Il prépare l'ascension de trois sommets

Alpinisme : David Labarre, le félin malvoyant qui montre la voie

  • Publié le 13 décembre 2020 à 17:42
  • Actualisé le 13 décembre 2020 à 18:09

Qu'il marche, grimpe ou pédale dans ses Pyrénées natales, il se faufile partout et retombe toujours sur ses pattes. David Labarre, sportif malvoyant qui prépare l'ascension de trois sommets ralliés à vélo, impressionne par ses capacités d'adaptation, au point d'être raillé "d'arnaqueur" par ses proches.

"Elle me sert à être gainé, je ne vois pas où je marche." Au-dessus d'Aspet (Haute-Garonne), il pousse une botte de foin de 300 kg en pente ascendante dans des pâturages ceinturés de cimes enneigées. "C'est une salle de sport qui est très jolie", lance le vice-champion olympique 2012 de cécifoot, qui conquiert vite son auditoire par sa sincérité et son humour. Même si l'incrédulité demeure quand on voit cet homme de 32 ans descendre à VTT un sentier boueux truffé de pierres et de ronces alors qu'il n'a que 10% de vision.

"Il a un sixième sens", explique son guide de montagne et ami Frédéric Talieu, 50 ans, qui a emmené le prodige au sommet de l'Aneto (3.404 m), le point culminant des Pyrénées, en juin 2018. "Il est à l'affût de plein de choses, de l'air, du vent, des pierres." Dès son enfance dans ce Comminges dominé par le pic de Cagire, son sommet chéri (1.912 m), le diagnostic est clair: maladie de Stargardt alias rétinite pigmentaire. David Labarre ne perçoit plus que des formes ou des taches. "Avec la neige, je sais que je suis sur un chemin parce que c'est dégagé, il y a du blanc et les arbres font un contraste. L'été, j'ai beaucoup de mal à voir avec les arbres et le soleil, l'ombre et la lumière me gênent."

- La montagne "ne juge pas" -

Tout jeune, cela ne l'empêche pas de se mêler aux autres enfants à qui il parvient à faire oublier sa différence par son intrépidité. "La chance que j'ai eue, c'est d'avoir des copains +valides+. C'est moi qui me suis adapté à eux et ça, ça m'a beaucoup servi." Descentes en luge ou à vélo, batailles de boules de neige, le casse-cou a développé une ouïe, une concentration et un sens de l'équilibre tels qu'il peut aujourd'hui déjouer les pièges en selle, sur une paroi rocheuse ou une arête glacée.

Casse-cou ne veut pas dire inconscient. "Quand je pars de chez moi, je me dis toujours que c'est la dernière fois que je ferme la porte et que je ne vais peut-être pas revenir", explique le touche-à-tout qui vit dans un appartement d'Aspet quand il n'est pas en vadrouille dans un refuge ou sous sa tente. "Cela me permet de garder les pieds sur terre et de ne pas faire n'importe quoi là-haut." Pour celui que le foot a sauvé de l'échec scolaire à la sortie de l'adolescence, mais qui a fini "dégoûté" par le milieu du ballon rond, la montagne est dangereuse mais bienveillante. "Elle ne juge pas. Elle me prend comme je suis et je la prends comme elle est."

- Pionnier avec le TFC -

C'est aussi là où David se sent proche de sa mère, décédée alors qu'il avait 14 ans. Cette douleur, David Labarre en a fait une force qui l'a mené en 2012 à Londres, où il décroche l'argent aux Jeux paralympiques, et dans la foulée à l'Elysée où François Hollande le fait chevalier de l'ordre national du mérite. Sa victoire suivante sera de convaincre le Toulouse Football Club à devenir, en 2014, le premier club pro doté d'une section cécifoot. Les crampons raccrochés en 2015, David Labarre, devenu père, est revenu à ses amours enneigées après sa rencontre avec Philippe Teigny. Ce dernier a une idée: faire intervenir le champion malvoyant dans des séminaires d'entreprise. La fondation du TFC, au sein de laquelle il a gardé des amitiés, est l'autre pilier de financement de ses expéditions montées par Frédéric Talieu et Pierre Périssé, ses deux guides ariégeois qui espèrent un jour l'emmener en haut de l'Atlas, des Andes et même de l'Himalaya.

Après le Mont Blanc, vaincu à l'été 2019, Labarre s'est mis en tête de rallier en juin 2021 trois sommets pyrénéens (Vignemale, Midi d'Ossau et un troisième côté espagnol) en associant alpinisme et cyclisme - en tandem avec Frédéric Talieu - à travers quelques cols rendus célèbres par le Tour de France. Pour tenir ces deux efforts bien distincts, le Commingeois s'est entouré de Laurent Pradère, loueur de vélos et moniteur épaté par le côté félin de son nouvel ami. "Sur des pertes d'équilibre, il arrive à s'éjecter du vélo et à retomber sur ses pieds, à se fléchir, à baisser le centre de gravité. Ce sont des trucs qu'il a développés à pied sur des chemins accidentés." De quoi faire passer l'ancien footballeur pour un "arnaqueur", selon Philippe Teigny. "Il n'est pas handicapé, je ne l'ai jamais considéré comme un handicapé. Je l'ai vu une fois traverser une rue, quelqu'un voulait absolument l'aider à traverser aux clous, c'en était presque choquant. Je rappelle que ce type traverse des montagnes."

AFP

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