Pour partager leur peine

"Il nous reste les mots": dialogue entre les pères d'un tueur et d'une victime du Bataclan

  • Publié le 16 janvier 2020 à 17:26
  • Actualisé le 16 janvier 2020 à 17:55

Azdyne Amimour et Georges Salines ont tous deux perdu un enfant le 13 novembre 2015 à Paris; l'un est le père d'un tueur, l'autre d'une victime. Ils ont pourtant voulu dialoguer et publient aujourd'hui le fruit de leurs échanges: "Il nous reste les mots".

"Je voulais partager cette peine avec lui, lui dire que nous ne sommes pas une famille de terroristes, et que je condamne avec la plus grande fermeté tout ce qui s'est passé", dit à l'AFP le père de Samy Amimour, un des membres du commando du Bataclan.

A l'hiver 2017, Azdyne Amimour écrit à Georges Salines pour le rencontrer. Le père de Lola Salines, alors président de l'association de victimes "13onze15: Fraternité et Vérité" est "perplexe" mais aussi "curieux" de l'entendre. Sa fille éditrice, qui était au Bataclan avec une amie, avait 28 ans, comme Samy Amimour.

Plus d'un an après leur rencontre, les deux pères se lancent dans un projet de livre. S'engage alors un échange entre deux hommes qui se racontent leur vie: leur jeunesse à Sète (Hérault) et Annaba (Algérie), leurs voyages, les films regardés en famille, les livres qui les ont marqués ...

A Drancy (Seine-Saint-Denis) chez les Amimour, Samy, cadet de la fratrie, est un adolescent influençable et taiseux. Ses parents s'inquiètent souvent pour lui.

Dans la famille, l'islam n'est pas central, le père se définit comme "croyant mais pas pratiquant". Pour lui, Samy a "déraillé"; il a voulu partir en Afghanistan et au Yémen, pour finir par rejoindre le groupe État islamique en Syrie en septembre 2013.

Chez les Salines, on a vogué au gré des postes du père, médecin de santé publique, passé par la Martinique et l'Égypte. Lola est la benjamine d'un trio très "complice". Son père loue son sens de l'humour, la décrit comme chaleureuse.

- Des regrets et des questions -

Les pères s'épanchent sur leurs regrets: si Lola avait accepté un poste au Québec... Si Samy était rentré avec son père quand celui-ci était parti le chercher en Syrie...

Dans leur livre qui dresse le portrait de deux familles françaises, les deux pères veulent se trouver des points communs: leur affection pour l'Égypte, ou des sympathies communistes. Une démarche "thérapeutique", pour Azdyne Amimour.

Pour Georges Salines, ce livre publié la semaine dernière s'inscrit dans la continuité de son livre paru en 2016, "L?indicible de A à Z", et dans son action de prévention de la radicalisation entamée au lendemain des attentats.

Surgit inévitablement la question du pardon. Quand le père de Samy demande "pardon pour son fils", le père de Lola balaie la question: M. Amimour "n'a pas de pardon à demander, il n'est coupable de rien, et moi je ne peux pas accorder de pardon parce qu'il n'y a plus personne pour me le demander".

"Vous étiez à mille lieues de l'intolérance, du sectarisme et de la violence, (...) tu n'es pas responsable des méfaits de ton fils (?) Le déterminisme à ses limites", répond le père de Lola.

Leurs conversations laissent des questions sans réponse. Georges Salines adresse une lettre à Samy Amimour à la fin du livre: "elle tourne autour du mot pourquoi, une interrogation que j'ai depuis le 13 novembre", explique-t-il à l'AFP.

Azdyne Amimour questionne sans cesse l'impact de ses absences fréquentes pour son travail entre les 10 et 18 ans de son fils. Les deux hommes évoquent aussi leurs expériences très différentes du deuil.

La famille Amimour n'a eu accès à la dépouille de Samy qu'au terme "de plus d'un mois de démêlés avec l'administration" et a enterré ce fils alors qu'"il faisait nuit noire".

Georges Salines souligne, lui, l'importance du soutien reçu malgré certains manquements des pouvoirs publics et rapporte son émotion lors de l'hommage national aux victimes.

Le livre donne lieu à des discussions philosophiques sur l'existence de Dieu ou la destinée, et à des désaccords. Georges Salines reconnaît la souffrance des familles de jihadistes, mais juge qu'"il est difficile pour les proches de victimes d'entendre" cette souffrance. "Aurais-je le droit un jour de revendiquer que Samy, dans un sens, est une victime qui en a fait d'autres ?", s'interroge Azdyne Amimour.

AFP

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