Une nouvelle carte interactive a été publiée il y a deux jours sur le site Reporterre, et pas n'importe laquelle : celle des "grands projets inutiles" et des luttes qui les accompagnent. L'expression de "grands projets inutiles" ne vient pas de nulle part, elle désigne depuis les années 1980 les chantiers jugés contre-productifs, inutiles ou déficitaires. L'Outre-mer n'est pas en reste et à La Réunion, c'est la Nouvelle Route du Littoral qui apparaît sur cette carte, dans la catégorie "transport". Force est de constater que la route est victime de sa mauvaise réputation : une mauvaise gestion, des retards qui s'accumulent, une facture qui continue d'augmenter, des transporteurs en colère, des roches manquantes, des carrières qui n'en finissent pas de faire polémique... Résultat : la NRL, projet nécessaire pour faire face aux éboulements, se retrouve aujourd'hui dans la liste des chantiers qui font honte à la France. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)
Le site Reporterre l'a mise en ligne ce mardi 7 janvier : la carte des "grands projets inutiles". En tout sept catégories, du transport au commerce en passant par l'agriculture, pour des projets estampillés contre-productifs selon une classification populaire vieille de 40 ans.
Si des cartes existaient déjà à ce sujet, celle-ci liste les luttes déployées dans l'Hexagone et dans les Outre-mer contre ces chantiers. La carte est aussi mise à jour avec les derniers projets en date. Il peut s'agit d'aéroports, de centres commerciaux, d'usines... et de routes. C'est ainsi qu'en dézoomant la carte pour quitter la Métropole, on tombe sur la Nouvelle Route du Littoral et les carrières de La Réunion.
Un projet à l'origine nécessaire... et utile
La NRL y est présentée comme "un projet pharaonique". Un terme que nous ne pouvons pas contredire, loin de là... Douze kilomètres de Saint-Denis à La Possession pour un budget initial de 1,6 milliard d'euros.
Pourtant face aux éboulements qui ont marqué l'histoire de l'actuelle Route du Littoral, il était primordial de trouver une solution. Il va de soi que la construction d'une nouvelle route était une nécessité absolue. Remettre en cause le projet d'un nouvel axe de circulation, non. Mais sans doute pas celui-là, pas de cette manière...
C'est là que la question de la digue fait son entrée. Nécessitant plus de 3,5 millions de tonnes de roches massives, c'est elle qui provoque tous ces retards et ces polémiques qui paralysent le chantier.
Les carrières VS l'écologie
Le scénario du tout viaduc est prôné par les collectifs et associations anti-carrières depuis le début. Mais la Région y tient à sa partie digue. Et il n'y aura manifestement pas de machine arrière. N'oublions pas que la question de la digue n'est pas arrivée par hasard au beau milieu du tableau. Les hésitations ont duré longtemps et ont animé l'actualité réunionnaise fin 2013 – tout viaduc, pas tout viaduc, telle est la question – mais il a fallu calmer l'ire des transporteurs… et leur donner du travail.
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Face à l'option digue, les problèmes se sont vite enchaînés à travers la questions des carrières. Envisagées, exploitées, puis fermées, puis re-envisagées. Et toujours pas ouvertes.
L'Etat a pourtant tout fait pour les ouvrir les carrières, comme celle de Bois Blanc, symbole du combat du Collectif contre la digue. Les arguments sont nombreux : risques pour les sols, élimination d'espèces endémiques faune comme flore, pollution sonore et poussière de chantier pour les habitants et les écoles alentour...
L'impact de l'exploitation des carrières sur l'environnement n'a pas laissé les hauts responsables indifférents. Le Conseil d'Etat a dit non, l'Autorité environnementale a dit "attendons une expertise". La Région l'a bien compris, il faudra faire sans les carrières.
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La partie digue au coeur de la polémique
Alors les roches ont commencé à manquer. Comment construire cette fameuse partie digue, puisqu'il faudra bien la construire un jour, sans carrières ? Les scénarios ont été aussi multiples que variés. Importer des roches malgaches : ça n'a pas marché. Des roches de Maurice : jamais abouti. Une nouvelle carrière à Sans Souci : une idée du sénateur Jean-Luc Poudroux, qui n'a trouvé aucune résonnance. Aller chercher des andains dans les champs de La Réunion : pas assez de roches et trop fragile pour les sols. Construire des cubes de béton pour combler les roches manquantes : un projet finalement démenti par la Région.
Ce sera l'option andains qui sera choisie. Selon une récente étude de la Safer et de la Région, 2,6 millions de tonnes de roches sont exploitables dans les champs agricoles de Sainte-Anne. Reste à savoir si les responsabilités environnementales l'autoriseront... En tout cas, il faudra sans doute débloquer une enveloppe supplémentaire, nécessaire pour terminer le chantier.
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Une route déjà beaucoup trop chère
En 2011, alors que le projet de cette route gonflait le président de Région de fierté et d'ambition, le discours était bien rodé. Coût estimé des travaux : 1,6 milliard d'euros. "Nous tiendrons le cadre financier et le calendrier", assurait Didier Robert en février 2011. Deux milliards d'euros plus tard, cette route n'est toujours pas terminée. Certains estiment que le coût de la NRL pourrait avoisiner les 3 milliards d'euros.
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Ajoutez à cela les "'autres" dépenses. Début décembre, alors que les transporteurs n'avaient toujours rien de concret concernant l'approvisionnement en galets pour poursuivre et terminer le chantier, Imaz Press Réunion révélait que la Région envisageait la construction de deux murs, un du côté de la Grande Chaloupe, l'autre à La Possession, officiellement pour protéger le chantier pendant la période cyclonique. Une option qui se chiffre à plus de 10 millions d'euros...
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Il y aussi eu, plus récemment encore, la question de "construire" des roches à défaut d'aller les chercher sur les terres agricoles. C'est l'option qu'a choisi Monaco sur un chantier en juillet 2018 : remplir des "cubes" de béton, des caissons qui sont positionnés en file indienne pour former une digue consolidée. Sur la totalité du budget alloué pour le projet de Monaco, la moitié soit un milliard d'euros concernait la partie maritime et les caissons formant une digue de protection. Une technique coûteuse qu'a démenti la Région depuis.
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Par ailleurs, un nouvel appel d'offres pourrait être proposé pour la partie manquante en digue. Ce qui signifie dédommager le groupement GTOI-SBTPC-Vinci, jusqu'ici maître d'ouvrage du chantier de la NRL. Nul doute que le groupement va attendre une indemnisation à la hauteur. Dans le milieu du BTP, on parle de 150 millions à 200 millions d'euros...
Un gros caillou dans la chaussure
La liste des obstacles à cette route est longue, la facture aussi. La dette de la Région Réunion a explosé entre 2015 et 2018. Selon la Cour des Comptes (CRC) elle a augmenté de 108% sur cette période, passant de 588 millions d'euros en 2015 à plus de 1,2 milliard d'euros en 2018. Une augmentation essentiellement due aux dépenses relatives au chantier de la Nouvelle route du littoral comme le souligne la CRC...