dans certaines régions.

- Le pétrole, richesse passée -

Dans la chaleur de sa bicoque des bords du Lac de Maracaibo, Johannis Semprun détaille ses maux: six enfants, un mari handicapé, "pas d'eau", de l'électricité "parfois" et pas de quoi nourrir son monde.

"L'eau courante? Ah!", fait Johannis, un peu surprise qu'on lui demande. Comme une évidence, elle répond: "bah, depuis novembre elle n'arrive plus chez moi".

Maracaibo, et l'Etat de Zulia (ouest) en général, sont dans un tel état de délabrement économique et social que ses habitants disent vivre un "martyre".
"Tout a empiré, avant ça n'était pas comme ça", soupire Johannis en souvenir de la gloire passée de Maracaibo dont le boom date du début du siècle dernier, de cette époque où a jailli le pétrole du lac, brut qui a rendu la ville très riche.

Mais aujourd'hui Maracaibo est frappée de plein fouet par la crise du secteur pétrolier vénézuélien. De 3,2 millions de barils par jour il y a dix ans, la production a chuté à moins d'un million. En cause, selon l'opposition au président Nicolas Maduro et les syndicats: la corruption et le manque d'entretien des infrastructures, à quoi il faut ajouter un embargo américain sur le brut vénézuélien.

"Maracaibo vivait de l'activité pétrolière et des activités de services qu'elle générait", explique le politologue Luis Vicente Leon. "Mais quand l'activité pétrolière s'effondre, qui est la première à être affectée? Maracaibo".

-15 dollars pour 250 g de café-

Le statut de privilégiée de Caracas plonge ses racines dans le centralisme vénézuélien accentué aujourd'hui par un "parti pris" du gouvernement, explique Andres Canizalez, expert en communication politique.

"Il y a cette idée que si Caracas est touchée par une explosion sociale, elle pourrait s'étendre à tout le pays", dit-il. "Cela conforte l'idée que si à Caracas on vit relativement bien, s'il n'y a pas de rébellion, le reste du pays aussi fonctionnera de façon satisfaisante". La capitale remplit aussi cette fonction de "vitrine" pour faire illusion face aux étrangers et aux diplomates qui y vivent, résume Andres Canizalez.

Dans les faits, les supermarchés de Caracas sont relativement bien fournis et les files d'attente y sont rares. Et, surtout, des "bodegones" proposent des produits importés, en dollars.

Mais là, la différence entre Vénézuéliens n'est pas géographique, elle est sociale.

Peu d'habitants de la capitale peuvent en effet s'offrir des fromages français ou des vins chiliens avec leurs salaires et l'hyperinflation qui devrait atteindre les 10.000.000% cette année, selon le FMI.

"Ca me met en colère!", tonne Josefina Galindo, une femme de ménage de 49 ans, en découvrant le prix (15 dollars) affiché dans un "bodegon" pour 250 g de café. Son salaire mensuel équivaut à 9 dollars et elle a l'impression de travailler "gratuitement".

AFP

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