Covid-19

En Inde, le quotidien d'une ambassade dans la tempête du virus

  • Publié le 31 mars 2020 à 18:30
  • Actualisé le 31 mars 2020 à 18:32

Lundi matin, 8 heures: en arrivant au bureau, Emmanuel Lenain a des cernes bien marquées pour un début de semaine.

La journée s'annonce longue pour l'ambassadeur de France en Inde, avec l'évacuation ce soir-là de 500 touristes bloqués par la pandémie de coronavirus. En l'absence de liaisons aériennes, actuellement interdites par une Inde confinée et à l'arrêt, le gouvernement français a obtenu l'autorisation pour un vol spécial Delhi-Paris d'Air France, qui lui permettra de rapatrier une partie de ses ressortissants présents dans le pays d'Asie du Sud.

9 heures: en raison du virus, le briefing de l'opération se déroule non pas dans l'ambassade mais sur le parvis, en plein air. "On est un peu en mode guerre", lance Emmanuel Lenain, en bras de chemise et masque sur le visage, à la cinquantaine d'agents mobilisés pour l'occasion, "chacun connaît sa mission".

Disséminés dans des hôtels à travers la capitale, quelque 460 touristes doivent être récupérés, centralisés puis mis dans l'avion. Ce contingent ne représente qu'une portion des 2.000 voyageurs français toujours en Inde, hors résidents.
10 heures: ouverte depuis à peine une heure et demie, la cellule de réponse téléphonique située au rez-de-chaussée de l'ambassade a déjà reçu une centaine d'appels de Français sur le carreau. Ces temps-ci, la permanence prend entre 500 et 600 communications quotidiennes.

"Les gens sont tous stressés, mais la plupart sont sympas, ils comprennent que l'ambassade veut faire le maximum possible. On a toujours un ou deux cas qui paniquent, on fait le travail en les calmant et en leur donnant les informations les plus précises et factuelles possibles", raconte Prutha Narke, attachée culturelle adjointe en temps normal.

Mais les temps sont tout sauf normaux. Depuis trois semaines déjà, la représentation diplomatique est entièrement réorganisée autour de la gestion de crise. Pour le personnel essentiel qui vient encore physiquement, les mesures de désinfection et de distanciation sociale sont draconiennes.

La plupart des départements effectuent des rotations en plaçant une partie de leurs membres à l'isolement, afin qu'ils puissent prendre la relève de leurs collègues si ceux-ci tombent malades et ainsi garantir la continuité du service.

- Gilet jaune "France" -

10 heures 20 : les bus de ramassage se dispersent dans un Delhi vide et silencieux. En charge du bus numéro 4, dont les sièges sont encore humides de désinfectant, Édouard Saëlen consulte la liste des personnes qu'il a la charge de récupérer à cette tournée.

"Il faut que ça se passe bien, c'est l'ambassade. Il y a de la pression", souffle le jeune homme de 25 ans, venu en Inde faire un volontariat international de deux ans à l'Agence française de développement.

En chemin, le véhicule franchit de nombreux barrages policiers dressés pour faire appliquer le confinement. Il finit par s'arrêter en bordure d'autoroute, face à un quartier poussiéreux rempli d'hôtels bon marché.

Gilet jaune marqué "France" dans le dos, téléphone portable en main, Édouard s'y enfonce à la recherche des établissements qui lui sont assignés. Dans les ruelles muettes, les chiens et singes errants sont le seul signe de vie. "Il y a deux trois choses qui ont bugué, on fera un retour au ministère des Affaires étrangères à Paris", grommelle en sortant de son hôtel un touriste mécontent de l'ambassade, avant de demander qu'on lui porte ses valises.

En montant à bord de la navette, chacun doit nettoyer ses mains au gel hydroalcoolique et enfiler un masque en papier qui lui est fourni.

13 heures 20 : le bus d'Édouard débarque ses passagers au lycée français de Delhi, où sont regroupés tous les évacués. Avant de pouvoir entrer dans l'école, qui ne fait plus cours en ces temps d'épidémie, les nouveaux arrivants sont soumis à un contrôle de température.

La cour de récréation a pris des airs de camp de réfugiés. Ça s'affaire dans tous les sens. Des enfants courent entre des dormeurs allongés par terre. Un groupe de jeunes a sorti les guitares et chante du Manu Chao.

Une équipe Air France improvise une boutique pour permettre aux retardataires d'acheter leur billet pour le vol du soir. Prix du retour au pays: 560 euros. Près de la cantine, des ordinateurs ont été installés pour que les voyageurs puissent préparer la suite de leur trajet une fois à Paris.

"Ils ont beaucoup de questions sur l'arrivée. Le problème c'est que nous nous occupons seulement de les évacuer vers la France", explique Olivia Bellemere, conseillère de l'ambassadeur. 17 heures: le transfert des passagers vers l'aéroport commence. Ébahis, ils découvrent alors un terminal international aussi immense que désert. Ses foules habituelles semblent soudain un souvenir irréel.

Mardi matin, 1 heure 05 : le vol AF225 décolle pour Paris. D'autres vols spéciaux depuis l'Inde suivront dans la semaine. Pour la diplomatie française, la "mission" n'est pas encore finie.

AFP

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