[VIDEO/PHOTOS] Des salariés de M. Bricolage manifestent devant la préfecture (actualisé)

Travail dominical : la loi est respectée mais à quel prix...

  • Publié le 29 novembre 2019 à 09:40
  • Actualisé le 29 novembre 2019 à 16:00

C'est acté depuis le 18 novembre dernier : les magasins Monsieur Bricolage doivent désormais fermer le dimanche après-midi, voire toute la journée en fonction des communes. Une bonne nouvelle pour la CGTR qui a saisi le Tribunal de Grande Instance. Une mauvaise pour les étudiants et employés volontaires qui travaillent en fin de semaine afin d'arrondir les fins de mois. Ce vendredi 29 novembre ils font front devant la préfecture pour exprimer leur colère. Certes l'arrêté préfectoral (de 1966) est respecté, mais à quel prix ? Cette affaire est un symbole, celle du travail dominical, quand beaucoup ont décidé à la place des autres que le dimanche était réservé à la famille et au repos. C'est ce que sont venus dire ce vendredi matin devant la préfecture des dizaines de salariés de Monsieur Bricolage (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Pour protester contre cette décision de justice, le rendez-vous était donné dès 8 heures ce vendredi devant la préfecture. Une cinquantaine de personnes se sont rassemblées pour dénoncer cette décision, qui impacterait directement les étudiants travaillant pour l'enseigne. "Sur une année, cette décision nous fait perdre jusqu'à 1200 euros pour certains !" s'exclame un manifestant.

Un étudiant dénonce aussi l'injustice de la décision, alors que le travail le dimanche était un réel avantage pour gérer leur emploi du temps entre le travail et les études. "Tout est fait sur la base du volontariat, personne n'est obligé d'accepter d'aller travailler le dimanche !" explique une employée de Mr Bricolage.

Imaz Press s'est rendu sur place pour interroger les salariés, regardez :

"Hors la loi"

Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, la CGTR (Confédération générale du travail de La Réunion) ne mâche pas ses mots : il faut "rétablir la vérité", les magasins Monsieur Bricolage sont "hors la loi", l'enseigne "exploite" les étudiants et les volontaires, l'entreprise "impose" aux salariés de travailler le dimanche.

Des affirmations faites sur la base de constats personnels et de retours de certains salariés, expliquent les membres du syndicat. Mais en entendant ces propos, Béatrice Fix, employée à Saint-Pierre, s'offusque. "On entend dire : 'les pauvres', 'ils bossent 7 jours sur 7', mais c'est faux ! On oublie que tout ceci se fait sur la base du volontariat." L'employée a créé un groupe de discussion appelé "les polos rouges" (tenue de travail des salariés de Mr Bricolage). Groupe qui sera devant la préfecture ce vendredi matin.

Depuis le 19 octobre 1966 précisément, un arrêté préfectoral interdit le travail le dimanche dans les commerces. En 2015, la loi Macron fait son entrée, permettant quelques dérogations en fonction desdits commerces. Mais le tribunal de grande instance (TGI), lui, a décidé que l'arrêté préfectoral devait prévaloir sur la loi de 2015.

Lire aussi : Affaire CGTR vs SOREBRIC - Repos dominical

Lire aussi : M.Bricolage assigné au tribunal pour non-respect du repos dominical

Pour Monsieur Bricolage, l'effet est immédiat. Les magasins de Saint-Pierre et Sainte-Suzanne ferment le dimanche après-midi et ceux de Saint-Denis et Saint-Paul restent fermés tout le dimanche.

Lire aussi : Mr Bricolage ferme ses magasins le dimanche

Les syndicats sont ravis. "La fédération des personnels des commerces, de la distribution et des services CGTR se félicite de cet état de fait, qui tend à rebattre les cartes dans un avenir proche, pour un grand nombre de commerces à la Réunion" communique la CGTR.

Des salaires qui vont chuter

Du point de vue des étudiants et salariés volontaires, c'est autre chose. Chloé a 20 ans, elle est étudiante en droit au Tampon, et tous les week-ends depuis janvier, elle travaille à Monsieur Bricolage sur la base d'un contrat de 13 heures. "J'embauche à 14h30 le samedi et je finis à 18h le dimanche" explique la jeune fille qui gère la clientèle au service après vente.

Aujourd'hui, Chloé est décontenancée. "Je gagnais entre 680 et 750 euros net par mois", affirme-t-elle, tordant le cou aux affirmations de la CGTR qui parle plutôt de 550 euros net mensuels. "A Saint-Pierre je peux continuer à travailler le dimanche matin, mais perdre l'après-midi représente quand même une baisse de 200 euros net par mois."

L'étudiante n'a pas le choix, pour financer ses études elle doit travailler. "J'ai des aides de la caisse d'allocations familiales, mais c'est tout, je suis totalement autonome et je sors 300 euros de ma poche chaque mois pour mon loyer" raconte-t-elle.

Quand on lui parle d'exploitation et de travail forcé, Chloé persiste et signe : "il n'y a pas d'abus, je savais dès le début que j'allais travailler tous les week-ends. J'ai signé, j'étais d'accord", explique-t-elle. "Nous avons les mêmes primes que nos collègues salariés, des chèques cadeaux, des tickets restaurants et une heure pleine pour manger le midi."

Béatrice Fix, elle, est fatiguée de constater que l'on parle en son nom sans la consulter. "On ne nous a pas demandé notre avis. Il faut que les Réunionnais entendent la réalité des choses de la bouche des employés." Dans son cas précis, la salariée travaille un à deux dimanches par mois et récupère dans ce cas le samedi. "En arrêtant le volontariat le dimanche, qui compte pour une journée double, je vais perdre 1000 à 1.400 euros chaque année."

Défendre les droits des autres… en les pénalisant

Chloé, elle, s'estime presque "chanceuse" en travaillant au magasin de Saint-Pierre, ses jeunes collègues de Saint-Paul ou Saint-Denis n'ont pas la même chance. "Leur contrat ne sera sans doute pas renouvelé."

Chloé a déjà commencé "à chercher autre chose" pour compenser sa perte de salaire. "Je fais du baby-sitting trois fois par semaine, et donc moins de temps pour réviser. Je me couche à minuit au lieu de 22h et ça ne rattrape pas totalement la somme que j'ai perdue."

Les syndicats n'ont pas aimé que Monsieur Bricolage sorte la carte de l'emploi étudiant. "C'est du chantage pour faire culpabiliser les organisations syndicales" estime Eric Marguerite, de Force ouvrière.

Pourtant la réalité est là : les salariés vont perdre de l'argent, des étudiants vont se retrouver sans revenu. Vouloir défendre les droits des salariés et des jeunes tout en les plongeant dans cette situation financière, n'est-ce pas un peu paradoxal ?

Tradition quand tu nous tiens

Pour les syndicats on prend le problème par le mauvais bout. "Donnons plutôt aux étudiants des bourses au-dessus du seuil de pauvreté, des aides au logement, de l'accompagnement financier, un accès gratuit aux études." Pour la CGTR un étudiant "c'est fait pour étudier".

Mais sans les moyens nécessaires, et tant que ces revendications ne sont pas mises en place, que peuvent-ils faire ? Se priver d'études ? Chloé le dit clairement, sans son travail à Monsieur Bricolage, elle n'aurait pas pu payer ses frais de scolarité.

A force d'affirmer avec force "la loi c'est la loi", les grands défenseurs du dimanche sans travail s'embourbent et peinent à réaliser que beaucoup de métiers sont détachés du rythme traditionnel lundi-vendredi. Restaurants, hôtels, services de transport, hôpitaux, agriculture, stations-services, secours, forces de l'ordre… médias tout simplement. Non, le repos dominical n'est pas automatique.

Se baser sur un arrêté vieux de 50 ans est une chose, sur une journée traditionnellement libre selon le calendrier chrétien… en est une autre. Une tradition qu'il serait peut-être temps de changer. C'est d'ailleurs tout le propos des "polos rouges". "On demande à ce que ce décret soit abrogé" déclare Béatrice Fix.  "Ce qui marchait hier ne fonctionne plus aujourd'hui."

Il est plus compliqué de faire plier les syndicalistes qui répètent en boucle qu'ils ne font qu'appliquer la loi. "On suit bien la Constitution de 1958, pourquoi un arrêté de 1966 serait-il considéré comme dépassé ?" s'interroge Eric Marguerite, de FO.

Dimanche, pas dimanche, telle est la question

Pour le syndicaliste, le dimanche c'est sacré. "Cette décision est certes regrettable pour les étudiants, mais le repos dominical doit être conservé à tout prix, la société est ainsi faite" déclare Eric Marguerite. Mais au fond, dimanche ou pas dimanche… quelle différence du moment que les jours de congé hebdomadaires sont respectés et que la durée du travail ne dépasse pas six jours consécutifs ?

"Il faut que le dimanche soit et reste consacré à la vie de famille, à l’amitié, à la fraternité, à l’activité culturelle, au sport et à la vie associative..." communiquait la CGTR suite à la décision du TGI.

Mais l'employée Béatrice Fix remarque : "sur 52 dimanches par an, ces syndicalistes sont-ils toujours en famille ? On est dans une société où on nous dit qu'il faut travailler pour gagner sa vie, et quand on a des gens volontaires pour le faire, on nous enlève ça."

mm / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

 

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6 Commentaires
Depain974, depuis son mobile
Depain974, depuis son mobile
4 ans

les étudiants sont les variables d'ajustements depuis toujours,ils sont indirectement utilisés pour maintenir des salaires bas,limiter les revendications des employés ou les pressurer au besoin.Accesoirement ils permettent l'amplitude d'ouverture,mais ce sont les lois et les décisions judiciaires qui ont permis de maintenir le respect des conventions, pas la grande distribution,les étudiants seront toujours utilisés lors de ces périodes de fêtes...

les arguments ridicules de Hayot
les arguments ridicules de Hayot
4 ans

les prostituées aussi se disent volontaires. On sait ce que ca veut dire pour les non volontaires menacés de licenciement sec. On a envoyé Rieffel en tole on va pas attendre 10 ans pour Bricolage

Mano
Mano
4 ans

Etre volontaire, faire son choix...des mots tabous dans certaines sphères....il faut être dépendant des systèmes ambiants....de plus, le dimanche....repos dominical à été instauré à sa genèse pour aller à la messe...enfin pour les chrétiens....syndiqués ou non....Oupppsssss!!...Je blasphème.....

Le travail salarié
Le travail salarié
4 ans

c'est une etude de l'insee, page 39
il apparaît que le travail salarie? en cours d'études a un effet négatif et statistiquement significatif sur la probabilité? de reussite a l'examen de fin d'année (cf. tableau 5). https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1376784/ES422B.pdfpar ailleur on decouvre qu'aux antilles le chlordecone de Hayot restera dans les sols pendant plusieurs siecles; Aujourd'hui il vient coloniser la reunion et on devrait laisser faire???

Mano
Mano
4 ans

Les propos de cette jeune fille sont pertinents.....une preuve supplémentaire comme quoi la France est une démocratie imparfaite...Un vrai paradoxe...nous sommes dans une économie de marché....qui sous-entend la liberté d'agir, de disposer de son corps, d'entreprendre, de devenir autonome, de s'assumer, de travailler de façon honnête.....et d'essayer de survivre....tout simplement.Laissons le choix ou donnons le choix à ces jeunes et/ ou volontaires....pour que demain on ne les taxe pas d'assistés....

Irène
Irène
4 ans

Je constate que l'excès est mauvais en toute chose !!!! Parler pour les autres !!! Quelle utopie !! Ce type de décision se fait avec l'accord de la personne que l'on dit défendre ;) Travailler le dimanche est la plupart du temps (Logiquement) un choix !! Respectez votre prochain et quand à demander plus d'aides sociales :) Euh l'argent ne tombe pas du ciel !!! Merci à la solidarité nationale mais pas à 100%, comme cette étudiante qui fait un choix ;) Assez d'être dépendant de traditions économiques passéistes...