Social - Plaine des Cafres

Sicalait : Dekokère viré, et après ?

  • Publié le 14 décembre 2014 à 10:16

Le conflit social de la Sicalait n'a pas traîné, le directeur Olivier Dekokère, dont les salariés, et une partie des éleveurs demandaient la tête, a sauté, satisfaisant les revendications épidermiques du moment. Il est vrai que l'intéressé présentait le profil du fusible parfait, allogène comme diraient des Corses, peu frotté aux façons réunionnaises, et vraisemblablement trop rustique dans sa gestion des rapports humains pour ne point susciter l'énervement du personnel, à La Réunion, mais aussi en métropole. Pour être un bon patron il faut aussi être diplomate, et à La Réunion on ne joue pas sur le sentiment de respect, partagé. Reste que M. Dekokère parti, lâché par les administrateurs finalement assez plastiques, chacun sait à a Sicalait, que la catharsis sera éphémère. La crise qui mine cette coopérative, depuis dix ans au moins, ne doit que peu de chose à la personnalité d'Olivier Dekokère.

Il n'est en aucun cas responsable de la situation sanitaire du cheptel, des fautes et incompétences qui l'ont suscitée, des artifices mis en œuvre par les responsables de la filière, avec la complicité de l'administration, pour ne point appliquer à La Réunion des règlements sanitaires qui valent en métropole et en Europe.

Tout comme M. Dekokère n'est pas responsable de la faillite des éleveurs laitiers, incapables de sauver leurs entreprises ou réduits dans le meilleur des cas à vivre de l'aide sociale. Le compte-rendu de la réunion Leucose bovine enzootique, du 7 novembre dernier, fait état de témoignages bien antérieurs à la prise de fonction de M. Dekokère, ainsi, ceux des éleveurs membres de l'Adefar, tel Pascal Ethève, son président, qui, à la tête d'un cheptel de 40 vaches, "a observé une surmortalité à partir de 2003" qui l'a conduit à abattre en 2008 ses derniers animaux.

Idem pour "Joseph Payet, ex éleveur SICAREVIA puis adhérent SICALAIT à partir de 1997 (42 vaches laitières) a quant à lui observé une surmortalité à partir de 2002, sachant qu'il a dû fermer son élevage en 2003…"

Et Stéphane Hoarau, éleveur,  qui "face à ses difficultés financières actuelles  (…) s'est vu proposer l'étalement de ses dettes et l'attribution du RSA…". M. Hoarau qui "indique toutefois ne pas pouvoir faire l'acquisition de bêtes saines et souhaite pouvoir vivre dignement de son métier d'éleveur."

A ces témoignages, on pourrait ajouter le rappel de faits antérieurs, rendus publics par voie de presse, et qui s'ajoutent au réquisitoire qui peut être monté contre les responsables de la Sicalait, et de l'ensemble de la filière, services de l'Etat y compris.

Ainsi, en mai 2008, Gérard Coustel, inspecteur général de la Santé communiquait dans les salons de la préfecture, en l'absence des éleveurs restés à l'extérieur, sur un rapport "relatif à la filière lait à La Réunion", suite à une mission "transparence" diligentée quelques temps plus tôt sur nos terres exotiques, sous l'égide de la Direction des Services Vétérinaires (DSV), entre autres bonnes fées. Un discours surréaliste, qui permettait d'affirmer sans rire que sur le plan sanitaire, la situation du cheptel était "très bonne", en dépit "d'une surmortalité plus importante qu’en métropole". Et de préciser que  "les maladies contagieuses ont une faible incidence dans ces mortalités, alors que les facteurs liés à la conduite et à l’environnement de l’élevage - alimentation, accidents, lutte contre les vecteurs - sont de première importance…"  Autant traiter les éleveurs de buses ou les qualifier de parfaits ahuris.

Processus de ruine programmée

Autre merveille révélée par M. Coustel en ce temps-là, l'une de ces maladies, l’IBR (rhino-trachéite infectieuse bovine), importée par la filière en 2003, par bateau, avec un lot de bêtes infectées et par la suite distribuées en l'état aux éleveurs, n’aurait pas eu d’incidence négative sur la productivité des élevages. 

Le fait est que ces maladies, de la Leucose à l'IBR, en passant par La fièvre Q, la brucellose, les infections graves à Coxiella burnetii, entre autres affections jugées anodines pendant une décennie, ont sérieusement affaibli la filière lait, qui, après avoir culminé à 24,6 millions de litres, en est aujourd'hui réduite à 19 millions. Par ailleurs, l’atelier génisses qui était présenté comme "un levier fondamental pour permettre, la conservation des génisses locales, la création d’élevages nouveaux, la croissance des cheptels, améliorer le revenu des exploitations en leur permettant de consacrer toutes leurs surfaces à la production laitière", est en situation d'échec total. Quant au nombre d'éleveurs, il était de 151 en 2000, il n'en restait que 73 en 2013. Quid de ceux qui ont fait faillite ? Devront-ils passer en pertes et profits d'une filière qui dévore ses producteurs ? 

Les "survivants", dont certains voient leur entreprise témoigner d'une santé économique plus que fragile, vivotant avec des revenus étiques, vont-ils longtemps subir ce processus de ruine programmée, sur la fois de business plan dignes de la Perrette de la fable au Pot au lait ? La chose paraît peu vraisemblable.

On a trop longtemps menti aux éleveurs, et aux Réunionnais, y compris sur les cas de d'encéphalite spongiforme bovine. La Réunion en aurait été indemne, selon la DSV. C'est faux. Des bêtes importées par mer de métropole et qui avaient été en contact avec l’encéphalite spongiforme bovine ont été abattues à La Réunion comme en témoigne cet extrait de rapport officiel "Ces génisses ont été réquisitionnées par arrêté préfectoral, conduites lors du week-end hors information des médias et du public à la SEDAEL par le docteur vétérinaire en chef de la DSV Monsieur Galibert pour être euthanasiées et enterrées avec des précautions légales, en présence de Monsieur Arginthe, président de la SICA-revia, Monsieur Auge, directeur de la SICA-revia, Monsieur Mounouchetty Rupert, président de l’EDE et du GDSR…" Ces animaux provenaient d’un élevage contaminé de métropole, celui de Jacques Sabarly de Montaigut Le Blanc. Depuis, on n'importe plus de bêtes, il n'y a pas de cheptel reproducteur et seule l'insémination artificielle est pratiquée. On ne peut rien exporter non plus. Et si la leucose n'est plus une priorité à La Réunion, par l'opération du saint-esprit et un tour de passe-passe dérogatoire administratif, mais sans doute illégal, elle continue de sévir et d'affaiblir les bêtes, les comptes des éleveurs.

Le fond du dossier Sicalait reste à traiter

La crise de la Sicalait transparaît dans la motion que les élus de la Chambre d'agriculture ont adoptée le 5 décembre dernier, par laquelle ils demandent que soit réactivée la procédure d'autopsie des ruminants, abandonnée depuis 2007, de façon à disposer d'une vision réelle sur les causes de la surmortalité endémique des ruminants réunionnais. Ils exigent encore que soit lancé un plan départemental d'étude épidémiologique permettant de définir scientifiquement les conditions de régulation des maladies du bétail. Ils souhaitent encore que soit mis en œuvre, à destination des éleveurs survivants, un programme de formation technique sur les aspects sanitaires de la conduite des élevages. Enfin, ils entendent qu'une réflexion soit conduite sur le modèle d'élevage qui doit être pratiqué à La Réunion. 

Des vœux en pleine conformité avec les desidarata formulés par le Directeur Général de l'Alimentation, Patrick Dehaumont, lors de sa récente visite à La Réunion,et qui préconisent : "un appui méthodologique avec le soutien d'un épidémiologiste de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et de la Direction générale de l'alimentation. L'augmentation du rythme des visites sanitaires bovines (actuellement sur un rythme biennal) financées par l’État au bénéfice de l'éleveur. L'exploitation des données en abattoir (équarrissage). La nécessité de disposer d'un laboratoire accrédité au niveau local…"

Le Directeur Général de l'Alimentation précisant que "c'est sur cette base que pourra être construit un plan d'action - dans le cadre du  Conseil Régional d'Orientation de la Politique Sanitaire Animale et Végétale - qui devra définir les modalités d'assainissement".

De tous ces points, il n'a pas été question dans l'affaire du licenciement de M.Dekokère, pas plus que du nécessaire accompagnement des éleveurs en grande difficulté dans le cadre de la procédure AGRIDIFF, avec le Conseil Général.

Ce faisant, il y a fort à parier que l'affaire Dekokère n'est qu'un épiphénomène et que le fond du dossier Sicalait reste à traiter.

Philippe Le Claire pour www.ipreunion.com

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4 Commentaires
atbo
atbo
9 ans

Voici encore un article monsieur Le Claire qui vient nous éclairer sur la situation de la SICALAIT. Vous nous remettez l'actualité dans son contexte général et historique et là du coup, on peut se faire une idée plus complète du problème. Continuez à nous informer de cette manière ;

FOX
FOX
9 ans

Dekokère i croyé k en venant à la Réunion li alé boir du p ti lait.....mais li fé ...kok a li !....il existe hélas encore un certain nombre de ramassis (supprimé pour prise à partie - webmaster ipreunion.com) dan pays la France....qu on envoie dans les départements....''français''.....

Phare
Phare
9 ans

Excellentes questions posées à l'ensemble des acteurs de la filière... Au premier rang desquels on trouve Patrick Hoareau, le président du conseil d'administration de la Sicalait qui a pris l'avion hier soir... Pourquoi ? Pour où ?

tipatipa, depuis son mobile
tipatipa, depuis son mobile
9 ans

Grève de l éleveur, Mr Bègue en début d année, conflit Cilam, conflit sicalait, la leucose...ont le mérite de pointer le projecteur sur la filière lait à la Reunion. continuons..merci IPR...nous sommes encore loin de la vérité. ..fouiller la Merde i commence juste monter..l heure lé arrivé po nettoyé. ..toute sa i cachète..nou sa tire à zot de zot trop doré.