Etats-Unis

"Accepter n'importe quel emploi" : le désespoir des chômeurs américains de longue durée

  • Publié le 4 décembre 2020 à 11:17
  • Actualisé le 4 décembre 2020 à 12:45

"Je n'ai jamais été dans une situation si difficile", soupire Eleanore Fernandez. Comme un chômeur américain sur trois, cela fait maintenant plus de six mois qu'elle a perdu son emploi, un chômage de longue durée qui devrait laisser des séquelles durables sur le marché du travail.

Cette mère d'une adolescente de 13 ans a perdu son emploi d'assistante de direction dès mars, au moment où la pandémie s'étendait aux Etats-Unis, d'abord en Californie où elle vit, puis dans le reste du pays. Son mari, musicien professionnel, s'est également retrouvé sans activité. "Je pioche de plus en plus dans mes économies, mais je vais bientôt arriver au bout", s'inquiète-t-elle, alors qu'elle se retrouvera sans revenu fin décembre.

Le chômage est versé, selon les Etats, pendant trois à six mois, et trois mois supplémentaires sont accordés par le gouvernement fédéral depuis avril, face au Covid-19.

Ces aides prendront fin le 26 décembre, sauf si les élus du Congrès parviennent rapidement à se mettre d'accord pour les prolonger, sans attendre l'arrivée à la Maison Blanche du nouveau président Joe Biden, le 20 janvier, et de sa secrétaire au Trésor, Janet Yellen, une économiste progressiste spécialiste du chômage.

Il y a urgence, car des millions de personnes risquent de tomber dans la pauvreté, et perdre tout lien avec le monde du travail, avertissent des ONG. Beaucoup pourraient en effet devoir chercher "d'autres solutions, comme se tourner vers l'économie informelle", explique Michele Evermore, de l'organisation National Employment Law Project (NELP).

- "N'importe quel emploi" -

Les Etats-Unis comptaient en octobre près de 3,6 millions de personnes sans emploi depuis au moins six mois. Cela représente 1,2 million de personnes de plus qu'en septembre, "la plus forte hausse jamais enregistrée", souligne Michele Evermore.

Ce bond correspond aux personnes licenciées en mars et avril, lorsque le pays s'était immobilisé pour tenter de freiner l'avancée de la pandémie. Les données de novembre du marché de l'emploi seront publiées vendredi, mais la hausse devrait être encore plus importante, selon cette spécialiste des questions sociales. Car les embauches sont loin d'être suffisamment nombreuses.

Les recherches d'emploi d'Eleanore Fernandez ont été vaines jusqu'à présent. Elle se dit désormais prête à "accepter n'importe quel emploi, ou aller livrer des courses ou autre, pour pouvoir payer les factures".

C'est exactement la crainte des économistes: "les travailleurs sans emploi pendant une longue période peuvent perdre leur contact avec le marché du travail, perdre leurs compétences", avait ainsi relevé le président de la Banque centrale américaine (Fed) Jerome Powell, le 17 novembre lors d'une conversation virtuelle. "Nous sommes préoccupés par les dommages à long terme sur la capacité de production de l'économie", avait-il ajouté.

Le marché du travail, avant la crise, approchait le plein emploi. Revenir à des niveaux comparables prendra des années. Et même quand l'activité aura repris, l'économie sera différente. Les emplois du secteur des services seront moins nombreux, remplacés par ceux d'un secteur technologique qui monte en puissance. Il faudra former des millions de travailleurs, ce qui prendra du temps et sera coûteux.

- Inégalités -

Mais le plus grand risque lié au chômage de longue durée est le creusement des inégalités existantes, relève Michele Evermore, évoquant les Afro-Américains victimes du "syndrome du premier licencié, dernier embauché".

Ainsi, la crise frappe alors que "certaines communautés ne se sont pas relevées de la récession précédente, comme à Flint ou Détroit", villes du Michigan (nord-est) qui avaient particulièrement souffert il y a dix ans.

Les images de familles expulsées de leur maison, sous la neige, meubles sur le trottoir, avaient marqué les esprits. "Ce ne sont pas seulement les personnes qui sont au chômage qui sont touchées, mais c'est toute leur communauté parce qu'elles n'ont pas cet argent pour le dépenser dans les magasins locaux, qui finissent par fermer", souligne-t-elle.

C'est ce qu'observe autour de lui Nadra Enzi, un Afro-américain qui vit à La Nouvelle-Orléans (Louisiane). Il est au chômage depuis avril, comme de nombreuses personnes de son entourage, et évoque "plus de tentatives de suicide, (...) plus de violences domestiques, plus de consultations chez le psychologue".

Il va plus loin, estimant que "la pandémie est aussi utilisée pour faire de la discrimination raciale", et assure avoir perdu son emploi de responsable de la sécurité à cause de sa couleur de peau. "C'est tout un nouveau champ de droits civiques qui doit voir le jour", regrette-t-il.

AFP

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