Rencontre avec Monseigneur Aubry, évêque de La Réunion

"Quand le fait religieux devient une question identitaire, ce n'est pas bon..."

  • Publié le 21 janvier 2015 à 05:00

Liberté d'expression, amalgames, vivre-ensemble, communautarisme... Évêque de La Réunion depuis 1976, Gilbert Aubry revient sur ces questions traversant aujourd'hui la société française. Prônant la "fraternité" et le "dialogue interreligieux", l'homme n'en est pas moins inquiet face aux événements récents ayant frappé le pays et dont les répercussions, parfois violentes, se font encore sentir à travers le monde. "Quand le fait religieux devient une question identitaire, ce n'est pas bon...", souligne-t-il.

Les attentats contre Charlie Hebdo ont reposé la question de la liberté d’expression et de ses limites éventuelles, notamment vis-à-vis de la religion. Quelle est votre position sur ce sujet ?

"Je partirai de la devise de la République : liberté, égalité, fraternité. La liberté n’est pas le libre-arbitre ni la licence, l’égalité n’est pas la suppression des diversités et le phénomène religieux n’est pas qu’un phénomène privé (...) Le religieux fait partie de l’existence, c’est d’abord être reliés les uns aux autres et les deux premiers idéaux de la République – la liberté et l’égalité – sont finalisés par le troisième idéal, qui est la fraternité. Pour moi, c’est la clé du vivre-ensemble. Dans la mesure où on fait attention aux uns aux autres, on évite de se blesser. Pour moi, c’est aussi cette dimension qui s’inscrit dans la liberté d’expression. La caricature oui, mais tourner en dérision au risque de créer l’amalgame entre des extrémistes et des personnes qui vivent leur foi en étant insérées dans la société, ça crée des problèmes."

"Ça peut devenir explosif"

Faut-il pour autant s’interdire de caricaturer ou de se moquer d’une religion ?

"On voit très bien que dans notre monde contemporain, ce qui se passe dans un pays a des répercussions ailleurs. Il faut faire attention pour ne pas entraîner des réactions qu’on ne peut pas légitimer mais qui sont ce qu’elles sont, et qui peuvent entraîner des catastrophes, notamment envers des personnes qui sont françaises dans des pays où nous avons des formateurs, des soldats engagés... Ça peut devenir explosif."

Quarante-cinq églises ont notamment été prises pour cible au Niger lors de manifestions contre Charlie Hebdo...

"Evidemment, cela me touche et cela montre qu’il y a un manque de connaissance. On ramène trop le christianisme à l’Occident et d’autres religions à certaines aires géographiques, comme l’Arabie Saoudite ou comme l’Inde par exemple, alors qu’aujourd’hui la population mondiale est brassée et que les religions à des degrés différents sont implantées dans toutes les parties du monde. Pour moi la clé c’est véritablement la fraternité. Et plus l’on descend dans le message spirituel d’une religion, plus des membres de religions différentes peuvent se rencontrer. D’où la nécessité du dialogue interreligieux à tous les niveaux."

"On est à un tournant"

Ce dialogue existe depuis longtemps à La Réunion. L’île est-elle toujours aujourd’hui un modèle de vivre-ensemble ?

"Dans l’ensemble ça va bien, on n’a pas vu de signes de mépris ou de dérision vis-à-vis de qui que ce soit, même s’il y a deux ou trois galopins qui se sont amusés... Mais il nous faut une vigilance de tous les instants, justement parce que nous sommes présentés comme un exemple. Il ne faut pas insister sur l’exemple, il faut développer la fraternité et le vivre-ensemble. Nul n’est à l’abri. On sait très bien qu’il y a des jeunes Réunionnais, d’origine ou de sensibilité musulmane, qui ont été intéressés par la Syrie... Et les responsables religieux musulmans sont attentifs au phénomène."

Êtes-vous inquiet pour l’avenir du monde ?

"Je crois qu’on est à un tournant. Parce qu’on est dans les répercussions de la fin d’un cycle avec la guerre de 1870 qui a préparé celle de 1914-1918 puis celle de 1939-1945, la décolonisation qui est arrivée après, et le besoin de pétrole dans le monde entier... Tout ça, ça a joué... Et aujourd’hui nous voyons que même les musulmans sont divisés et quand il y a des divisions et des intérêts économiques qui sont mélangés, que ça intéresse le monde entier, ça peut exploser internationalement. Donc oui il y a une inquiétude. En même temps il y a le désir d’autre chose, mais on ne voit pas comment sortir de la situation actuelle et répondre à ce désir. D’où l’importance que prend la dimension du fait religieux. Et quand le fait religieux devient une question identitaire, ce n’est pas bon..."

www.ipreunion.com

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