Fyer zot lidantité

Seychelles : kréol or not kréol, la revendication d'une culture en péril

  • Publié le 29 octobre 2018 à 03:00
  • Actualisé le 29 octobre 2018 à 06:04

"Fyer nou lidantité !" est dans toutes les bouches et placardé sur tous les murs de Viktoria. Le festival Kreol des Seychelles, le plus grand événement culturel du pays s'achève dans quelques jours. Partout dans l'île de Mahé on se revendique créole, culture et traditions sont chantés, dansés, racontés. Pourtant, cette créolité s'érode petit à petit, grignoté à coup de blockbusters, de burger-pizza, de réseaux sociaux ou de pop music..., bref des rouleaux compresseurs culturels. D'une mère de famille à un prêtre catholique en passant par une ministre, des Seychellois racontent à Imaz Press ce que "créolité" au XXIème siècle signifie ("Kréol or not kréol" "créole ou pas créole" - ndlr).

"Elles ne veulent pas de ces vieilles traditions" Laeti Mae, mère de deux adolescentes

Dans le sable de la plage paradisiaque de Beauvallon, Laeti Mae profite des festivités de la semaine Kréol. Hier la sérénade, aujourd’hui des concerts, des concours de casseurs de coco, des stands de nourriture, des jeux pour les enfants.  Pour elle, la créolité est plus qu’une culture revendiquée, c’est un sentiment, qui se vit au jour le jour. " Elle se perd surtout chez les jeunes.

Aujourd’hui c’est un jour spécial alors tout est créole : la cuisine, les jeux, la musique, la danse… Mais demain ? Tout sera parti. " Avec ses deux filles de 16 et 21 ans, Laeti Mae observe bien ces changements. Une génération les sépare, tout un monde pour les trois seychelloises. La mère cuisine créole, a été éduquée créole, connaît parfaitement sa culture. Ses deux adolescentes pianotent le téléphone, parle des réseaux sociaux, des célébrités américaines qui font la une d’Internet. " Je ne leur apprend pas vraiment ce que créolité signifie, dit la maman en riant. Regardez-les, vous voyez bien qu’elles ne veulent pas de ces vieilles traditions ! Elles veulent toutes les nouvelles technologies, celles qui sont à la mode… "

En cuisine, Laeti Mae préparent à ses filles de bons petits plats créole… Est-ce qu’elle apprennent la gastronomie avec elle ? " Non, rit elle de plus belle, si elles cuisinent c’est frite-poulet, nuggets, burger, pizza ! A l’européenne. " Laeti Mae désespère un peu de pas pouvoir leur faire manger ne serait-ce que du poisson…

"Les jeunes s’intéressent aux nouveautés," Luna, cuisinière

Un peu plus loin, Luna, une cuisinière de bons petits plats aux saveurs coco, astique ses couverts avant de tout plier. Sur sa chaise, elle évoque la gastronomie, les épices, les odeurs. " Je cuisine tout : le riz, le kary coco, la dobe, la soupe, la grillade, " explique-t-elle. Son stand n’attire pour tant pas beaucoup. C’est même plutôt calme. " Nous sommes dans la semaine Kréol mais je trouve qu’il y a peu de personnes qui vend de la nourriture créole, désespère-t-elle. Les jeunes s’intéressent aux nouveautés, peu aiment les plats créoles. "

"Les gens se retrouvent et prient dans leur langue maternelle,"  Père David

Dans une église bombée, Père David commence son sermon. C’est une journée spéciale, pour le festival, tout est en langue créole. Toute la messe. Des chants aux psaumes. Tout. Père David nous parle d’identité, de l’importance et de la fierté d’être créole. " Nous voulons faire l’effort de célébrer des messes dans cette langue plus souvent dans l’année " nous confie ce prêtre qui officie à la cathédrale de l’Immaculée Conception de Viktoria. " Nos messes sont normalement dans les trois langues : le français, l’anglais et le créole seychellois, " indique-il. Aujourd’hui, les bancs sont plein : pour Père David, une telle affluence est significative : " les gens se retrouvent et prient dans leur langue maternelle. "

"Dans la vie de tous les jours on célèbre le créole !" Judette-Maria

" Ici nous prenons notre créolité à cœur, dans la vie de tous les jours on célèbre le créole ! En octobre, on le célèbre avec tout le monde, internationalement, " explique Judetta-Maria venu participer elle aussi aux célébrations de la semaine créole sur la plage de Beauvallon. " Mais les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas la culture créole. C’est plutôt la culture internationale, " poursuit-elle. " Les jeunes par exemple, ne jouent plus aux jeux traditionnels : ma fille a son téléphone, son ordinateur, internet. " Judetta Maria ne le regrette finalement pas " avant on ne savait pas ce qui se passait à l’extérieur, ce n'est pas le cas de nos marmailles aujourd’hui. "

"Nous ne voulons pas perdre notre identité", la ministre de la culture Macsuzy Mondon

" La culture créole est en danger ! Aux Seychelles nous faisons un effort spécial pour protéger la langue, mais il faut faire plus ! La protéger d’avantage, " souffle la ministre seychelloise de la culture Macsuzy Mondon.

Sur l’archipel, le créole est déjà une langue d’enseignement pour les touts petits de maternelle et de primaire. Les marmailles apprennent à parler créole, à le lire, à l’écrire. " Nous faisons tout ce que nous pouvons pour sauvegarder notre langue. Il ne faut pas baisser les bras et continuer de la protéger et de la promouvoir dans toutes les îles créolophones, " ajoute la ministre. Le pays a trois langues officielles, le français, l’anglais et le créole. Macsuzy Mondon rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, tout était fait dans le langue de Molière : les messe, l’enseignement… " Aujourd’hui nous avons des messes en créole : c’est un pas en avant, " ajoute-elle.

Pour la musique et la danse traditionnelle comme le moutia (le maloya local) ou le sega, les mêmes efforts sont appliqués. Les petits apprennent les pas et les rythmes. Des établissements scolaires ont d’ailleurs défilé dans la Sérénade du festival organisé samedi 27 octobre dans les rues de Viktoria. " Nous ne voulons pas perdre notre identité et nos traditions culturelles, " résume la ministre. Car si le Festival Kréol est une célébration à la créolité, il est aussi une campagne de sensibilisation aux traditions.

Lire aussi => Seychelles: le festival Kréol ou l'hymne aux identités de l'Océan Indien

Noémie Tissot/www.ipreunion.com

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1 Commentaires
Dldlp
Dldlp
5 ans

Vive nous !