Réforme du baccalauréat

Épreuves communes de contrôle continu : entre fantasme et réalité...

  • Publié le 14 février 2020 à 10:34

Les élèves de première passent actuellement et depuis le 3 février 2020 les épreuves communes de contrôle continu, appelées E3C. Elles font partie de la réforme du bac. Plusieurs matières sont évaluées dès la classe de première pour les filières générale et technologique. Cette nouveauté, expérimentée pour la première fois cette année, fait couler beaucoup d'encre. Entre inexactitudes et a priori, les E3C sont finalement assez méconnus.

Depuis le début de la semaine, plusieurs professeurs du lycée Bois Joly Potier au Tampon ont manifesté devant les grilles pour s'opposer aux E3C, les épreuves communes du contrôle continu. Ces enseignants grévistes demandent leur annulation comme épreuves du bac.

Entre enseignants et élèves mécontents, et ceux au contraire qui affirment que cette réforme est une bonne chose, on ne s'y retrouve plus.

De nombreuses informations circulent à propos de ces épreuves expérimentées pour la première fois et de ce fait encore méconnues. 6.545 candidats sont concernés par ces épreuves dans l'Académie de La Réunion cette année.

• Un bac qui n'a plus rien de national ?

C'est le reproche premier des enseignants grévistes. Corinne Peyré est enseignante au lycée Bois Joly Potier et secrétaire académique du SNES FSU Réunion. Elle maintient que le terme est inapproprié. "On appelle encore ça un baccalauréat national. Pourtant chaque lycée s'organise différemment."

De fait les E3C sont composés de deux sessions, la première se déroule en ce moment, et la deuxième entre avril et juin. "Il faut de toute façon que les élèves puissent avoir accès à leurs notes avant le 12 mars pour la première session et le 12 juin pour la seconde, c'est un calendrier national", rappelle Pascal Schrapffer, en charge de la réforme des lycées sur l'Académie de La Réunion.

Mais durant ces deux périodes, il est vrai que chaque établissement s'organise comme il veut. "Faire ces épreuves à des dates différentes prouve bien que c'est un bac local" estime Lucile Charreyron, professeure d'espagnol, elle aussi au lycée Bois Joly Potier. "Et étant donné que les lycées font comme ils veulent ça entraîne des problèmes d'organisation. Les élèves ont obligatoirement des épreuves d'une heure en espagnol or certains se plaignent de n'avoir eu droit à 50 minutes. D'autres ont pu voir la vidéo de l'épreuve 4 fois alors que c'est 3 maximum." Autant de "couacs" liés aussi à la première expérimentation de ces E3C.

Le rectorat maintient de son côté que ce bac est bien national. Les deux périodes sont définies et les matières restent les mêmes : histoire-géographie et langues, maths en plus pour les séries technologiques. La souplesse liée aux dates des épreuves est vue comme une liberté accordée aux lycées afin de gérer l'organisation en interne.

• Des problèmes de calendrier ?

A La Réunion, les vacances d'été austral sont différentes des vacances de Noël des élèves métropolitains. De fait la rentrée en janvier est plus tardive.

"Des épreuves deux semaines après la rentrée de l'été austral, pour nous c'est trop tôt, les élèves ne sont pas prêts" estime Corinne Peyré. Le rectorat y voit au contraire un avantage : avoir plus de temps pour réviser.

C'est également l'avis d'Angide, 16 ans, élève de première passant en ce moment les E3C. "Il a eu tout le temps de travailelr pendant les vacances" nous dit sa maman.

Un autre élève, Thomas*, estime au contraire avoir été surchargé de travail. "Heureusement que j'ai commencé pendant les vacances sinon je n'aurais pas eu le temps, car les professeurs malgré nos E3C continuent de nous donner des devoirs donc il fallait gérer !"

• Ni contrôle continu ni véritable examen ?

Les E3C étant considérées comme des épreuves de contrôle continu, elles se déroulent en parallèle des cours. Pour les élèves comme pour les professeurs la navette entre les deux n'est pas toujours évidente.

"Moi j'ai des élèves qui ne comprennent pas pourquoi elles ont à la fois des épreuves et des devoirs à faire en même temps !" déplore Antoine Laurenti, professeur de maths aux Avirons. "Le principe des examens c'est que tout le reste s'arrête."

Car en effet pour l'enseignant, "ces E3C ça n'a rien d'un contrôle continu, on nous trompe ! Ce sont de vrais examens, mais qui ne se déroulent pas comme des examens" s'indigne-t-il. "Dans certains établissements, on a bien un élève par table, dans d'autres on a 35 élèves dans une classe, surveillés par un seul enseignant."

Notre élève Thomas est d'accord. "Nous n'étions pas dans des conditions d'examen c'est-à-dire que nous étions à deux sur une table, sans horloge."

• Un "demi-anonymat" ?

Parce que les E3C s'éloignent du bac traditionnel, certains craignent justement des répercussions sur l'anonymat des candidats. Jean-Paul Paquiry, de FO Enseignement, a peur que "les professeurs finissent par corriger les copies de leurs élèves."

A ce sujet, Pascal Schrapffer est catégorique. "Les copies sont numérisées via le logiciel Santorin. Les élèves sont identifiés par des numéros de candidats, et surtout pas les noms. Deuxième sécurité : sur le logiciel, la classe de l'élève est assimilée à son numéro. La machine rejette automatiquement le professeur de cet élève pour corriger sa copie."

Les candidats ne peuvent donc pas être corrigés par leurs professeurs. Mais selon Antoine Laurenti, ce système a des limites pour les petits établissements. "Nous c'est simple en STMG il y a deux classes. Donc les élèves que je ne vais pas corriger, je les ai eus en seconde. On reconnaît forcément des écritures. C'est du pseudo-anonymat."

• Une charge de travail supplémentaire pour les profs ?

Les enseignants que nous avons interrogés se disent profondément inquiets et fatigués. "C'est du travail en plus, il faut préparer les sujets et le corrigé pour le professeur qui corrigera la copie, mais aussi des notes et indications dans ce corrigé" note Antoine Laurenti.

Thomas a constaté ces problèmes d'organisation : "pour moi c'est du grand n'importe quoi car les informations arrivent à la dernière minute donc c'est vraiment dur ! La preuve on a eu les sujets seulement en décembre, à 2 mois de nos épreuves ! On nous avait dit à la rentrée que les épreuves seraient mi-février puis finalement on apprend en rentrant que c'est la semaine suivante, le 3 février. En histoire mon professeur nous a avoué qu'il n'avait pas eu le temps de faire un cours complet. Bref, je n'étais pas assez préparé."

Samantha, 16 ans, l'a beaucoup mieux vécu. Exigeante, "elle a appris tous ses cours par cœur et s'en est bien sortie apparemment", nous raconte sa mère. "Elle a bien compris les sujets et a trouvé le test facile, reste à attendre les résultats !"

En tant que parent d'élève, elle ajoute : "c'est vrai que c'est encore un peu brouillon, c'est bizarre pour nous parents et pour les enfants, ils sont comme les cobayes de ce nouveau bac. Mais comme je dis, faut essayer avant de dire que c'est pas bon..."

Samantha remarque quand même que ses professeurs sont déboussolés. "Lorsqu'on voit que même nos professeurs ne savent pas répondre à nos questions c'est qu'il y a forcément un problème quelque part. On a un programme très chargé pour un délai très court, ce qui fait que les professeurs se pressent, et on a parfois du mal à comprendre les leçons... Pour ne pas perdre de temps, ils disent toujours "Voyez ça chez vous" mais une fois chez nous ça n'arrange rien" raconte-t-elle.

• Un bac dévalorisé ?

Pour favoriser la préparation des élèves, les sujets sont consultables en ligne. Notre professeure d'espagnol Lucile Charreyron est dépitée : "les sujets sont tirés d'une banque nationale mais sont accessibles à tous ! Les candidats y ont accès. Ce n'est pas très égalitaire."

A ce sujet l'Education nationale répond que c'est un faux problème à partir du moment où les sujets se comptent par dizaines pour chaque matière. Le secret ne serait donc plus de mise à partir du moment où ce n'est pas un sujet unique par filière, comme dans l'ancienne version du bac.

Pourtant cette méthode dévalorise le bac selon l'enseignant Jean-Paul Paquiry. "Le bac évalue normalement 3 années de formation. La nouvelle formule ne prépare pas bien les élèves, il y a un trop gros écart avec l'exigence demandée en université par la suite. Aujourd'hui le niveau bac ne veut plus rien dire."

Pour le rectorat c'est au contraire une manière de s'adapter aux moins "scolaires" qui réagissent mal à la pression. Sur ce point chaque élève est différent. Certains verront une surcharge de travail quand d'autres seront soulagés de quitter l'aspect stressant du bac traditionnel.

Angide, 16 ans, estime que c'est "moins stressant de travailler sur des contrôles continus que de passer une seule "grosse" épreuve. Le système de contrôle continu est intéressant, même sous la forme d'épreuvees, car souvent le stress peut faire perdre les moyens à un bon élève lors du bac."

mm / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

Pour aller plus loin :

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