Coronavirus

Dans un hôpital psychiatrique de Marseille, la crainte de "l'effet cocotte-minute"

  • Publié le 21 avril 2020 à 17:23
  • Actualisé le 21 avril 2020 à 17:38

"Le remède ne doit pas être pire que le mal, il faut éviter l'effet cocotte-minute": à l'hôpital psychiatrique marseillais de Valvert, le confinement pour lutter contre le coronavirus a poussé les soignants à se réinventer, sans renier leurs principes d'ouverture.

Derrière son masque à fleurs fait maison, Stéphanie Toy-Riont, psychiatre, résume le dilemme: "Du jour au lendemain, le collectif soignants-soignés devenait dangereux. L'inverse de ce que nous défendons depuis toujours!"

Avec ce coronavirus qui fait des dizaines de milliers de morts à travers la planète, le monde extérieur est devenu un danger potentiel pour les patients alors que l'établissement multiplie habituellement les passerelles, fier de son concept d'hôpital ouvert.

Gestes barrières, distanciation sociale, fin des permissions de sortie pour les patients, interdiction des visites familiales: depuis plus d'un mois, aux Tilleuls comme aux Lavandes, aux Cèdres et dans la dizaine de pavillons éparpillés parmi les pins, le coronavirus a tout bousculé, même si aucun cas n'a été détecté jusqu'à présent.

Auparavant totalement libres, les sorties dans le parc de l'établissement ne sont plus possibles que par groupe de quatre maximum, accompagnés par un soignant. Fini la danse qui attirait jusqu'à 35 personnes dans la salle de spectacle, les matchs sur le terrain de foot, la boxe. Inaccessibles les livres, le baby-foot ou le ping-pong de la cafétéria.

"Mais nous nous sommes battus pour que du temps collectif continue d'exister, soigner ce n'est pas que délivrer des traitements", insiste Stéphanie Toy-Riont auprès d'un journaliste de l'AFP exceptionnellement autorisé à s'entretenir avec personnels et patients, à distance. L'atelier d'écriture a été maintenu, "même si nous ne pouvons pas être plus de cinq dans la même pièce", poursuit-elle.

- "Combler le vide" -

"Ce qui est dur, c'est de combler le vide", lâche Amina, petite trentaine. Assise dans l'herbe, avec d'autres patients, elle évoque "l'après" lors d'un "atelier parole" en plein air, une des activités collectives maintenue et organisée par Gilles Karcenty, infirmier en sociothérapie.

Pour Alicia, "on va droit dans le mur". Anna est plus optimiste: "Moi, je rêve juste de pouvoir embrasser mon fils", explique-t-elle, espérant "qu'on va se rendre compte que ce sont les choses simples comme ça qui ont de l'importance". "Nous ne devons pas nous laisser déborder par les contraintes sanitaires, il faut garder une boussole éthique", insiste Victoria Isabel Fernandez, psychologue. "Protéger ce n'est pas s'arroger de super-pouvoirs sur les patients".

A Valvert, confinement ou pas, la pratique de la contention reste bannie, comme toujours depuis la création de l'établissement en 1976. Concession cependant: cette blouse désormais obligatoire. "Notre but d'habitude, c'est de faire tomber les barrières avec les soignés. Là, j'ai un peu le sentiment d'être déguisée", regrette Stéphanie Toy-Riont.

L'hôpital tente de laisser passer l'orage. Sur les 147 lits disponibles, seuls 90 sont occupés, certains patients ayant été confiés à leur famille. A l'Oasis, pavillon réservé aux enfants et adolescents souffrant de troubles autistiques, seules deux personnes sont désormais reçues par demi-journée. L'activité ambulatoire, la plus importante, avec près de 10.000 patients par an, est réorganisée en suivi à domicile ou par téléconsultation, explique Laurence Milliat, directrice de l'établissement.

- "Epuisement moral" -

"Mais plus la situation dure, plus la situation se tend, avec parfois des familles à sept dans un T1", explique Aurélie Foulon, assistante sociale au Dispositif soins adolescents: "Le cap de la troisième semaine (de confinement) a été difficile. Je ne sais pas dans quel état on va les retrouver".

Certes, "il y a des ressources inimaginables dans ces familles", assure Angélique Babahan: "Mais nous craignons un épuisement parental ou des cas de stress post-traumatiques chez certains patients, comme après le 11 septembre 2001 et ces enfants qui avaient revu en boucle les images des tours en train de s'effondrer".

Cette "psychiatrie hors les murs" offre parfois des surprises. Comme cette dame sortie de Valvert et recluse chez elle, sans réaliser que toute la France est confinée: "Après deux semaines, elle m'a demandé pourquoi il y avait tout ce bruit aux fenêtres chaque soir à 20h00", sourit Anne Palomba, la psychiatre qui la suit à distance.

Seul hôpital psychiatrique du département encore épargné par le Covid-19, Valvert retient son souffle: "Si un cluster épidémique apparaît ici, ça va être compliqué à enrayer", craint Mathieu Pariggi, psychiatre.

C'est dans son pavillon des Lilas qu'a été montée de toutes pièces une "unité Covid" pour héberger de potentiels malades. Une dizaine de chambres ont été équipées. Sonnette, table pour prendre son repas, télévision individuelle: autant de choses inconnues à Valvert, où tout est pensé pour éviter que les patients se recroquevillent dans leur cocon.

Faute de malades, cette unité "Covid" sert pour l'instant de sas pour les entrants placés en quatorzaine. Comme ces deux patients qui avaient fugué et qu'il a fallu isoler dès leur retour.

- "Envie de serrer une main" -

A Valvert, confinement rime aussi avec adaptation. A la cantine, privée de six cuisiniers sur douze, trois membres de la brigade de cuistots d'un lycée voisin aident chaque jour. Système D aussi côté matériel, comme cette centaine de sur-blouses données par un fabricant de marrons-glacés ou ce lot de masques Ikea récupéré par une infirmière.

Si plus de 30.000 euros d'achats et de travaux d'urgence ont été engagés, il a d'abord fallu composer avec des stocks indisponibles: "Je ne pensais pas que la 6e puissance mondiale pouvait être si mal préparée, qu'on me demanderait de ne pas changer de masques FFP2 pendant huit heures", lâche le Dr Pariggi.

Puis ce fut la flambée des prix chez certains fournisseurs, comme ces blouses passées de 60 centimes à 10 euros l'unité. "On a dit non. L'idée était d'acheter, sans hésiter, mais sans basculer dans le n'importe quoi", explique la directrice-adjointe Dominique Orsini.

Attendre le déconfinement le 11 mai, "c'est long", explique Richard, un patient des Tilleuls. "On a envie de l'extérieur, d'errer dans la ville, de regarder les magasins, les gens. On a envie de les toucher, de serrer une main".

AFP

guest
0 Commentaires