De l'esclavage à la crise requin

La Réunion et la mer, une relation houleuse

  • Publié le 27 août 2013 à 05:00

Interdiction de la baignade, du surf et du bodyboard, avertissement pour les touristes dans l'avion, multiplication des panneaux de prévention et surtout des polémiques à répétition : le risque requin est aujourd'hui omniprésent dans le rapport qu'entretiennent les Réunionnais à leur littoral, et ce même si les surfeurs sont encore nombreux à être de sortie ainsi que cela était le cas ce lundi matin 26 août 2013. C'est que la question des squales s'inscrit dans une histoire souvent mouvementée entre l'océan et les habitants de l'île.

La Réunion, une île tournée vers la montagne ? C’est une réalité. Sur le site de l’IRT (Ile de La Réunion Tourisme), la mer n’arrive qu’en troisième choix parmi les activités proposées, derrière les onglets "Terre" et "Etangs et rivières". Pour autant, la plongée reste la deuxième activité touristique la plus pratiquée derrière la randonnée et le littoral fait autant partie de l’univers réunionnais que le coeur montagneux de l’île. Mais la relation entre les Réunionnais et l’océan a toujours été tumultueuse, la crise requin en étant la dernière illustration.

"Le littoral réunionnais ne se prête pas vraiment aux activités maritimes, mais cela n’explique pas pourquoi la majorité des Réunionnais n’a pas la fibre maritime", souligne l’historien Sudel Fuma, professeur à l’université de Saint-Denis. Selon lui, il existe des raisons bien plus profondes, liées à l’histoire du peuplement de l’île. "Quand on analyse l’histoire de La Réunion, la mer a toujours été perçue dans l’imaginaire comme un élément hostile", affirme-t-il, car "c’est par la mer que sont arrivés la plupart des Réunionnais, par l’intermédiaire de l’esclavage, après une traversée qui est restée dans l’inconscient comme traumatisante".

Il poursuit : "Cela ne veut pas dire pour autant que les Réunionnais ont complètement tourné le dos à la mer, il y a une tradition de pêche et une tradition côtière. Mais les populations qui sont arrivées à La Réunion, les esclaves comme les esclavagistes, n’étaient pas des populations en contact direct avec la mer. Au XVIIIe siècle par exemple, les esclaves venaient en très grande partie de Madagascar. Or les Malgaches, hormis quelques tribus côtières, n’ont pas de grandes traditions maritimes. Pour la plupart des tribus malgaches, la mer c’est le monde des "lool", c’est-à-dire des esprits. En conséquence, dans l’inconscient collectif réunionnais, la mer est souvent restée associée à des souvenirs douloureux."

L’océan serait donc en lui-même un élément inquiétant dans les esprits réunionnais. Et au sein de ce milieu hostile s’est ajouté le problème du requin "qui est l’expression de la force, de la destruction, de la peur", indique Sudel Fuma, pour lequel "cette psychose est entretenue". D'ailleurs il ne comprend pas le déchaînement de passions autour de la crise requin actuelle.

"La situation n’a pas beaucoup changé, il y a eu des attaques de requins dans le passé. Tous les vieux pêcheurs, notamment du côté de Terre Sainte, vous racontent des histoires d’attaques de requins", précise l’historien, qui pratique lui-même la pêche au large depuis vingt ans. Aussi, pour lui, "ce qu’on fait aujourd’hui, c’est affolant, c’est fou ! Les autorités se couvrent, ont peur des retombées politiques alors ils se retranchent derrière une législation répressive et liberticide".

Un travail historique sur les requins à La Réunion

Les Réunionnais – issus en grande majorité de peuples non maritimes – ont donc encore du travail à faire pour s’adapter à ce milieu marin en perpétuelle évolution. Et surtout pour éviter que La Réunion ne devienne l’île où la mer est une menace.

"Aujourd’hui, on a admis le risque, maintenant il faut informer les gens", estime ainsi Emmanuel Séraphin, adjoint à la mairie de Saint-Paul. "Du fait de la répression, il y a moins de personnes à l’eau, mais on ne peut pas rester sous ce régime-là éternellement. Aujourd’hui, on travaille notamment avec la ligue de surf pour remettre des filets et des vigies requins", poursuit-il. Pour l’élu saint-paulois, il s’agit désormais "d’affiner le dispositif, selon les horaires, les périodes et d’avoir une meilleure connaissance de l’animal", et ce par l’intermédiaire du programme CHARC.

C’est également dans cette optique d’améliorer les connaissances sur les squales, que Sudel Fuma entend entreprendre un travail historique à l’université. "Avec mes étudiants, on envisage de mener une étude pour comprendre le rapport des Réunionnais aux requins, en remontant jusqu’au XIXe siècle, car ça n’a jamais été fait. On a besoin de ce recul historique, car là on est dans l’immédiateté", explique-t-il.

Entre progrès scientifiques et meilleure connaissance historique changera peut-être alors l’image trouble et inquiétante que reflète l’océan – et certains de ses habitants – dans l’imaginaire collectif réunionnais.

www.ipreunion.com

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2 Commentaires
Aterla
Aterla
10 ans

Dans les ancètres des réunionnais, il y a entre autres, des marins, des corsaires, des bretons: ce sont bien des habitués de la mer. La vraie raison pour laquelle nous ne sommes pas tournés vers la mer, c'est que nous n'avons pas de grand et acueillant lagon, entourant l'île. A comparer avec Maurice, Mayotte, les Seychelles, les Antilles, etc.

Do
Do
10 ans

Il est évident que l'on connaît très mal cet animal et c'est bien dommage car c'est un animal extraordinaire!!! Et si il est dans les océans ce n'est certainement pas par hasard et c'est son milieu c'est à l'être humain de s'adapter!! Un petit pas pour le requin c'est un grand pas pour l'humanité!!!!!