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A Montréal, les étudiants en cirque jonglent avec les difficultés

  • Publié le 12 juin 2020 à 11:55
  • Actualisé le 12 juin 2020 à 12:45

Comme le fil sur lequel Antino Pansa s'exerce dans son jardin, l'avenir s'annonce instable pour les étudiants sortant de la prestigieuse école nationale de cirque de Montréal, qui craignent de devenir une "promo fantôme" à cause du coronavirus.

La tête à l'envers, les pieds pointés vers le ciel, le futur acrobate Antino Pansa contracte ses muscles pour tenir en équilibre sur le fil quelques secondes. Dans la cour devant chez lui, l'étudiant a accroché entre deux arbres, distants de quelques mètres, un fil tendu à un bon mètre au-dessus du sol. L'installation bricolée permet à cet artiste de 20 ans de se maintenir en forme malgré la fermeture de l'école début mars, à cause de la pandémie.

"Plusieurs mois sans m'entraîner, ça fait beaucoup", admet Antino Pansa. "Ma seule solution, c'était d'installer un fil entre deux arbres". "J'ai beaucoup de contraintes: je ne peux pas faire toutes mes figures dessus... Il y a des arbres autour, il y a l'escalier, il y a plein de trucs qui m'empêchent de m'entraîner correctement mais je garde toujours la forme", explique-t-il à l'AFP, fier d'avoir imaginé ce système qu'il estime sûr.

Pour gagner sa vie, l'étudiant a accepté un travail d'agent de sécurité. Il devait rejoindre pendant environ six mois une troupe en Suisse, dès sa sortie de l'école fin juin, mais le contrat a été reporté à 2021.

- "Grosse perte" -

En quelques semaines, la pandémie a douché les plans de la soixantaine d'étudiants de cette école à la renommée internationale. Rite de passage et véritable "carte de visite", la présentation du numéro qui sanctionne la fin de trois années d'études et leur permet d'être évalués sous le regard de professionnels du monde entier a été annulée.

"C'est une grosse perte, c'est un gros deuil à faire aussi parce que ça sert d'évaluation et ça aide énormément l'insertion professionnelle", reconnaît le directeur de l'école Eric Langlois. "On rigole en disant qu'on est la promo fantôme parce que personne ne va pouvoir voir de quoi on est capables", sourit tristement Joaquim Verrier.

"C'est aussi très démoralisant de se dire que l'industrie de la culture et du spectacle est au point mort et complètement à l'arrêt", explique le jeune Français.
Passé de 15 heures d'entraînement par semaine à l'école à trois ou quatre heures dans son appartement, le jongleur de boîtes à cigares reconnaît qu'il est "très difficile de se motiver" mais s'estime "chanceux" de pouvoir continuer à pratiquer sa discipline.

D'autres ne peuvent le faire et s'en inquiètent. "J'ai travaillé tellement, tellement fort pour être capable d'être à mon niveau", regrette Joel Malkoff, fildefériste. L'Américain de 25 ans, qui avait l'habitude de s'entraîner tous les jours, s'alarme à l'idée de ne peut-être pas pouvoir pratiquer à nouveau sa discipline à un niveau professionnel: "c'est ça qui me fait peur".

- Marché du travail fermé -

Fleuron culturel canadien qui lutte désormais pour sa survie, l'emblématique Cirque du Soleil, basé à Montréal, a dû annuler 44 productions dans le monde et mettre au chômage technique 4.679 acrobates et techniciens, 95% de ses employés. Consciente des nouvelles réalités du marché du travail, l'école a mis en place une formation en entreprenariat destinée à épauler les étudiants.

Tandis que le taux d'embauche des diplômés de l'école est de "95% normalement", son directeur constate un "marché complètement fermé" et s'attend à une reprise d'ici les "18 à 24 prochains mois". Les diplômés rejoignent habituellement des compagnies de cirque au Québec ou à l'étranger, des cabarets en Europe ou des bateaux de croisière.

La promotion 2020, constituée de 21 étudiants, est "sacrifiée", mais M. Langlois s'attend à une "embellie" pour ceux qui seront diplômés en 2021: "je reste optimiste, ça va repartir", assure-t-il. Selon un sondage réalisé en avril, mené auprès de 561 travailleurs et organismes du secteur, 66% des personnes interrogées envisagent une "transition de carrière", d'après En Piste, le regroupement national des arts du cirque.

A 23 ans, Joaquim Verrier balaie d'un revers de main l'idée de se réorienter et surtout de renoncer à sa passion. "Moi, j'ai été formé pendant cinq ans pour devenir artiste de cirque et je trouverais ça dommage de ne pas l'être ni de goûter cette expérience. Je ne pense pas que cette pandémie m'arrêtera dans mon désir."

AFP

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