Coronavirus

Une journée avec Morphée, l'atout de l'armée de l'air contre le coronavirus

  • Publié le 1 avril 2020 à 12:32
  • Actualisé le 1 avril 2020 à 12:59

Sur le tarmac de la base d'Istres, l'Airbus A330 Phénix de l'armée de l'air se prépare à décoller pour une 5e mission Morphée. Objectif du jour: évacuer six malades du Covid-19 du Grand Est vers l'Allemagne.

Développé après l'attentat de Karachi, en 2002, ce dispositif d'évacuation médicale aéroportée transformant un appareil en hôpital volant a été pensé pour des victimes de terrorisme ou des soldats blessés en opérations extérieures: "Là, notre front, c'est la lutte contre le coronavirus", explique le colonel Pierre Gaudillière, commandant de la base 125 de l'armée de l'air, dans les Bouches-du-Rhône.

Après une première opération au Kosovo puis quatre en Afghanistan, le dispositif est désormais réquisitionné sur le sol français. En octobre 2019, le Boeing C135 a été remplacé par un A330, un oiseau de quelque 200 tonnes aux ailes de 60 mètres d'envergure. Depuis quelques jours, les missions s'enchaînent pour désengorger les hôpitaux alsaciens, débordés par la pandémie.

Mardi matin, 08H00: les mécaniciens s'activent autour de l'appareil. Le décollage est prévu à 12H00, pour évacuer six patients de Mulhouse et Colmar (Haut-Rhin) vers Hambourg, dans le nord de l'Allemagne.

Une heure plus tard, l'équipe médicale du Service de santé des armées monte dans la carlingue. Médecins réanimateurs, infirmiers anesthésistes, infirmiers-convoyeurs de l'air: 13 au total, sous la direction du médecin principal Mathieu, directeur médical de l'opération.

Médecin réanimateur à l'hôpital militaire de Percy, à Clamart (Hauts-de-Seine), il était des quatre missions précédentes. Comme le major Yannick, infirmier-convoyeur sur la base d'Istres, toujours "grisé" par ces missions qui sortent de l'ordinaire.

Pour tous les autres, c'est une première opération Morphée. "Les malades du Covid-19, j'en ai l'habitude maintenant", explique le médecin principal Violaine, anesthésiste à Percy: "Ce qui sera nouveau, c'est l'environnement, le bruit !"

- "Zone rouge" -

"C'est stimulant, nous participons à une mission de solidarité nationale", sourit le médecin principal Julia, en poste sur la base d'Istres, en terminant sa check-list, sur l'un des six postes de réanimation installés à bord. Un par patient à venir. Dans le cockpit, le commandant Charles fait le point sur les conditions de vol. Arrivée prévue sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse: 13H15.

Comme son copilote et les quatre membres du personnel navigant, le commandant de bord de l'appareil est loin de ses missions habituelles --ravitaillement en vol en soutien de la force française Barkhane au-dessus du Sahel ou police du ciel au-dessus de l'Hexagone. Mais l'adversaire est peut-être encore plus difficile à traquer.

A l'heure d'atterrir à Mulhouse, l'appareil est encore "propre": l'espace est considéré comme "zone verte", indemne du virus. Mais avant d'embarquer le premier patient, le cockpit doit être isolé du reste de l'appareil. Un rideau de vinyl rose est méticuleusement fixé avec de l'adhésif, pour empêcher le virus de s'infiltrer vers le pilote et le copilote. A la manoeuvre: l'adjudant-chef Bruno.

Posté sur la base de Cazaux, en Gironde, il est un des trois experts en sécurité NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) à bord. Ce sont eux qui vont veiller jusqu'au bout de la journée au strict respect des mesures de sécurité contre le virus, avec leurs trois camarades de l'Institut de recherche biomédical des armées de Brétigny-sur-Orge (Essonne).

Car avec l'arrivée du premier patient à bord, vers 13H30, à Mulhouse, la partie médicalisée de l'appareil est devenue "zone rouge", potentiellement contaminée. Pour tous, médecins, infirmiers ou experts des risques biologiques, le treillis kaki a été remplacé par une tenue blanche évoquant celle d'un spationaute, au-dessus d'un pyjama médical: combinaison intégrale en polyéthylène, tablier, charlotte, surbottes, lunettes de protection, masque FFP2, et double paire de gants. "Tous les gestes sont plus compliqués, il fait plus chaud, mais c'est la règle du jeu", explique le médecin principal Violaine.

Pour sortir de cette "zone rouge", la procédure est très stricte. Impossible d'aller se reposer ou manger, dans la "zone verte" à l'arrière de l'appareil, sans passer par la "zone orange", un sas où il faut se débarrasser intégralement de sa tenue de protection, dans une poubelle individuelle aussitôt hermétiquement fermée. Puis, au retour, c'est une nouvelle tenue qu'il faut enfiler.

- Huit heures de désinfection -

14H40: l'avion quitte Bâle-Mulhouse, avec ses six nouveaux passagers: "Les patients qu'on transfère sont intubés, placés en coma artificiel, mais ce sont des patients stables, qui n'ont pas besoin d'être placés en position ventrale pour être ventilés", explique à l'AFP le docteur Laure Gerstl, de l'hôpital Louis Pasteur de Colmar, qui vient d'aider à leur embarquement.

Direction Hambourg donc, d'où ils seront transférés vers les hôpitaux allemands de Kiel et Lübeck. "Merci à nos soignants, à nos militaires et à l'Allemagne", tweete la ministre des Armées, Florence Parly, pour saluer la coopération entre les deux pays. Vers 18H30, le dernier des patients alsaciens a été débarqué sur l'aéroport de la cité hanséatique.

Pour l'A330 Phénix, l'heure est au retour vers Istres. Un objectif atteint à 20H30. Pour les 25 membres d'équipage du jour, la mission est terminée.
"Pour un anesthésiste-réanimateur, une opération comme ça, c'est ce qu'on rêve de faire", sourit le médecin principal Raphaël, de l'hôpital militaire Laveran, à Marseille, "avec le sens du devoir accompli".

Mais le ballet va encore durer toute la nuit, dans l'appareil, avec l'intervention des personnels NRBC, pour une méticuleuse opération de désinfection de près de huit heures. Histoire d'éliminer la moindre trace potentielle du virus. Vers 05H00 du matin, il sera prêt à redécoller.

AFP

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1 Commentaires
CAJAOP
CAJAOP
3 ans

Ça, c'est de l'organisation, on est loin du foutoir de l'ARS locale et de son préfet "tête dans le sable"