Sous le volcan

Le miracle de la colonisation corallienne

  • Publié le 10 juin 2015 à 16:30

Observer en direct, sous les flots, dans le Sud-Est de l'île, l'extraordinaire travail de la vie qui s'accroche à la roche stérile, aux coulées de lave de 2007, reproduire en quelques années un processus de colonisation initié par les coraux des récifs de l'Ouest, tel est depuis des années le privilège des scientifiques de l'Agence pour la recherche et la Valorisation marines (ARVAM), des membres de l'association Vie Océane et du club de plongée SubEst.

À la clé, une meilleure compréhension du phénomène de succession écologique par lequel procède la colonisation corallienne, mais surtout, des informations importantes pour aider à sauvegarder les récifs coralliens, en réalisant des opérations de bouturage pérennes. Ces enseignements donneront lieu prochainement à une publication scientifique qui sera une première mondial pour ce type d’étude.

Les premières formations de récifs coralliens sont apparues dans les océans primordiaux il y a 435 millions d'années et beaucoup plus tard, il y a plus de 10 000 ans, sur le littoral ouest de La Réunion. En 2007, moins de 90 jours après la fin de l'éruption du mois d'avril, plongeurs et scientifiques ont observé le retour de la vie sur les coulées figées, des coraux bâtisseurs de récif.

Jean-Pascal Quod, directeur général de l'ARVAM, explique : "À chaque nouvelle coulée de lave, dès que le basalte s’est refroidi, la vie se réinstalle. Depuis 500 000 ans ce processus se poursuit, agrandissant l’île. Des laves en coussins (pillow-lavas) ont été observées sur les coulées de 2004 et de 2007, elles témoignent d’un trajet tunnelisé sous l’eau avant de se figer brutalement au contact de l’océan…" L’éruption 2007 du Piton de la Fournaise a ainsi révélé aux scientifiques la remontée d’un grand nombre de poissons abyssaux, tués par les chocs thermiques et chimiques engendrés par les coulées sous l’océan, une quarantaine d’espèces nouvelles pour La Réunion, et une quinzaine pour la science.

L'intérêt suscité par l'ensemble de ces observations a donné lieu à l’expédition BIOLAVE, deux années consacrées à la caractérisation des fonds marins du Sud-Est de La Réunion et à l’inventaire de la biodiversité marine sur différentes profondeurs. L’exposition BIOLAVE qui s'est tenue de juin à novembre 2013, à l’aquarium de la Porte Dorée, à Paris, en a vulgarisé les résultats ainsi résumés sur la plaquette de l'événement : "Près de 1 300 espèces ont été inventoriées au total au cours de la mission d’exploration des fonds marins au pied du Piton de la Fournaise (…) Sur ces 1 300 espèces, 126 seraient nouvelles pour La Réunion et 13 pour la science. Cette liste n’est pas définitive car la description de nouvelles espèces prend plusieurs années. Parmi les algues, 36 espèces seraient nouvelles pour La Réunion…"

Depuis, explique Jean-Pascal Quod, l’équipe de l’ARVAM et ses partenaires, dont le professeur Gérard Faure (expert des coraux de La Réunion), ont effectué une douzaine d’explorations pour mesurer le développement dans le temps de la colonisation sur un site emblématique dénommé "la gouttière", repéré lors de BIOLAVE. Jean-Pascal Quod, auteur de la plaquette de l'exposition présentait ainsi le lieu : "La découverte d’une gouttière de lave figée, en place, longue d’une vingtaine de mètres, attise la curiosité des plongeurs. Elle est la preuve tangible qu’un puissant et rapide flot de lave s’est déversé directement sous l’océan en direction des abysses. C’est un livre ouvert sur la naissance d’un récif qui s’offre ici aux scientifiques. Comme sur terre, la vie s’installe finalement rapidement dans la partie éclairée de l’océan. Il faudra une trentaine d’années pour passer de ce stade juvénile au stade "adolescent" d’un récif, comme observé sur la coulée de 1977…"

Message d'espoir pour la préservation de la biodiversité sous-marine

Fort heureusement se félicite de directeur de l'ARVAM, "la gouttière" n'a pas été ravagée par un cyclone ou une autre éruption, "ce qui a permis de suivre dans le temps l’installation de la vie. La méthode retenue pour collecter des données scientifiquement valables, rapidement et dans des conditions de sécurité optimale est celle du photoquadrat. Il s’agit d’un cadre métallique d’un mètre carré qui est disposé sur le fond et photographié. Plus tard les images sont traitées au moyen d’un logiciel qui permet d’obtenir des données statistiques de la colonisation entre 2007 et 2014 (…) Aujourd’hui, l’aspect paysager a totalement changé et les coraux occupent une part importante des substrats durs. Si les coraux choux fleur (les pocillopores) ont longtemps été dominés, c’est maintenant un assemblage diversifié qui a été observé, dont quelques coraux branchus (les acropores). Le traitement de toutes ces données est en cours et prend du temps. Il devrait bientôt donner lieu à une publication scientifique, une première à l’échelon mondial pour ce type d’étude…"

Le retour opiniâtre de la vie sur des sites régulièrement ravagés par les éruptions et les cyclones constitue un message d'espoir pour la préservation de la biodiversité sous-marine et des écosystèmes coralliens soumis, comme dans l'Ouest, à des dégradations tant humaines que naturelles. L'espoir de le régénérer, par des campagnes de bouturage imitées de la nature dans leur processus, devient ainsi enfin crédible.

Philippe Le Claire pour Imaz Press Réunion

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