Féminicide

Malgré des dizaines de plaintes pour violences, Cécile, tuée par son ex-mari

  • Publié le 2 janvier 2021 à 13:14
  • Actualisé le 2 janvier 2021 à 13:54

Pour fuir les violences de son ex-mari, Cécile, 44 ans, était retournée vivre chez ses parents avec ses trois filles. En vain. Malgré des dizaines de plaintes et deux condamnations, il est parvenu à la tuer dans leur entreprise à Domont (Val-d'Oise), avant de mettre fin à ses jours.

Ce jeudi 17 décembre peu après 18h00, Dominique, 58 ans, s'est rendu, armé d'un fusil, dans les locaux de leur société d'aménagement paysager. Après avoir blessé à la jambe deux de leurs employés, il s'est retranché avec son ex-femme qui avait appelé les gendarmes. Il l'a tuée puis s'est donné la mort.

Un énième fait divers qui a encore allongé la liste des féminicides commis depuis le début de l'année en France - 146 y ont été officiellement enregistrés en 2019, 25 de plus que l'année précédente.

Une énième victime qui, pour sa famille, aurait pu, aurait dû être évitée. "Jamais je n'aurais pensé qu'il passe à l'acte", lâche aujourd'hui Pierre, 80 ans, le père de Cécile. "Il la maltraitait, la menaçait, proférait des horreurs mais je ne le savais pas capable de tuer ma fille".

Le couple s'était formé dans les années 2000. Elève ingénieure dans une école de paysage, Cécile, "belle", "pétillante" et "solaire" fait la connaissance de Dominique lors d'un stage. Il est divorcé et père de deux enfants.

Quelques années plus tard, ils se marient et fondent ensemble Verte Entreprise, qui gère les espaces verts de collectivités et de professionnels en Ile-de-France. "Dès le début, nous n'étions pas favorables à cette union, nous avions déjà entendu des rumeurs sur les violences de Dominique", se souviennent les parents de Cécile, qui n'ont pas vu leur fille pendant un an au début de la relation.

- "Il avait une pathologie" -

Certains proches parlent d'une "erreur de casting". D'autres "d'un mariage mixte". Cécile, issue "d'un milieu bourgeois", et Dominique, de 14 ans son aîné, vient lui d'un milieu plus populaire.

Après des années "heureuses" et remplies de projets comme l'achat d'un restaurant, la situation s'est "dégradée" à partir de 2016, se souviennent-ils. Sur fond d'alcool, les violences physiques et surtout verbales exercées par Dominique sur Cécile sont de plus en plus fréquentes.

"Il avait une pathologie, une démence avec des accès de violences. Parfois il se refermait, ne parlait pas pendant quinze jours et se mettait ensuite à hurler sur les employés, sur sa famille", se souvient le père, en affirmant que la seule solution était alors "de l'isoler de lui-même".

En novembre 2018, un cap est franchi. Violemment jetée par terre par Dominique, Cécile décide de quitter la maison familiale pour se réfugier chez ses parents avec ses filles. C'est le début d'une longue liste de plaintes déposées à la gendarmerie et d'un processus de séparation.

"Violences, harcèlement, détournement de fonds, les enfants non rendus... Ma cliente a déposé plus d'une vingtaine de plaintes contre son ex-mari", détaille l'une des avocates de Cécile, Me Sonia El Midouli. "Les gendarmes nous riaient au nez, on n'a jamais été pris au sérieux", ajoute, en colère, Pierre.

- "La justice a failli" -

Pourtant, Dominique a déjà été condamné à deux reprises. En 2019, il écope même de douze mois de prison avec sursis pour violences. Puis en septembre 2020, à trois mois fermes avec révocation partielle du sursis pour avoir craché sur son ex-épouse et ses employés en avril.

Mais en vertu d'un aménagement de peine, Dominique n'est pas incarcéré. "Pendant deux ans, j'ai accompagné ma fille sur son lieu de travail car elle ne se sentait pas en sécurité", explique Pierre.

En 2019, Cécile fait une demande de protection pourtant refusée par le juge des affaires familiales, qui estime qu'elle n'était pas en danger dans l'entreprise. Ces derniers mois, cette fervente catholique et très impliquée dans la paroisse de Domont, "pensait s'en être sortie". Elle "avait baissé la garde", focalisée sur l'entreprise qu'elle "tenait à bout de bras", regrette son père.

Dominique, lui, était de plus en plus isolé, "dépossédé de tout", plaide son avocate Me Maryam Hajji. "Rejeté" par ses employés, son ex-femme et ses trois filles. Elle veut voir dans la mort de Cécile et celle de son client le "geste de désespoir d'un homme acculé".

A l'heure où les associations féministes pressent le gouvernement de renforcer encore l'arsenal contre les violences faites aux femmes, le père de Cécile n'en démord pas. "Le système judiciaire a fait au mieux mais a tout sous-évalué et a failli. Les gendarmes savaient par exemple que Dominique avait un fusil", dit-il. "On a laissé un homme dangereux en liberté".

AFP

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