Après les annonces d'Emmanuel Macron

Plan pauvreté - A La Réunion on attend de voir avant de condamner ou d'applaudir

  • Publié le 14 septembre 2018 à 03:00
  • Actualisé le 14 septembre 2018 à 14:49

Emmanuel Macron a appelé le jeudi 13 septembre 2018 "toutes les forces de la Nation" à se mobiliser pour éradiquer la grande pauvreté "en une génération", en présentant un plan qui ambitionne de "refonder l'Etat providence". "Nous nous sommes trop souvent habitués" au "scandale de la pauvreté", a déclaré le chef de l'Etat devant quelque 400 personnes au musée de l'Homme à Paris. Il faut donc "lancer un combat neuf, indispensable, vital pour notre pays, celui de décider résolument de ne plus oublier personne". À La Réunion, ce plan pauvreté ne fait pas l'unanimité.

Pour cela, il a multiplié les annonces dans un discours d'1h20, dont l'une des plus fortes est la création d'un revenu universel d'activité, qui "fusionne le plus grand nombre possible de prestations". Il a également souhaité la mise en place d'un "service public de l'insertion" et annoncé une série d'aides destinées aux enfants et aux jeunes comme les repas à 1 euro dans les cantines. Le coût de ces mesures a été évalué à huit milliards d'euros sur quatre ans, jusqu'à la fin du quinquennat, qui "sont entièrement financées" selon l'Elysée.

-À La Réunion-

Dans le département, le taux de pauvreté est trois fois plus élevé qu’en métropole. En 2015, 40 % des Réunionnais vivent avec moins de 1 026€ par mois tandis que dans l’hexagone,14% de la population vit sous ce seuil de pauvreté.

Ce plan pauvreté était donc attendu, par le tissu associatif, les élus réunionnais mais aussi par les économistes qui cherchent à savoir si ces mesures sont adaptées aux spécificités locales.

Line Judith, membre de la Protection Civile est perplexe quant à l’efficacité de ces mesures "ce plan pauvreté me laisse un goût amer. Et les retraités, ceux qui ont perdu 100€ sur leur pension, comment on les aide ? Et nous, les associatifs, nous voyons nos subventions baisser chaque année. Nous sommes les petites mains sur le terrain qui gérons des situations d’urgence et de détresse extrême et pour cela, nous devons faire des économies de bouts de chandelle. Nous ne courons pas après l’argent mais nous aimerions avoir les moyens de continuer à lutter contre la pauvreté. Surtout qu’à La Réunion, nous voyons la situation s’enliser. Ces annonces sont positives mais reste à savoir quand et comment elles vont être mises en place"

L’éclairage de Philippe Jean Pierre, économiste : "Il faut effectivement que des précisions soient apportées quant à la mise en oeuvre de ce plan. Pour que les bénéficiaires soient mieux accompagnés et mieux accueillis par les acteurs de ce dispositifs, notamment les associations, il faut qu’il y ait un volet sur les moyens déployés auprès de ces structures.

Concernant les personnes âgées il est vrai qu’elles ne sont pas la cible de ce plan pauvreté alors qu’à La Réunion, les personnes âgées n’ayant jamais travaillé de leur vie donc bénéficiant d’une pension retraite minimale sont deux fois plus nombreuses qu’en métropole. Le président a choisi de s’adresser plutôt à la jeunesse qui est une masse plus importante et dynamique, ce qui n’est pas un non sens"

-Le revenu universel d’activité : la mesure phare du plan pauvreté-

Le président a annoncé "une loi en 2020" pour créer "un revenu universel d'activité qui fusionne le plus grand nombre possible de prestations et dont l'État sera entièrement responsable", précisant que ce revenu serait soumis à "des droits et des devoirs supplémentaires". En contrepartie d'un "droit à être aidé et accompagné (...), nous veillerons à ce que les devoirs soient respectés" par les bénéficiaires.
"Je n'ai jamais cru à un revenu universel sans condition", a-t-il ajouté en allusion à la mesure phare portée par le candidat socialiste à la présidentielle Benoît Hamon.

La mesure a fait bondir Jean-Hugues Ratenon, député (FI) de la 5ème circonscription. L’élu, dans son rôle d’opposition ne mâche pas ses mots "Il (ndlr Emmanuel Macron) annonce la création d’un revenu universel d’activité : Le titre est assez mensonger, car pas d’universalité quand une prestation est très conditionnée. Avec le RUA il risque d’y avoir beaucoup de perdants car les situations sont assez différentes et il faudra unifier les critères. Le risque c’est aussi de voir les APL, l’AAH ou le RSA supprimés. En même temps : n’est-ce pas un moyen aussi pour faire des économies puisque ‘’ ça coute un pognon de dingue’’

L’économiste Philippe Jean Pierre est plus nuancé "L’idée part d’un bon sentiment, regrouper toutes les prestations en un seul revenu, éviter le dédale administratif et permettre à certains d’obtenir des prestations sociales auxquelles ils sont éligibles sans le savoir. Mais ce n’est pas le levier qui va éradiquer la pauvreté. C’est juste une simplification. Les pauvres ne gagneront pas plus d’argent. Au contraire, le risque est qu’il y ait des pertes en ligne, que certaines prestations particulières, spécifiques disparaissent ou ne soient plus prises en compte justement dû à ce côté " universel ". Cependant, à l’échelle de l’économie réunionnaise, faire bouger les outils d’intervention sur la pauvreté n’est pas neutre "

-Un plan résolument tourné vers la jeunesse-

Le plan s'appuie aussi sur la prévention de la précarité chez les plus jeunes, et l'aide à la réinsertion vers l'emploi. Il prévoit notamment d'ouvrir davantage les crèches aux enfants de quartiers prioritaires ou défavorisés - via des bonus financiers aux collectivités -, de créer un fonds pour financer des petits-déjeuners dans les écoles prioritaires. "L'accès à la cantine sera rendu plus universel en développant les repas à un euro", a précisé Emmanuel Macron. Pour les jeunes, l'obligation de formation passera de 16 à 18 ans. Des moyens supplémentaires seront attribués aux missions locales pour qu'elles repèrent les décrocheurs du système scolaire et leur proposent des formations.

En outre, le dispositif "garantie jeune", pour les 16-25 ans les plus éloignés de l'emploi, sera étendu à "500.000 jeunes avant la fin du quinquennat", contre 100.000 actuellement. L'Etat veut par ailleurs trouver des solutions avec les départements pour prolonger le suivi des enfants de l'Aide sociale à l'enfance jusqu'à 21 ans.

Des mesures qui ont fait tiquer Ericka Bareigts, la députée (PS) de la 1ère circonscription : "Après 18 mois, le gouvernement nous annonce un plan de prévention et de lutte contre la pauvreté. Il s’agit de l’extension de la Garantie jeunes et du dispositif Territoires 0 chômage de longue durée, du revenu universel d’activité. Je note que deux des dispositifs, garantie jeunes et Territoires 0 chômage de longue durée, avaient été mis en oeuvre lors du dernier quinquennat. Le revenu universel avait été porté durant la dernière campagne présidentielle socialiste. Je salue la reprise de nos propositions par le gouvernement. Parmi les autres annonces, je note le soutien de l’État aux familles et collectivités pour les repas des élèves en REP+. Pour rappel, à Saint-Denis, nous avons déjà largement engagé la mise en place de la cantine gratuite avec 11 858 enfants sur 16 483 qui en bénéficient. "

Pour Philippe Jean-Pierre, il faut voir ce que donnera la concrétisation des idées proposées par Macron : "Ces annonces ne doivent pas être un voeu pieu. Elles doivent déboucher sur des formations utiles et efficaces. Et adaptées aux spécificités de notre territoire, les jeunes précaires n’ont pas les moyens de prendre un billet d’avion pour aller chercher un emploi en métropole, il faut donc miser sur la proximité. À l’instar de dispositifs comme le RSMA qui sort les jeunes si ce n’est de la pauvreté financière, de la pauvreté sociale"

-Ce plan pauvreté qui ne semble pas convaincre la majorité de nos élus-

Pour Gilles Leperlier (PCR) "Un plan pauvreté bien pauvre en mesures d’urgence qui de surcroît, ne répond pas à la situation sociale, qualifiée d’hors norme par l’INSEE, à La Réunion. Ce qu’Emmanuel Macron dit aux 340 000 Réunionnais vivants sous le seuil national de pauvreté, c’est d’attendre : une décision humainement insoutenable. Plus que jamais, c’est aux Réunionnais de se rassembler pour définir nous-mêmes, dans la concertation, une politique économique et sociale durable, solidaire et globale pour La Réunion avec des moyens budgétaires et réglementaires adaptés."

Pour Emmanuel Séraphin (PLR) : "la fraude fiscale "coûte chaque année 60 à 80 milliards d'euros à la France", soit un montant plus ou moins équivalent au budget de l'Education nationale (68,4 milliards d'euros en 2017). Une récente étude, publiée par trois chercheurs dont l'économiste Français Gabriel Zucman, chiffrait les avoirs des grandes fortunes françaises placés dans des paradis fiscaux, à environ 300 milliards d'euros, soit environ 15% du PIB (produit intérieur brut) de la France. Pourquoi le gouvernement Macron ne prend-il pas des mesures concrètes pour lutter contre cette évasion fiscale ? Cela permettrait de corriger toutes ces injustices, ces inégalités sociales. Au lieu de cela, les moyens sont mis en œuvre pour traquer les 250 M€ de fraude sociale."

Il y en a une, qui semble plus enthousiaste, c’est Nassimah Dindar, la sénatrice macron-compatible , ancienne présidente du Département : "J’accueille favorablement ce changement de cap car s’attaquer à l’extrême précarité doit en effet être une priorité pour une France fraternelle. Les mesures annoncées sont de bon sens, elles allient prévention et insertion, avec l’extension de la Garantie jeune et l’accompagnement des jeunes majeurs sortant de l’Aide Sociale à l’Enfance, mesure que j’avais, alors que j’étais Présidente du Conseil Départemental, également préconisée.
De même, le renforcement de l’accompagnement vers l’emploi, et le versement social unique sont des mesures de progrès. "

L'économiste Philippe Jean Pierre donne sa vision d’ensemble du programme dévoilé par Emmanuel Macron: "la transposition de ce plan de lutte contre la pauvreté à La Réunion étant donné l’ampleur du phénomène nécessite une réadaptation "

Emmanuel Macron a, en outre, appelé à "repenser les minima sociaux", un véritable "maquis" selon lui. Cela impliquera que l'Etat s'engage aux côtés des "départements, des métropoles" pour mieux accompagner les personnes les plus éloignées de l'emploi, notamment bénéficiaires du RSA.

fh/www.ipreunion.com avec l'AFP

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