Brésil

Le carnaval de Rio entre féerie et contestation au sambodrome

  • Publié le 24 février 2020 à 10:00
  • Actualisé le 24 février 2020 à 13:42

Un Jésus des favélas frappé par des policiers, une sirène noire dans un aquarium géant: féerie et esprit contestataire s'entremêlaient lors du somptueux défilé des écoles de samba du carnaval de Rio de Janeiro, dans la nuit de dimanche à lundi au sambodrome.

Malgré la vague ultra-conservatrice qui a déferlé sur le Brésil depuis l'arrivée au pouvoir il y a un an du président Jair Bolsonaro, Rio est plongé dans l'ivresse du carnaval depuis plusieurs jours. Pas moins de 2 millions de fêtards ont pris part à des cortèges délurés où la bière coule à flots dans les rues tout au long du week-end.

Mais c'est au sambodrome que cette gigantesque fête populaire prend toute sa dimension féerique, avec des chars somptueux pouvant mesurer plus de dix mètres de haut et des milliers de danseurs aux costumes brillant de mille feux sous les projecteurs. Cette année, au-delà du strass et des paillettes, les écoles de samba ne lésinent pas sur les messages politiques.

- "Noir" à la place d'"INRI" -

Le ton est donné dès le début de la parade de la championne en titre Mangueira: coiffé de sa couronne d'épines, mais vêtu d'une veste en jean rapiécée, Jésus danse avec ses disciples dans une favela. Mais la joute chorégraphique tourne court: des policiers armés de matraques et coiffés de casques anti-émeute dispersent la bande et s'attaquent au christ lui-même. Une métaphore de la vie des jeunes des favelas, quartiers populaires confrontés à une forte augmentation de la violence policière: plus de 1.800 personnes ont été tuées par les forces de l'ordre en 2019, soit près de cinq par jour, une augmentation de 18% par rapport à l'année précédente.

En fin de défilé, un char monumental montre un Jésus à la peau sombre crucifié, avec le mot "Noir" à la place d'INRI inscrit sur la croix. Jésus a également été dépeint en femme, incarnée par Evelyn Bastos, la Reine de la Batterie, emblème de l'école, qui défile devant les percussionnistes. "Le message est très bien passé, on pouvait ressentir les réactions du public tout au long du défilé", s'est enthousiasmé Milton de Oliveira, 81 ans, qui défile pour Mangueira depuis 1962.

Jugée blasphématoire par certains groupes ultra-conservateurs, cette parade était teintée de critiques envers le gouvernement Bolsonaro. Avec des paroles prônant la tolérance religieuse, la chanson de Mangueira avait pour titre "La vérité vous rendra libre", extrait d'un verset biblique cité à maintes reprises par le président d'extrême droite, qui a bénéficié de l'appui massif des Eglises évangéliques lors de son élection en octobre 2018.

- Fossile de dinosaure -

"C'est important de porter des messages politiques à un moment où notre gouvernement écrase les travailleurs. Les écoles de samba représentent la classe ouvrière", a déclaré à l'AFP Henrique Lott, perché sur un char de près de 8 mètres de haut représentant un énorme fossile de dinosaure. Déguisé en homme préhistorique, ce comédien de 27 ans est membre d'Estacio de Sa, la première école à défiler dimanche soir, sur le thème de la pierre.

Un des chars les plus impressionnants de cette école représentait la Serra Pelada, la Montagne Pelée, où des milliers de Brésiliens ont afflué pour chercher de l'or dans les années 80. Dans une image fidèle à celles des documentaires de l'époque montrant une vraie fourmilière humaine, les corps entièrement recouverts de boue s'entrelaçaient sur le char. Et en premier plan, une énorme tête de mort dorée, représentant le désastre à la fois humain et environnemental de cette ruée vers l'or.

La deuxième école à défiler, Viradouro, qui a rendu hommage aux femmes, a présenté dans son premier char un immense aquarium rempli de 7.000 litres d'eau minérale, dans lequel nageait une sirène noire à la longue queue de poisson dorée. Pour interpréter la chorégraphie faite de plongeons gracieux et de longues séquences en apnée, Viradouro a fait appel à Anna Giulia, seule membre noire de l'équipe nationale brésilienne de nage synchronisée.

Après les sept écoles du dimanche, six autres défilés auront lieu dans la nuit de lundi à mardi, avec notamment celui de Mocidade, qui rendra hommage à la chanteuse mythique Elza Soares, 89 ans, ex-femme du footballeur de légende Garrincha, devenue une icône de la lutte contre le racisme et l'homophobie.

AFP

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