Réapprendre à vivre

Virus: pour les malades sortis de réa, le long chemin de la rééducation

  • Publié le 14 avril 2020 à 13:00
  • Actualisé le 14 avril 2020 à 14:17

"J'ai dû réapprendre à respirer": Paulo Alves fait partie des malades du Covid-19 passés en réanimation et tirés d'affaire. Mais les semaines passées sous assistance respiratoire laissent des traces et nécessiteront une longue rééducation. Jamais les hôpitaux français n'ont soigné autant de personnes en réanimation, environ 7.000 (dont 3 actuellement à La Réunion). Il s'agit de cas graves, avec une insuffisance respiratoire sévère causée par l'atteinte des poumons par le virus.

Les patients ont besoin d'une assistance respiratoire avec intubation. "Ils sont alors sédatés et souvent curarisés (paralysie musculaire par un curare)", explique à l'AFP Stéphane Petit Maire, anesthésiste réanimateur à Bourg-en-Bresse. Les cas les plus graves sont placés sur le ventre pendant plusieurs heures pour faciliter l'oxygénation. A cela peut s'ajouter "des atteintes rénales, cardiaques, neurologiques, hépatiques", poursuit-il.

Les séjours en réanimation des patients du Covid-19 sont longs, "deux à trois semaines, voire plus", indique Hélène Prigent, pneumologue à l'hôpital Raymond-Poincaré à Garches.
"Les risques, qui ne sont pas spécifiques au Covid-19, sont de perdre beaucoup de masse musculaire, d'avoir des complications musculaires et neurologiques", poursuit la coordinatrice de l'unité de sevrage post-ventilatoire de l'hôpital. Une intubation longue provoque des problèmes de déglutition et respiratoires.

Après des semaines en position allongée, "il faut réhabituer le corps à changer de position. Il a oublié certains mécanismes qui permettent au corps de régler la tension artérielle", poursuit-elle.

- Kiné -

La première fois que Paulo Alves, intubé et placé en coma artificiel pendant son séjour à l'hôpital Bichat à Paris, a tenté de se lever, ses jambes ne le portaient plus. "Je me suis senti partir", raconte-t-il. En fort surpoids, il a maigri, a fait "plein d'exercices pour récupérer (sa) masse musculaire", mais aussi "un grand travail de respiration, notamment en faisant du vélo d'appartement".

Les patients sortis de réanimation sont trop faibles pour rentrer directement chez eux. Ils passent par des unités de sevrage post-ventilatoire ou par des centres de rééducation, comme la clinique du Bourget en Seine-Saint-Denis, qui a aménagé ses services pour accueillir ces malades du Covid-19.

Anaïs Legendre, kinésithérapeute, a dû s'adapter. Fini le travail en équipe avec des neuro-psychologues, des psychologues, l'utilisation d'un plateau technique avec des tables de verticalisation pour la rééducation. "On réalise les séances en chambre", raconte-t-elle à l'AFP. "La plupart des patients sont encore sous masque à oxygène et avec le virus, ils vont bien un jour, pas le lendemain, ça fluctue".

"J'essaye de travailler la marche, se déplacer jusqu'à la salle de bain, faire des exercices de renforcement musculaire", avec ces patients, souvent âgés, poursuit la kiné. "C'est très léger car ils sont très fatigués." Quand les malades ne peuvent pas se lever, elle pratique des étirements au lit. "On s'occupe des problèmes médicaux, de ne pas les aggraver, mais ça limite par rapport à ce qu'on peut faire", en temps normal, confirme le médecin chef de la clinique, Emmanuel Chevrillon.

Pour s'occuper de ces patients, la kinésithérapeute doit s'équiper de pied en cap: "charlotte, surblouse, masque FFP2, lunettes", énumère-t-elle. "Le patient porte un masque, ça crée une barrière, c'est un peu compliqué."

- Séquelles psychologiques -

En plus de la maladie, la solitude en chambre individuelle, avec des contacts limités au minimum, peut laisser des traces. "Il n'est pas possible de multiplier les intervenants" dans les chambres pour éviter tout risque de contagion, explique Emmanuel Chevrillon. "Je vis des moments de solitude énormes. Vos proches ne peuvent pas venir. Les infirmières ne peuvent pas rester dans la chambre", dit Paulo Alves.

Même guéris, ces personnes risquent de souffrir de "séquelles neurocognitives, type stress post-traumatique, anxiété, dépression" avertit Stéphane Petit Maire.
Certains pourraient garder "des séquelles respiratoires avec essoufflement au repos ou à l'effort, voire la nécessité de maintenir l'oxygénation à domicile", poursuit le médecin.
Lorsque les patients rentrent chez eux, la kinésithérapeute les encourage à rester actifs: "faire la vaisselle, le lit, passer l'aspirateur". Rester alités pourrait entraîner "de grosses séquelles".

La rééducation peut aussi nécessiter des orthophonistes et des ergothérapeutes. Une fois rentrés chez eux, comment les anciens malades seront-ils pris en charge? Du côté des kinés, "il y en a très peu en Seine-Saint-Denis", regrette Emmanuel Chevrillon, qui s'efforce déjà de "mettre en place des systèmes d'aides à domicile, de livraisons de repas" pour les malades qui vivent seuls et en ont besoin. "On perdrait tout si on a un énorme investissement de réanimation, mais que le patient ne soit pas bien pris en charge en aval", avertit Bertrand Guidet, chef de service de médecine intensive réanimation à l'hôpital Saint-Antoine à Paris.

AFP

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