Océan Indien

Les Comores entre coopération et préventions sécuritaires

  • Publié le 20 octobre 2014 à 05:15

Moins d'un mois après le IVe Sommet des Chefs d'Etat de la Commission de l'océan Indien qui s'est tenu fin août en Grande Comore, le quai d'Orsay plaçait les Comores, et 10 autres pays, sur la liste des destinations "à risques", où les ressortissants français peuvent être soumis au risque d'actions djihadistes. Une prévention consécutive à l'entrée en guerre de la France contre l'organisation terroriste nommée Etat islamique. Cette mesure n'a pas remis pas en cause les différentes actions de coopération franco-comoriennes, qu'elles procèdent de Paris, comme une nouvelle annulation de la dette comorienne à hauteur de 4,9 millions d'euros - après celles du Club de Paris (*) 8,06 millions de dollars en février 2013, et les 6,8 millions de dollars de l'accord de réaménagement entre la France et l'Union européenne, en juin de la même année - ou de La Réunion, à l'instar de convention qui vient d'être signée au Palais de la Source par Anjouan, Ngazidja (Grande Comore), Moheli et le conseil général. Une convention à large spectre qui porte sur des secteurs d'importance, tels que l'agriculture, le médico-social, l'insertion des jeunes, l'éducation, l'eau et l'assainissement, la sécurité civile ou encore l'environnement (Photo archives ipreunion : l'île d'Anjouan).

Néanmoins les sujets épineux ne manquent pas, tous liés aux classiques questions de souveraineté portant sur les îles Éparses du canal de Mozambique, de vieux contentieux entre la France et les Comores (Mayotte), réactivés par les perspectives d'exploitation du gigantesque gisement de gaz naturel profond qui s'étend du Mozambique à l'archipel des Comores, dans des eaux où se chevauchent périmètres de zones économiques exclusives, plus ou moins bien établis et validés, revendications de souveraineté, et appétits des multinationales du pétrole, plus puissantes que les États concernés.

Et les diverses initiatives de coopération doivent se lire comme autant de mesures visant à "lisser" les relations diplomatiques entre la France, dans sa dimension india-océanique, et l'État comorien campé sur ses prétentions territoriales.

"Mettre fin intelligemment à ce génocide…"

Les Comores revendiquant leur souveraineté sur Mayotte - quand bien même les Mahorais ont fait valoir à plusieurs reprises leur volonté à disposer d'eux-mêmes - les politiques étrangères comorienne et françaises vivent sur des fictions politico-géographiques inversées, dont la première fait de Mayotte l'une des composantes du territoire comorien. La vision comorienne est soutenue par les instances décolonisatrices de l'ONU, qui se fondent sur une lecture des faits qui légitime le refus par l'Etat comorien de s'opposer à une émigration incontrôlée, peu ou prou utilisée comme une arme diplomatique paradoxale.

Aux Comores, réflexe nationaliste oblige, on brandit les "vingt mille morts" du trafic des kwassa kwassa, présentés comme autant de victimes de la politique coloniale de la France et du "visa Balladur", instauré en 1994, pour limiter le flux migratoire clandestin.

À plusieurs reprises, le gouvernement comorien a refusé d'accueillir ses ressortissants "rapatriés". Le secrétariat d'Etat à l'outre-mer français indique ainsi que, "en 2007, les reconduites en bateau comme par voie aérienne vers Anjouan ont été à plusieurs reprises longuement suspendues". Ce fut à nouveau le cas en avril 2008, lors de la fuite en France du colonel Bacar, suite à son renversement par les forces comoriennes.

Plus récemment, le 1er août dernier, dans son discours de l'Aid-el-fitr, ainsi que le relatait ipreunion.com, le chef de l'exécutif d'Anjouan, le gouverneur Anissi Chamsidine, exprimait sans ambage son analyse de la crise migratoire : "A la compassion (Ndlr : référence induite par le crash d'Air Algérie dont le bilan est ici comparé avec celui des kwassa kwassa) doit succéder non la politique politicienne et la haute diplomatie mais la conscience humaine pour mettre fin intelligemment à ce génocide (sic) qui ne dit pas son nom. Je propose surtout qu'à l'occasion d'une commémoration de ces drames, nous Comoriens, prenions tous les kwassa qui existent dans le pays et qu'on y embarque par cinq en direction de Mayotte pour voir quelle sera la réaction du gouvernement français…" Et de fonder cette position un brin provocatrice sur cette explication : "Tenter d’empêcher une embarcation qui veut se rendre à Mayotte serait en violation avec notre propre loi, car Mayotte est comorienne."

Si on déplore tant aux Comores qu'en France le tragique bilan humain de la Lampedusa de l'océan Indien, personne n'entend céder officiellement sur la question mahoraise ; et ce "contentieux" est récemment entré dans une nouvelle dimension, le régime du président Ikililou Dhoinine ayant mis en vente, en début d'année, des permis d'exploration pétrolière empiétant sur Mayotte et la zone économique exclusive qui lui est rattachée. Parallèlement, la Fondation Clinton s'intéresse aux Comores, signe des accords avec Ikililou Dhoinine, et s'engage à apporter son savoir-faire en matière de développement stratégique des ressources des hydrocarbures…

"Le Comorien d'Al-Qaïda"

Dernier point d'achoppement opposant France et Comores, notamment au travers de la COI, la sécurité. Le projet d’échanges d’informations qui devait être formalisé lors du dernier sommet des chefs d'Etat n'a pas fait pas consensus. Tout particulièrement côté comorien. De fait, sur fond de tensions internationales et de terrorisme islamiste, la révélation récente d'un trafic de passeports comoriens perpétrée sous couvert de "citoyenneté économique" par le très sambiste ambassadeur des Comores à Abu Dhabi, Zoubeir Ahmed Soufiane, avec la possible complicité de la Direction nationale de la sûreté du territoire (DNST), laisse augurer de sérieuses failles dans la sécurité régionale et internationale.

Des centaines voire des milliers de passeports auraient été commercialisés sans aucun contrôle aux Emirats arabes unis, générant depuis 2008, des millions d'euros de bénéfices occultes et des centaines de faux citoyens comoriens, parmi lesquels de vrais trafiquants de drogue, et qui sait d'authentiques djihadistes en mal d'identité. Le souvenir de Fazul Abdullah Mohammed, "le Comorien d'Al-Qaïda", chef de l'internationale terroriste dans la corne de l'Afrique, notamment impliqué dans les attentats des ambassades américaines de Nairobi (Kenya), Dar es Salaam (Tanzanie), et les attentats anti-israéliens de Mombasa, a laissé de mauvais souvenirs. D'autant qu'il s'appuyait tant en Afrique de l'Est qu'aux Comores, sur des appuis familiaux et communautaires.

En revanche, il convient de rappeler avec le FBI, que l'Etat comorien a toujours été demandeur d'aide face aux risques de contagion terroriste, à une idéologie profondément étrangère aux traditions locales, tant religieuses - les Comores ont toujours pratiqué un islam de lettrés - que sociales. Et si les Américains ont raté de peu Fazul Abdullah Mohammed à Moroni en 1998, c'est bien parce qu'ils ont mis trois semaines à répondre à l'invitation du gouvernement comorien à venir l'appréhender.

Philippe Le Claire pour Imaz Press Réunion

(*) Le Club de Paris est un groupe informel de créanciers (25 pays développés en sont membres permanents) qui a pour but de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiements de nations endettées

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1 Commentaires
nasada
nasada
9 ans

Nous avions Fazul comme terroriste mais en France,il y a en beaucoup qui s'aventurent.Pourquoi placer les Comores parmi les pays à risque???Ce n'est pas normal que les gens s'enferment à huit clos pour décider au détriment des autres.