Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti défend ce texte

Justice des mineurs: une réforme délicate fait étape à l'Assemblée nationale

  • Publié le 10 décembre 2020 à 09:31
  • Actualisé le 10 décembre 2020 à 12:10

L'Assemblée nationale s'attelle à partir de jeudi à la révision d'un "totem", l'ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs, avec un projet gouvernemental contesté, perçu comme laxiste par certains à droite et déséquilibré à gauche.

Dans l'arène pour défendre ce texte préparé par sa prédécesseure Nicole Belloubet, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti assure que "cette réforme est mûre, totalement mûre". L'ex-avocat, qui rappelle volontiers avoir défendu des mineurs délinquants, fait valoir que le texte "consacre l'éducatif sur le répressif", comme depuis 1945. Mais il y a une semaine, une centaine d'avocats, magistrats, greffiers et éducateurs manifestaient devant le palais de justice de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le premier tribunal pour enfants de France, pour dénoncer la logique "répressive" du texte.

Cible de plus de 400 amendements des parlementaires jusqu'à vendredi, cette réforme prévoit d'instaurer une présomption d'irresponsabilité avant 13 ans, et d'accélérer les jugements via une procédure en deux temps avec mise à l'épreuve. L'entrée en vigueur a été reportée du 1er octobre 2020 au 31 mars 2021, en raison de la crise du coronavirus.

L'annonce surprise en novembre 2018 d'une nouvelle ordonnance par Mme Belloubet avait d'emblée provoqué une levée de boucliers des professionnels. La nécessité d'une refonte d'ampleur du texte fondateur de la justice des mineurs, amendé 39 fois depuis sa création à la Libération, fait l'unanimité. Mais le choix d'une simple ordonnance, prise en septembre 2019 par le gouvernement et que les députés sont appelés à ratifier, froisse les syndicats du secteur, désireux d'un débat de société.

- "Code de l'enfance" -

Au Palais Bourbon également, les oppositions réprouvent unanimement la forme. Mais le consensus s'arrête là. Certains en pointe à droite critiquent le seuil d'irresponsabilité pénale à 13 ans, synonyme d'"impunité", et Eric Ciotti notamment portera une série d'amendements pour durcir le texte. Le patron des députés LR Damien Abad est lui "plutôt favorable" à la réforme sur la table. Son groupe attend toutefois "des signaux forts" quant "à la réelle efficacité des mesures", tant "en matière éducative qu'en matière de préservation de l'ordre public et de la quiétude de nos concitoyens", a indiqué leur orateur Antoine Savignat.

A l'inverse, la gauche souhaiterait que la responsabilité pénale à 13 ans soit "irréfragable", que le juge ne puisse revenir dessus. Le gouvernement est en train "de transformer les mineurs en majeurs juridiques", déplore Sébastien Jumel (PCF). Son groupe ainsi que LFI estiment que le répressif domine l'éducatif, et appellent de leurs voeux un "code de l'enfance" plutôt que ce "code de justice pénale des mineurs".

Dans le détail, la procédure en deux temps pour les mineurs consistera en une première audience devant statuer sur la culpabilité dans des délais de trois mois maximum (contre 18 mois actuellement en moyenne selon la Chancellerie) et une seconde audience pour le prononcé de la sanction ou de mesures éducatives.Cette "césure" du procès pénal était une mesure phare du projet de réforme avorté de l'ex-ministre socialiste Christiane Taubira.

L'ordonnance instaure en outre un principe de "présomption de discernement", à l'âge de 13 ans et plus. En dessous, le procureur ou le juge devra motiver sa décision s'il souhaite engager des poursuites pénales. Mais il s'agit d'une mesure principalement symbolique car il n'est actuellement pas possible de prononcer une peine contre un mineur de moins de 13 ans. Plusieurs conventions internationales ratifiées par la France exigent un âge plancher. Il est prévu en outre de limiter la détention provisoire des mineurs, qui bat des records alors que la délinquance juvénile n'augmente pas depuis plus de dix ans.

En vue de la mise en oeuvre, nombre de parlementaires et de professionnels du secteur pointent une "indigence des moyens". Le ministère indique avoir "bien pris en compte les inquiétudes", avec le recrutement cette année de 72 magistrats et 100 greffiers notamment. Pour la protection judiciaire de la jeunesse, 252 emplois nouveaux ont été prévus sur 2018-2022. Et 86 éducateurs supplémentaires viennent d'être recrutés dans le cadre de la justice de proximité.
AFP

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