Convocations, gardes à vue, interviews encadrées...

La liberté de la presse sous pression

  • Publié le 24 mai 2019 à 02:57
  • Actualisé le 24 mai 2019 à 11:55

Récemment, les convocations de la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) à l'encontre de journalistes se sont multipliées. Nous apprenions ce jeudi 23 mai 2019 que le nombre de convocations s'élevait à présent à huit. Une situation qui fait réagir médias et syndicats, qui s'inquiètent des dérives observées ces derniers mois de la part du gouvernement à l'encontre de la presse. (Photo d'illustration RB/www.ipreunion.com)

La polémique a débuté avec Benoit Collombat de la cellule investigation de Radio France, Geoffrey Livolsi et Mathias Delstal journalistes et co-fondateurs du site Disclose.ngo, entendus les 14 et 15 mai 2019 pendant presque une heure chacun par la DGSI. Déjà à ce moment-là, une vague d’indignation soulevait le milieu journalistique.

Depuis, il s’est avéré que Valentine Oberti, journaliste dans l’émission Quotidien, tout comme la journaliste reporter d’image (JRI) et l’ingénieur son qui l’accompagnaient, avaient eux aussi été entendus par la DGSI en mars dernier.

Leur faute ? " Avoir commis ou tenté de commettre l’infraction de compromission du secret de la défense nationale ". En effet, dans un article paru sur le site indépendant Disclose, les journalistes dévoilaient que des armes françaises vendues à l’Arabie Saoudite étaient possiblement utilisées contre la population yéménite. Les autorités cherchaient apparemment à découvrir comment l’information leur était parvenue. Petit hic cependant : la loi en matière de liberté de la presse est claire à ce propos, la confidentialité des sources est garantie.

Comme l’indique l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, " le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public. Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources ".

Peut-on réellement considérer l’annonce d’utilisation possible d’armes françaises contre une population étrangère comme pouvant justifier le dévoilement des sources ? Cet article a-t-il porté atteinte à la défense nationale, ou a-t-il tout simplement dévoilé une information que le gouvernement se serait bien gardé de voir paraître dans la presse ?

" Cette procédure contre nos journalistes n’a d’autre objectif que d'identifier nos sources. A la question : “les Français ont-ils le droit d’être informés sur l’usage qui est fait des armes vendues à des pays accusés de crimes de guerre ?”, le gouvernement a donc choisi de répondre par la menace " s’est en tout cas indigné le média.

Les convocations se multiplient

Cette affaire n’est pas la seule à avoir provoqué une vague de convocations à la DGSI. La journaliste Ariane Chemin, employée au Monde, ainsi que le président du directoire Louis Dreyfus, sont tous les deux invités à se rendre dans les locaux de la DGSI le 29 mai prochain. Les deux intéressés sont convoqués en vue d'une audition libre, dans le cadre d'une enquête ouverte pour " révélation de l'identité d'un membre des unités des forces spéciales ".

En effet, lors de l’Affaire Benalla, Ariane Chemin avait publié une série d’articles mentionnant notamment un certain Chokri Wakrim. Il était révélé que ce dernier était lié par un contrat de protection rapprochée avec un homme d'affaires russe, conduisant à l'ouverture d'une enquête pour " corruption " à son encontre. La convocation est aujourd’hui justifiée par l’article 413-14 du code pénal.

" La révélation ou la divulgation, par quelque moyen que ce soit, de toute information qui pourrait conduire, directement ou indirectement, à l'identification d'une personne comme membre des unités des forces spéciales désignées par arrêté du ministre de la défense ou des unités d'intervention spécialisées dans la lutte contre le terrorisme désignées par arrêté du ministre de l'intérieur est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende " précise l’article de loi.

Le directeur de publication du Monde, Luc Bronner, rappelait cependant que " l’intérêt public suppose de pouvoir enquêter sur les entourages et les liens entretenus par des collaborateurs de l’Elysée ou de Matignon, quels que soient leurs parcours antérieurs " dans une tribune libre rédigée en soutien à ses employés.

 


Des polémiques qui s’enchaînent


Pour les différents syndicats et médias français, la situation est claire : ces convocations sont une attaque contre la liberté de la presse. Un dérapage de plus qui s’ajoute à la liste qui ne fait que s’allonger ces derniers temps, avec entre-autre la garde à vue du photojournaliste Gaspard Glanz lors d’une manifestation de Gilets jaunes, ou encore la convocation en gendarmerie du journaliste ayant couvert une action militante qui consistait à voler un portrait d’Emmanuel Macron.

Par ailleurs, ces convocations viennent seulement s’ajouter à la dernière polémique en date : une interview d’Emmanuel Macron, encadrée par le gouvernement de A à Z.  La problématique de la relecture des articles ne date pas d’hier, et fait hausser les sourcils de bons nombres de journalistes étrangers, peu habitués à cette pratique. Elle est en effet extrêmement courante en France, plus particulièrement dans le cadre d’interviews politiques.
C’est donc sans grande surprise que les différentes rédactions de presse quotidienne régionale (PQR) ont reçu une invitation pour interviewer le Président pendant une heure et demi à l’Elysée, avec bien évidemment un encadrement des questions et une obligation de relecture à l’issu de l’entretien.


Si les médias Voix du Nord et Télégramme ont poliment décliné l’invitation, une dizaine d’autres publications ont décidé de jouer le jeu ce lundi 20 mai. Nul doute que si nos confrères s’unissaient contre cette pratique, elle disparaîtrait d’elle-même. Mais la balance entre déontologie et envie de publication est parfois délicate, et nombreux sont ceux qui finissent par pencher vers la deuxième option.

 


Il est indéniable que la presse a ses propres maux, que ce soit l’exemple cité ci-dessus, ou bien même la façon de traiter l’information qui peut parfois laisser à désirer. Mais la pratique du journalisme reste aujourd’hui l’un des piliers de la démocratie, et les dérives récentes posent un réel problème. A voir maintenant si les journalistes mis en cause ces dernières semaines vont devoir faire face à de réelles charges à leur encontre.

 

as/www.ipreunion.com

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