Contre la corruption

Irak: manifestations et routes coupées, la classe politique dans l'impasse

  • Publié le 24 décembre 2019 à 21:59
  • Actualisé le 25 décembre 2019 à 07:23

Les manifestants durcissent leur mobilisation mardi en Irak face à des autorités paralysées, entre pression des partis pro-Iran et incapacité à renouveler le sérail politique dans l'un des pays les plus corrompus au monde.

De nouveau, la place Tahrir de Bagdad s'est remplie de manifestants et de banderoles où s'étalent de grands portraits des candidats au poste de Premier ministre barrés d'une croix rouge. De nouveau également, les principales routes et avenues du sud du pays sont bloquées, de même que les écoles, universités et administrations.

La désobéissance civile, qui avait faibli ces dernières semaines sous les coups de butoir des assassinats, attentats et autres enlèvements de militants, repart de plus belle.

Sur Tahrir et les autres points de rassemblements dans le sud, les manifestants avaient érigé en cette journée de Noël --sans célébrations pour les chrétiens d'Irak "par respect" pour les près de 460 morts et 25.000 blessés de la révolte-- des sapins commémorant les "martyrs" de la "révolution d'octobre". Pour les manifestants, c'est tout le système installé en 2003 par les Américains pour remplacer Saddam Hussein et désormais noyauté par les Iraniens qui doit être mis à bas.

Le gouvernement a démissionné il y a maintenant près d'un mois, mais ils veulent toujours en finir avec le système de répartition des postes selon les ethnies et les confessions, avec l'influence de l'Iran qui n'a cessé de grandir et surtout avec la corruption qui, en 16 ans, a englouti plus de la moitié des revenus du pétrole et l'équivalent de deux fois le PIB d'un des pays les plus riches en or noir du monde.

Face à eux, la classe politique tente de s'accorder sur le nom d'un nouveau Premier ministre. Incapable de trouver un consensus --ou même une majorité parlementaire pour mener le changement-- elle joue désormais la montre.

Elle a dépassé le délai constitutionnel mais continue de négocier les noms de candidats, tous issus du sérail et donc refusés par principe par la rue.
Paralysés pendant plusieurs jours par l'intransigeance des pro-Iran, les politiciens reprennent mardi de nouvelles négociations. Le parti sunnite du chef du Parlement Mohammed al-Halboussi a annoncé avoir lâché le ministre démissionnaire de l'Enseignement supérieur, Qoussaï al-Souheil, appelant ses alliés pro-Iran à proposer un nouveau nom.

Aussitôt, alors qu'a émergé celui d'Assaad al-Aïdani, gouverneur de Bassora issu d'un parti pro-Iran, sa province pétrolière du sud s'est soulevée. Des manifestants ont bloqué les routes menant aux ports, notamment d'Oum Qasr, vital pour les importations, a constaté un correspondant de l'AFP.

- "Cent ans s'il le faut" -

"Toutes les heures, les partis nous sortent un nouveau candidat. Mais nous, on veut un indépendant", s'emporte un jeune manifestant devant des pneus en feu sur une des routes de la province de Bassora. "On est prêts à faire durer la grève générale un jour, deux jours, trois jours... même cent ans s'il le faut", poursuit-il, le visage emmitouflé dans un foulard pour ne pas respirer l'épais nuage de fumée noire.

Toujours dans le sud, les routes sont coupées à Nassiriya, Diwaniya, al-Hilla, Kout et dans la ville sainte chiite de Najaf, tandis que des piquets de grève empêchent les fonctionnaires de rejoindre leurs postes et bloquent les portes des écoles. Car après "tant de sacrifices" --près de 460 morts et 25.000 blessés dans la répression par les forces de l'ordre--, les manifestants le répètent à l'envi, ils ne rentreront pas chez eux avant que "tous les objectifs soient atteints".

Ils ne veulent rien de moins qu'une nouvelle Constitution, une nouvelle loi électorale et le renouvellement complet d'une classe politique qu'ils accusent d'être "corrompue", "incompétente" et de refuser de céder la place à la jeunesse --majoritaire dans le pays mais aussi deux fois plus touchée par le chômage. Mardi, le Parlement a voté la réforme du mode de scrutin, qui sera désormais uninominal et non plus un complexe système mêlant proportionnelle et scrutin de listes.

Les circonscriptions seront également redessinées, mais le Parlement n'a pas jusqu'ici précisé comment, alors que de nombreux analystes mettent en garde contre le fait qu'un tel redécoupage privilégie les grands partis et les notables locaux et tribaux plutôt que les indépendants et les technocrates que les manifestants veulent voir accéder au pouvoir.

AFP

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