Guerre des prix, baisse de la commande publique et des projets "privés"...

BTP : "Ce n'est plus une crise, c'est une descente aux enfers"

  • Publié le 24 mai 2016 à 10:50

Un peu plus d'un mois après la grève qui a secoué le secteur du BTP à La Réunion, les deux principaux syndicats patronaux, la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (Capeb) et la Fédération régionale du bâtiment et travaux publics (FRBTP), dressent le portrait d'une filière aux abois. L'an dernier, 141 entreprises du BTP ont fait l'objet d'une liquidation judiciaire, ce qui porte à 1284 le nombre d'entreprises liquidées depuis 2009. Les raisons de cette saignée ? Dans un contexte de raréfaction des projets de constructions, les entreprises se livrent une guerre des prix sans merci, qui les tue à petit feu.

"Aujourd'hui, les entrepreneurs ont le sentiment d'être dans une impasse :  d'un côté, ils achètent leurs matériaux jusqu'à 35% plus chers,  et de l'autre, ils doivent casser les prix pour espérer décrocher des chantiers. Qu'est-ce qu'ils leur reste comme choix ? Soit ils meurent parce qu'ils sont au prix, mais ne décrochent pas de contrats. Soit ils meurent parce que leurs prix sont bas au point qu'ils n'arrivent plus à tenir", s'indigne le président de la Capeb, Cyrille Rickmounie de la Capeb Ile de la Réunion. Bref, dans tous les cas... ils meurent : "trois entreprises sont liquidées chaque semaine à La Réunion", chiffre Bernard Siriex, président de la FRBTP.

Trois coupables : les fournisseurs, les donneurs d'ordre... et les entreprises elles-mêmes

Pour les professionnels du BTP, si la fillière est si mal en point, il y a donc trois coupables. Les fournisseurs de matériaux d'abord, "s'entendent pour maintenir des prix hauts, et ont d'ailleurs été condamnés pour cette raison par l'Autorité de la concurrence", accuse Raymond Vaitilingom, secrétaire général de la Capeb. Le 12 mai 2016, Ravate, Sermétal, KDI Davum, Arma Sud, C.Steinweg et Mer Union NV ont ainsi été sanctionnés à hauteur de 5 millions d'euros pour s'être réparti les marchés et avoir empêché le développement de leurs concurrents dans les secteurs des treillis soudés et des armatures métalliques.

Les donneurs d'ordre ensuite, sont accusés de contribuer à la destruction des emplois dans le BTP. "Aujourd'hui, on construit de moins en moins, à des prix de plus en plus bas, et on est payés de plus en plus tard", résume Bernard Siriex, Président de la FRBTP.  Nous avons des problèmes de trésorerie et nous sommes les banquiers de La Réunion, s'indigne le président de la FRBTP. Les délais seraient généralement de 3 ou 4 mois et atteindraient parfois deux ans. "Ca a toujours été comme ça, mais maintenant les entreprises sont trop fragiles pour encaisser ces retards", juge Bernard Siriex.

Enfin, les entreprises elles-mêmes seraient responsables de cette situation, en se livrant une compétition malsaine et nauséabonde. "Pendant les années fastes, les patrons ont embauché des employés en CDI et maintenant, ils n'arrivent pas à adapter leur masse salariale à leur carnet de commande. Comme ils ne peuvent pas licencier, ils préfèrent casser les prix pour avoir de l'activité et occuper les salariés qu'ils doivent payer", décrit le président de la Capeb. Pour le syndicat, cette pratique, en plus de tuer les entreprises du bâtiment, n'est pas bénéfique pour les collectivités ou les citoyens, parce que "certaines opérations ne sont pas terminées ou alors on constate des malfaçons".

Se regrouper pour faire face

Pour Raymond Vaitilingom, secrétaire général de la Capeb, une seule solution : sortir de cette spirale infernale, en misant sur la formation, notamment sur l'offre de prix, les analyses comptables ou encore la négociation des marchés. "Les entreprises doivent apprendre à ne plus pratiquer des prix anormalement bas, c'est le seul moyen pour qu'elles arrêtent de tomber comme des mouches", confirme le président de la Capeb.

Même son de cloche du côté de Bernard Siriex, qui estime que les entreprises doivent aussi apprendre à faire bloc. "Ce qui peut nous sortir de cette crise, c'est de mener le combat ensemble. C'est ce que nous avons fait en rencontrant la Ministère de l'Outre-mer, le 22 avril dernier. La grève, dont personne ne sort grandi, aura au moins servi à ce que nous obtenions un rendez-vous au ministère", souffle Bernard Siriex. La FRBTP compte notamment sur le regroupement de tous les professionnels du BTP des DOM, mais aussi sur l'appui des élus de la Réunion, "qui doivent se mobiliser pour concrétiser les engagements de l'Etat", estime le syndicat.

Parmi les revendications portées par la FRBTP, une baisse des charges sociales de 2% pour les entreprises du BTP, dès 2016, le passage du BTP en secteur surexposé, ce qui implique 3% d'exonération de charges sociales, ou encore la relance du plan de logement pour l'Outre-Mer.

"Le problème, c'est que le marché de la construction individuelle a disparu... c'est pour cela qu'on compte autant sur la commande publique"

"La construction d'un logement social, ça représente 2.2 emplois dans le BTP", chiffre Bernard Siriex. Et les besoins sont importants à La Réunion : entre 10 000 et 11 000 unités seraient nécessaires par an, les trois quarts des ménages réunionnais étant éligibles au logement social.

Mais au delà de la commande publique, "qui représente aujourd'hui 85% de notre activité, il faut aussi redévelopper la construction "privée", défend Bernard Siriex, en attirant des investisseurs extérieurs. Et pour cela, il faut que tout le monde économique se mobilise pour que La Réunion soit un territoire attractif, il faut par exemple donner envie aux gens de venir défiscaliser à La Réunion. Nous construisions 1 500 logements privés par an, maintenant, quand on arrive à 450, c'est le bout du monde".

Si les professionnels misent autant sur l'habitat collectif, c'est que pour eux, "le marché de la construction individuelle a disparu, à cause des problèmes de disponibilités de fonciers mais aussi parce que c'est devenu carrément inaccessible de bâtir une maison, c'est pour cela qu'on compte autant sur la commande publique. Même les gens qui hèritent d'un terrain arrivent parfois pas à construire puisqu'il est de plus en plus difficile d'obtenir un crédit", regrette le président de la Capeb.

www.ipreunion.com

guest
0 Commentaires