Marché du poisson

Pêcherie du Sud, la société mauricienne qui permet à Reunimer d'échapper au fisc français

  • Publié le 11 juillet 2019 à 13:56
  • Actualisé le 24 juillet 2019 à 13:25

La société Reunimer, qui existe depuis 2012, a une influence non négligeable sur le marché de la pêche à La Réunion. Grosse importatrice de poissons, notamment des poissons malgaches, elle représente 4000 tonnes de flux chaque année. Imaz Press Réunion a eu accès à de nombreux documents mettant en avant tout un circuit, qui vise à acheter du poisson à Madagascar, d'héberger les ventes à Maurice, avant de revenir à La Réunion. Un passage par une société privée de trading nommée Pêcherie du sud et située en zone franche. Sa localisation, hors territoire français, permet à Reunimer de faire de grosses économies d'impôts. Une activité techniquement légale, plus critiquable sur le plan moral, mais assumée par le groupe. Imaz Press Réunion, à travers de nombreux documents tels que factures ou rapports officiels, a interrogé Reunimer sur ces pratiques et s'est penché sur le fonctionnement de cette société mauricienne et l'influence qu'elle a sur le groupe et sur le marché réunionnais. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Ce n’est pas la première fois que Reunimer défraie la chronique. Cette fois, c’est une toute autre histoire qui pèse sur le spécialiste des produits de la mer. Une affaire de fiscalité avantageuse, assumée par le groupe, qui possède un chiffre d'affaires de 26 millions d'euros.

Sur le fonctionnement interne de Reunimer, Imaz Press Réunion s’est procuré plusieurs documents qui ont de quoi attirer l’attention. D’abord une facture. Celle-ci chiffre pour plus de 65.000 euros une commande de poissons en tout genre, "origine Madagascar". La cargaison est vendue par "Pêcherie du Sud LTD" à Réunion Pélagique, filiale de Reunimer. Un triangle qui pose question : pourquoi vendre du poisson malgache à La Réunion, en passant par Maurice ?

Pour commencer, il faut savoir que les 4.000 tonnes de flux annuel du groupe se divisent en deux catégories : 1.300 tonnes pêchées - auxquelles s'ajoutent 500 tonnes d’appât - et plus de 2.000 tonnes de poissons importés. Des chiffres confirmés par Reunimer.

L’importation dépasse donc largement le volume de poissons pêchés. Et sur les 2.000 tonnes de poissons importés, 500 environ sont de provenance malgache, soit un quart des importations.

Le rôle clé de Pêcherie du Sud

Pêcherie du Sud, c'est une société privée, située en zone franche à Maurice, et spécialisée dans le "trading", nous explique en personne Sébastien Camus, président de Reunimer, lors d'une longue interview tenue dans les locaux de la rédaction, pièces justificatives sous les yeux. "Pêcherie du Sud centralise l’ensemble de la commercialisation des produits vendus par Madagascar. Il n’y a absolument rien de secret là-dedans", se justifie-t-il.

Pourtant, nulle mention de cette société sur le site de Reunimer. Selon le président du groupe, c’est normal : il ne s’agit pas d’un partenaire, il s’agit de comptabilité, de fiscalité, rien qui nécessite de l’afficher publiquement. Nous apprendrons par la suite que tous les produits congelés vendus soit en Europe soit en Asie soit à La Réunion passent par Pêcherie du Sud. Les produits frais, eux, ne passent pas par la société mauricienne. Selon Sébastien Camus, "seuls 5% du chiffre d'affaires sont constitués par les flux allant de Pêcherie du Sud à Reunimer".

Problème, même s’il date de trois ans déjà : aux dernières nouvelles, les comptes de Pêcherie du Sud ne sont pas consolidés. C'est ce qu'épinglait un rapport du commissaire des comptes en 2016, dont l’opinion était défavorable à ce moment-là.

Un document remis aux actionnaires de Pêcherie du Sud, qu’Imaz Press Réunion s’est procuré. Sébastien Camus, lui, n’en avait pas entendu parler. On peut donc y lire que "les états financiers ne donnent pas une image fidèle de la situation financière de la Société (…) Des comptes consolidés n'ont pas été préparés par la Société (…) En vertu des normes internationales d'information financière, les filiales auraient dû être consolidées car elles sont contrôlées par la Société et la Société ne peut bénéficier d'aucune exemption de consolidation. "

La situation remonte à 2016, impossible de savoir pour l’instant si les comptes ont été consolidés depuis. Selon Sébastien Camus, cela ne remet pas en cause le fonctionnement de Pêcherie du Sud : "le fait de ne pas avoir de comptes consolidés, ce n’est pas une obligation légale". Selon lui, cela ne pose aucun problème avec le fisc de surcroît, puisque les pertes ne sont pas imposables.

Les mêmes actionnaires

Ce qui attire l'oeil dans ces documents, ce sont les noms des deux sociétés mères. D’un côté Reunimer, avec pour dirigeants messieurs Camus, Guérin et Crosnier-Mangeard. Parmi les actionnaires principaux : messieurs Berquer et Méraud. De l'autre côté Pêcherie du Sud, où l'on retrouve monsieur Méraud au poste de dirigeant, tandis que messieurs Camus et Berquer eux, sont actionnaires.

Des mêmes noms pour un commerce avantageux sur le plan fiscal. Pour Sébastien Camus, "on ne peut pas faire de rapport direct entre Reunimer, Madagascar et l’île Maurice, parce que ce ne sont pas les mêmes actionnaires, et les seuls flux qui existent sont des flux commerciaux." Effectivement 4 des dirigeants de Reunimer ne sont pas actionnaires chez Pêcherie du Sud. "On ne peut donc pas dire que Pêcherie du Sud appartient à Reunimer", conclue le président du groupe.

Mais alors pourquoi tous ces croisements ? Une simple histoire de timing selon lui. "Il se trouve qu’on était actionnaires chez Pêcherie du Sud avant Reunimer, groupe créé en 2012." Alors que le groupe Reunimer n’a fusionné les différentes filiales qui le composent - Réunion Pélagique, Martin Pêcheur, Enez et Reunipêche - qu’en 2012, Pêcherie du Sud existe officiellement depuis l’année 2000. Olivier Méraud, pour sa part, était, selon son acolyte, actionnaire chez Réunion Pélagique avant d’être directeur de Pêcherie du Sud. Jean-Marc Berquer lui, vient de SPSM, société malgache rachetée ensuite par Pêcherie du Sud.

Des avantages fiscaux indéniables

En-dehors de ces croisements d’actionnaires et de ces réseaux de pêche que l’on retrouve dans tout l’océan indien, pourquoi faire nécessairement passer le poisson par Maurice ? La réponse est simple, elle est assumée par Reunimer : les impôts.

Pêcherie du Sud bénificie à la fois d’une fiscalité qui n’est pas française et d'une fiscalité de zone franche, donc beaucoup moins lourde. "Premier point, Maurice est beaucoup plus stable politiquement que Madagascar, ce qui limite les risques", explique Sébastien Camus. "Deuxièmement, à Maurice vous avez de vrais avantages fiscaux, je l’admets totalement puisque c’est légal." C'est dit.

Et c’est légal en effet, c’est une façon d’optimiser les impôts dus par l’entreprise. Si une telle société s’était trouvée sur le sol réunionnais, elle aurait été soumise à la réglementation française, soit 33% d’impôts. A Maurice, Reunimer paye "entre 3 et 15% d’impôts", nous explique Sébastien Camus. Selon lui, le chiffre, qui varie en fonction des flux, tourne davantage autour de 15, ce qui atténue la différence avec la fiscalité française. Cela reste toujours moitié moins qu'en France.

Se voulant de bonne foi, le président assure que "ce n’est pas quelque chose qu’on a fait pour évacuer de la marge", sinon quoi il aurait l’impression de "voler" ses actionnaires, qui ne le sont pas à Pêcherie du Sud. Est-ce que ce commerce profite donc à Reunimer ? "Non", rétorque Sébastien Camus, "sinon ça devrait profiter à tous les actionnaires, ce qui n’est pas le cas".

Une menace pour les petits pêcheurs ?

Le marché du poisson à La Réunion représente 500 tonnes de poisson par an et les petits pêcheurs en détiennent entre 50 et 90 tonnes. La question est donc de savoir s'ils sont menacés par ce marché du poisson, contrôlé à la loupe et qui affiche des prix bas, difficiles à concurrencer. Pour Sébastien Camus, les produits congelés qui passent par Pêcherie du Sud ne rentrent pas en concurrence avec les pêcheurs artisans, "il s'agit de poissons de fonds qu'on ne retrouve pas dans les eaux réunionnaises". Contrairement au poisson frais de Madagascar, qui lui peut engendrer une concurrence directe.

Mais selon le président du groupe, "notre commerce n’empêche absolument pas les petits pêcheurs de vendre leur poisson". Il ne s’agirait, selon lui, pas des mêmes marchés, les petits pêcheurs artisans se positionnant sur des circuits beaucoup plus courts, en vendant directement sur les marchés ou dans les restaurants.

Mais dans le cas des poissons frais, les petits pêcheurs s'estiment bel et bien lésés. Alors que ceux-ci revendent leurs prises à parfois 13 euros le kilo, le groupe le vend 9 euros en magasin. Des prix bas qui, quoi qu’on en dise, ont un impact sur le marché de la pêche. En 10 ans, plus de la moitié des pêcheurs artisanaux ont disparu à La Réunion.

Mise à jour du 24 juillet :

Après publication de l'article ci-dessus, Reunimer a tenu à publier un droit de réponse, que vous pouvez retrouver dans le lien ci-dessous.

Lire aussi : Droit de réponse de Reunimer

mm/www.ipreunion.com/redac@ipreunion.com

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1 Commentaires
CHABAN
CHABAN
4 ans

À la lecture de tout ce montage, j'ai le mal de mer. Allo maman cabillaud J'train'fumée, j'me retrouve avec mal au coeur, J'ai vomi tout mon quatre heur' Lol