Alcool chez les jeunes - Le "binge drinking" s'installe dans l'île

Ils trinquent parfois jusqu'à la mort

  • Publié le 17 janvier 2012 à 07:30

Descendre le maximum de bouteilles d'alcool le plus rapidement possible jusqu'à l'ivresse... Depuis quelques années, le "binge drinking", ou "alcool défonce", "biture express", pour les initiés, fait des ravages dans les soirées des 15-25 ans en métropole, allant du coma éthylique, aux accidents, voire même jusqu'à la mort. Véritable problème dans les pays anglo-saxons, ce phénomène ne fait pas exception dans l'île. Selon David Mété, chef du service addictologie au CHR (Centre hospitalier régional) à Bellepierre (Saint-Denis), cette "façon de boire à l'anglo-saxonne" gagne de plus en plus du terrain à La Réunion.

"On a tout simplement envie d'être défoncé en soirée", lâche Lucy. Âgée de 25 ans, la jeune femme est une adepte du "binge drinking". Une pratique qu'elle a connu lorsqu'elle a démarré ses études à l'Université. Comme Lucy, nombreux sont les adolescents ou jeunes adultes à s'initier à l'hyperalcoolisation sur l'île. Le but : s'enivrer le plus rapidement possible, bien souvent, avec plusieurs types d'alcool mélangés. Un phénomène qui selon, David Mété, chef du service d'addictologie au CHR à Bellepierre, et Christian Daffreville, addictologue à l'A.N.P.A.A (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) 974, prend du terrain dans l'île et qui touche aussi bien les jeunes adultes que les adolescents. Ce que confirme Malika et Camille, 17 ans, scolarisées en terminale. Elles affirment ne pas participer à ces soirées.

Sans détours, Lucy avoue qu'en compagnie de son groupe d'amis, ils descendent en soirée, bouteille sur bouteille. Vodka, téquila, bière... Tout y passe. "Vomir est tout à fait normal", commente la jeune femme. Elle pointe "un cercle vicieux", où pour certains, "sortir sans boire une goutte d'alcool est complètement impossible". "Je connais même des personnes qui détestent la boisson mais qui se forcent à boire cul sec pour ne pas sentir le goût. Certaines de mes amis n'hésitent même plus, elles vont jusqu'à vider les verres qui traînent sur les tables", confie l'étudiante. Elle conçoit: "cela devient parfois ridicule".

Si Lucy parle avec autant de facilité, il n'en ai pas de même pour certains "binge
drinker", qui préfèrent nier leur acte. D'où la difficulté de quantifier le phénomène.

"On assiste parfois à des concours de consommation aigüe: à celui ou celle qui vomit le plus ou qui a eu la plus grosse cuite", explique Christian Daffreville. Il note que ce genre de pratique, très présent dans le milieu lycéen et étudiant, est lié à un phénomène d'imitation et devient de plus en plus présent en raison du développement des moyens de télécommunications. "Je suis convaincu que certaines images que nous retrouvons sur internet y participent", insiste-t-il.

Il explique que "dans la prise de produits, les jeunes vont rechercher à surpasser leur adolescence". "Ces adolescents ont un sentiment d'invulnérabilité. Ils ne sentent pas concernés par les risques. Il y a un besoin de transgresser les interdits des parents et de la loi ou encore de se sentir exister" commente David Mété.

Le chef du service addictologie du CHR à Bellepierre, précise que le "binge drinking" touche tous les milieux, même si toutefois les "produits ne sont pas forcément les mêmes".

Mais cette recherche d'"hyperalcoolisation" n'est pas sans danger. Prise de risques sexuels, accidents, comas éthyliques... Telles sont les conséquences auxquelles les adeptes du binge drinking s'exposent, rapporte David Mété. Certains y laissent même leur vie, à l'image de cet adolescent de 16 ans décédé lors d'une fête chez une camarade, près d'Albertville en Savoie en décembre 2011. Il avait 4,5 g d'alcool par litre de sang. Plus récemment dans l'île, c'est un jeune de 14 ans qui a été pris en charge par les secours un soir de réveillon de la Saint-Sylvestre. Il avait sombré dans un coma éthylique au cours d'une trop arrosée sur la plage de l'Ermitage.

Pour sa part, Lucy et ses amis se disent "conscients de ne pas mêler alcool et conduite". "Si l'on peut rester sur place, on se déchire la tête", confie-t-elle.

Concernant d'éventuelles solutions pour contrer ce phénomène, Christian Daffreville affirme que seules les lois peuvent limiter la consommation mais elles peuvent être détourner. Il préconise le traitement par la prévention, "en faisant en sorte que les adolescents soient rassurés et aient une meilleure estime d'eux". L'addictologue de l'A.N.P.A.A 974 regrette qu'il y ait "beaucoup de communication sur les cancers liés à l'alcoolisme ou autres complications à long terme" et "peu sur les risques aigus". "Ponctuel ne signifie pas anodin", termine-t-il.

Selon l'observatoire régional de santé, à La Réunion, plus de 8 jeunes sur 10 ont expérimenté l'alcool, et plus de la moitié en ont bu récemment.

Émilie Sorres pour
guest
0 Commentaires