L'essayiste est à La Réunion pour les Electropicales

Pour Ariel Kyrou, faire de l'électro, c'est aussi faire de la politique

  • Publié le 20 mai 2016 à 06:00

Lorsqu'on lui demande sa fonction, Ariel Kyrou se définit comme "essayiste hérétique ou p(a)nseur intellectuel". Venu sur l'île à l'occasion du festival des Electropicales à la Cité des Arts de Saint-Denis, l'auteur de plusieurs ouvrage sur la musique électronique et la science fiction présente un point de vue original sur les artistes locaux de la scène électro. Il créé également le lien entre cet art et les mouvements de rue que connaît la société française. Interview. (Photos : soirée d'inauguration du festival le mercredi 18 mai à l'ancien hôtel de ville de Saint-Denis)

Quel regard portez-vous sur le travail des artistes locaux de la scène électronique ?

Je crois qu’il y a une nécessité absolue de ne pas se laisser manger par les nouvelles technologies. Il y a une nécessité de se les approprier, et de les mêler à ses propres références, à ses propres codes. C’est peut-être même un besoin anthropologique.

Si l'on ne veut pas devenir chèvre, il faut que l'on s’empare de notre environnement. Pour les artistes de La Réunion, c’est à la fois le palmier, le cocotier, la mer, tout ce qui fait leur culture, et c’est tout ce qu’ils n’ont pas choisi qui fait cette culture du numérique au sens le plus large, c’est-à-dire cette culture d’instruments, d’ordinateurs et de logiciels… S’approprier tous ces instruments là, ce monde d’images et de sons pour le faire sien, c’est quelque chose d’absolument majeur… S’ils arrivent à métisser leur propre culture, plutôt qu’à la subir, c’est formidable.

Pouvons-nous faire un lien entre les mouvements de rue que connaît la France - et La Réunion - et la musique électronique ?

Oui, parce que de fait, un musicien électro ou un musicien jouant d’instruments traditionnels, est inscrit dans une société. Forcément, ce qu’il se passe dans cette société l’inspire, et la réciproque est vraie. Les gens de Nuit Debout s’inspirent aussi des cultures, des musiques qui sont les leurs.

Quel est ce lien ?

C’est absolument indispensable qu’il y ait une connexion qui se joue entre les deux. Pour simplifier les choses, il s’agit là du refus d’un double obscurantisme. D’un côté, l’obscturantisme ultra-libéral des régulations high-tech qui veut nous imposer son confort et sa sécurité sans qu’on l’ait choisi, et dans ce cas c’est un nouvel obscurantisme très fort dont nous parlons.

Puis il y a un autre obscurantisme, celui du Front National, du racisme, celui de la Manif pour tous, celui du souverainisme, de toutes ces logiques de repli sur soi, qui pensent qu’il est possible de revenir à une sorte d’ancien temps. Nous avons ces deux obscurantismes là qui nous pèsent, qui montent en puissance. Ces musiciens, qui s’emparent de la musique électronique mais qui réinventent aussi leur propre instrument et leur culture, agissent ensemble au même titre que des gens qui participent à Nuit debout, pour refuser ces deux obscurantismes. Ils tentent de créer quelque chose, de coaguler une puissance, une parole, qui positivement refuse l’un et l’autre, en s’appropriant leur univers. Il y a un enjeu politique majeur. C’est un enjeu culturel, social et pas uniquement économique. C’est un enjeu global de société.

Mais ces deux obscurantismes dont vous parlez se servent de ces mêmes nouvelles technologie pour exister…

Oui,  Daesh, ou même Google, ces grandes puissances s’emparent de ces nouvelles technologie. C'est comme un catalyseur… Le problème, c’est que tout le monde s’en empare soit pour obéir à des sortes de mode d’emploi venus de la Silicon Valley, soit pour essayer de refaire les choses comme à l’ancienne. Dans les deux cas cela n’est pas puissant, ni très fort. La musique électronique a su démontrer plusieurs choses. L'exemple du TB303 est significatif - Synthétiseur de la marque japonaise Roland qui a joué un rôle majeur dans l’émergence de la musique électronique -  puisqu'il a été détourné...

Quelle est votre définition de la musique électronique ?

La musique électronique n’est pas une économie de marché mais une économie de moyens. C’est l’art de la débrouille, et nous connaissons ça à La Réunion. C’est aussi l’art du bricolage, qui est particulièrement poétique. Il faut être lucide, nous n’allons pas du jour au lendemain écraser ces grandes puissances. En revanche, nous pouvons la tourner en ridicule, s’en amuser, initier d’autres voix. Même si cela est peine perdue, c’est absolument nécessaire. Nous devons avoir ce romantisme aux yeux ouverts, s’approprier nos cultures ou celles que l’on veut nous imposer pour refuser l’obscurantisme high tech et celui des méthodes à l’ancienne. Ce sont les deux faces de l’anti-Electro-Picales.

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