Un "coup au moral"

Pressions, cambriolages: le sale quotidien de certains soignants en France

  • Publié le 30 mars 2020 à 14:28
  • Actualisé le 30 mars 2020 à 19:06

La France les applaudit chaque soir aux fenêtres, mais le lendemain, ils découvrent une lettre anonyme leur suggérant de déménager, ou leur voiture forcée pour voler des masques : en pleine épidémie de coronavirus, certains soignants prennent "un coup au moral".

Mercredi, la consternation a envahi Lucille, qui ne souhaite pas donner son nom complet, comme d'autres soignants joints par l'AFP. Dans sa boîte aux lettres, un courrier lui demande de quitter son logement de Vulaines-sur-Seine, en région parisienne. Non signée, la lettre lui suggère également de faire ses courses "en dehors de la ville" et lui reproche de promener son chien : probablement un voisin, donc.

"Je suis en colère", confie à l'AFP cette infirmière d'un hôpital de banlieue parisienne. "On met déjà notre vie de côté pour s'occuper des autres, alors qu'on nous traite comme des pestiférés, ça ne passe pas."

La trentenaire, qui porte masque, gants, lunettes et surblouse de protection au travail et a les "mains défoncées" par le double lavage - savon, puis gel hydroalcoolique - imposé entre chaque patient, enrage de la bêtise de ce corbeau. "Cette personne prend sûrement beaucoup moins de précautions que moi."

Déterminée à ne pas se laisser intimider, elle a porté la missive au maire, qui a saisi le procureur. Une enquête est en cours. Désormais, "j'essaie de passer outre, mais c'est plus facile à dire qu'à faire", soupire Lucille, qui a pris "un coup au moral".

Plusieurs situations similaires ont suscité l'indignation sur les réseaux sociaux ces derniers jours. Assez pour que le Premier ministre Edouard Philippe dénonce samedi ces "mots scandaleux" laissés aux soignants. Dans le Nord, Thomas Demonchaux ressent, lui, "la défiance de la part du voisinage", sous le vernis de "questions anodines". "Ils me demandent si je suis au contact de patients covid-19 confirmés ou suspects. Si je suis fatigué", raconte l'infirmier.

- "Sentiment d'irréalité" -

"Les gens s'écartent quand ils me croisent, ils ne se tiennent plus à un mètre de moi, mais à quatre mètres", confie Negete Bensaïd, infirmière libérale à Paris. La quadragénaire a des proches qui lui réclament d'arrêter de travailler et certains patients qui refusent les visites. "Je ne vais pas me cacher, j'ai des malades à soigner", souffle-t-elle.

Outre le soupçon, les soignants à domicile, qui se déplacent avec masques et gel hydroalcoolique, doivent également digérer le fait d'être devenues des cibles. A La Rochelle (ouest), le cabinet de Claire a été cambriolé la semaine dernière : la trentaine de masques chirurgicaux qu'elle venait de recevoir a disparu. "J'ai eu beaucoup de colère, beaucoup de peur aussi, un sentiment d'irréalité", témoigne l'infirmière libérale.

Depuis, elle s'est "apaisée". Mais "enlever le caducée" (un papier derrière le pare-brise) qui trahit sa profession "et ne rien laisser dans la voiture, c'est devenu une routine, au même titre que mettre le masque et se laver les mains pour protéger les patients." Sophie n'y a "pas cru" non plus, lorsque sa Smart a été forcée lundi à Marseille (sud). Rangé avec ses papiers, son caducée avait disparu, ainsi que deux pochettes contenant des masques et du matériel. "On va finir par se faire agresser", craint cette infirmière libérale de 42 ans, dont certains patients "deviennent odieux".

L'une l'attend ainsi désinfectant à la main, une autre veut qu'elle fasse les courses à la place de ses enfants, par peur d'une éventuelle contamination au supermarché. "Je n'ai pas l'impression d'être respectée. Alors je ne sors même plus le soir pour écouter les applaudissements à 20H00", lâche-t-elle.

"J'ai travaillé en prison durant trois ans, mais je n'avais jamais connu ça : partir travailler la boule au ventre en ayant peur pour sa sécurité", confie Laure à Toulouse. L'infirmière libérale a été insultée par un passant qui exigeait des masques. "Même si ces événements restent minoritaires, c'est ahurissant", déplore Patrick Chamboredon, le président de l'Ordre national des infirmiers, qui fédère les 700.000 membres de la profession en France.

Certains conseils régionaux de l'Ordre recommandent aux soignants de retirer leur caducée pour éviter les vols. Et face à la méfiance, "il faut développer les tests pour les soignants, pour rassurer la population, c'est une vraie urgence", selon M. Chamboredon.

AFP

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