Les associations de défense des droits sont vent debout

Projet de loi sécurité globale : "les libertés fondamentales sont globalement menacées"

  • Publié le 20 novembre 2020 à 12:44

Le 24 novembre 2020, l'Assemblée nationale a prévu de se prononcer sur la proposition de loi dite de "sécurité globale" proposée et soutenue par les députés de la majorité, dont l'ancien ministre de l'intérieur Christophe Castaner. Cette loi viserait "à améliorer la sécurité des Français" selon Alice Thourot, députée LREM, qui en est à l'origine. L'article 24 qui tend à interdire la diffusion sur les réseaux sociaux du visage des forces de l'ordre en intervention est largement décrié par plusieurs associations de défense des droits et par des membres de l'opposition. Cette loi porterait, selon eux, globalement atteinte aux libertés fondamentales. L'exécutif de son côté vient d'annoncer l'amendement de la mesure en question, en y garantissant la liberté d'informer. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Hasard du calendrier, le 17 novembre marquait à la fois l’anniversaire du mouvement des Gilets Jaunes né en 2018, et le début de l’examen, à l’Assemblée nationale, de la proposition de loi très controversée dite de "sécurité globale" qui vise, entre autres, à protéger les forces de l’ordre et renforcer la sécurité intérieure.

Face aux polémiques et manifestations sur le droit à l'information, l'exécutif a d'ores et déjà annoncé amender la mesure controversée de la proposition de loi "sécurité globale" encadrant l'image des policiers, en y garantissant la liberté d'informer.

Dans le viseur de ses opposants, l’article 24 de cette proposition de loi, examiné à l'Assemblée ce vendredi 20 novembre. Il propose de punir "d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale dans le cadre d’une opération".

Proposée par l’ex-patron du RAID (Recherche, assistance, intervention, dissuasion - unité d’élite de la police) devenu député LREM, Jean-Michel Fauvergue et la députée LREM Alice Thourot, cette proposition de loi s’inscrit, selon le gouvernement, dans un contexte particulier : "menace terroriste, montée des incivilités et de la délinquance". Elle fait suite aux propos du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin qui parlait "d’ensauvagement de la société" en juillet dernier dans une interview au Figaro. Pour Alice Thourot, entendue lors de la commission des lois du 2 novembre, cette proposition "vise à améliorer la sécurité des Français".

De nombreuses voix s’élèvent pourtant depuis plusieurs jours contre cette proposition que les organisations de défense des droits comme Amnesty International qualifient de "liberticide".  Par ailleurs, les députés LREM étant largement majoritaires, beaucoup redoutent que le texte soit voté malgré les attaques de l’opposition.

C’est justement ce que craint la défenseure des droits et membre de la commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), Claire Héron. Elle considère que "cette proposition de loi soulève des risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée et à la liberté d’information". La ligue des droits de l’Homme dont certains membres font également partis de la CNCDH est du même avis. Jacques Pénitot, de la branche réunionnaise de cette structure, dénonce "une volonté de faire pression sur les citoyens et les libertés individuelles" et "une tendance à ce que notre état républicain se transforme en un état répressif".

La polémique a pris un tournant international lorsque le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a fait part de son inquiétude à Emmanuel Macron. Dans un communiqué publié en début de semaine, les membres annoncent craindre "que l’adoption et l’application de cette proposition de loi puissent entraîner des atteintes importantes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales".

- "Protéger les forces de l’ordre" -

Les élus réunionnais, sont très partagés sur la question. Certains comme Jean-Luc Poudroux ou David Lorion voient d’un "bon œil" cette loi qui selon eux, "protègent les forces de l’ordre" ; d’autres comme Jean-Luc Ratenon et Philippe Naillet se questionnent plutôt sur la question de la protection des libertés.

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Pour les pro-loi "sécurité globale", toute la subtilité de ce débat réside en effet dans la différence entre l’interdiction totale de filmer, dont il n’est pas question selon eux et l’interdiction de montrer les visages des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux. Tous sont unanimes : "cette loi va dans le bon sens, nous n’empêchons pas les journalistes de faire leur travail".

Christophe Castaner l’assure au micro de France Inter : "tous les médias, y compris les médias libres et les Français qui voudraient filmer les forces de sécurité intérieure en intervention seront libres de le faire et de diffuser sauf s’il y a volonté de nuire ". 

- Une notion floue -

L’un des problèmes majeurs qui est justement soulevé par les opposants au texte de loi est qu’à ce stade, aucune précision n’a été donnée sur les indicateurs permettant de définir au moment de la prise de vue s’il y a ou non volonté de nuire.

De même certains pourraient s’étonner de la réticence des forces de l’ordre à se faire filmer en action de maintien de l’ordre, si leur intervention est exercée dans le strict respect des lois et procédures. Ce qui n’a pas été le cas dans un passé récent, pendant les manifestations des gilets jaunes en l’occurrence. Certains gendarmes et policiers avaient en effet retirés volontairement leur RIO (référentiel des identités et de l'organisation) interdisant toute possibilité d’indentification de la part de leur hiérarchie. Pratique lorsque on s’autorise certaines entorses.

Lire aussi : Face aux nouvelles accusations de violences policières, l'exécutif infléchit son discours

Le tout en sachant que plusieurs affaires ont éclaté grâce à des vidéos prises sur le fait et publiées par les médias : l’affaire Benalla ou Cédric Chouviat par exemple. Beaucoup s’inquiètent d’une volonté de censure de la part du gouvernement qui s’est montré déjà plus d’une fois hostile à la presse.

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C’est le cas notamment d’Amnesty International pour qui "cette proposition de loi prévoit des entraves majeures à la possibilité, essentielle dans un état de droit, de filmer et diffuser des images des forces de l’ordre, alors que ces dernières années, de nombreuses vidéos prises par des journalistes ou de simples citoyens ont permis de rendre publics des cas de violations des droits humains". L’ONG ajoute : "avec une telle disposition disparaît la possibilité de faire des vidéos en direct, par peur de la sanction, qui s’ajoute au risque de censure par les plateformes de réseaux sociaux".

C’est un des points qui posera sans doute le plus de problèmes aux journalistes pour exercer leur métier : comment diffuser un direct sur les réseaux sociaux si les visages des forces de l’ordre doivent être floutées au préalable ?

Reporters sans frontières (RSF) est montée au créneau et demande aux députés de rejeter "les dispositions dangereuses". L’ONG dénonce "un texte dangereux en l’état" : "de nombreux points ne sont pas clairs notamment l’article 24, RSF y voit une menace pour la liberté de presse" détaille Pauline Adès-Mevel, porte-parole de l’ONG.

"RSF a établi que si le risque de condamnation de journalistes est faible, les policiers pourraient procéder, sur le terrain, à l’arrestation d’un journaliste en train de filmer leurs opérations, ce qui représente une entrave au droit d’informer" ; et s’inquiète de l’après : "dans le cas d’une plainte déposée après la diffusion des images, le procureur, qui aura à sa disposition tous les moyens de l'enquête pénale, pourrait utiliser le moindre propos critique ou virulent contre les forces de l’ordre et les violences policières qui aurait été diffusé sur les réseaux sociaux pour démontrer une intention de nuire et justifier ainsi une condamnation". 

Dans son amendement sur l'article 24, l'exécutif doit préciser "que les dispositions envisagées ne feront nul obstacle à la liberté d'informer et que le délit créé par le texte visera uniquement le fait de diffuser des images dans le but qu'il soit manifestement porté atteinte à l'intégrité physique ou psychique" d'un policier, d'un militaire ou d'un gendarme, indique Matignon.

- Manifestation mouvementée devant l’Assemblée nationale -

Ce mardi 17 novembre plusieurs manifestations contre la proposition de loi se sont déroulées en Métropole. A Paris, au moins deux journalistes ont été arrêtés et placés en garde à vue alors qu’ils couvraient l’événement dont un reporter de France 3. Dans un tweet, François Desnoyers, directeur régional de la chaîne, a annoncé "la condamnation" par la direction de France Télévisions de "cette restriction des droits de la presse et l’obstruction au bon exercice du droit d’informer".

Toujours à Paris, plusieurs journalistes ont été bousculés par les forces de l’ordre. Nos confrères de Brut ont capturé l’instant dans… un live diffusé sur les réseaux sociaux.

A la suite de ces interpellations qui ont fait bondir la profession déjà inquiète, le ministre de l’Intérieur a à nouveau mis de l’huile sur le feu. Gérald Darmanin a en effet évoqué la nécessité pour les journalistes de "se rapprocher de la préfecture de police" pour couvrir les manifestations. Résultats : indignation des professionnels de l’information pour qui cette disposition constituerait une attaque à la liberté d’informer et rétropédalage du ministre sur Twitter, quelques heures plus tard : "pour éviter la confusion au moment d’une opération, le schéma national du maintien de l’ordre que j’ai présenté en septembre prévoit que les journalistes peuvent, sans en avoir l’obligation, prendre contact avec les préfectures en amont des manifestations".

La France est à la 34ème place sur 180 dans le classement mondial pour la liberté de la presse de Reporter sans frontières : elle a perdu deux points sur l’année 2019. Une nouvelle manifestation pour protester contre la proposition de loi est prévue à Paris ce samedi 21 novembre.

vc / redac@ipreunion.com / www.ipreunion.com

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4 Commentaires
Mayaqui, depuis son mobile
Mayaqui, depuis son mobile
3 ans

Comme le dit Hulk , On floute les voleurs, les assassins .... flouter les forces de police pour qu ils ne soient pas menacés dans leur vie privée me semble normal ....

La Bac, le Raid portent la cagoule dans des opérations dites spéciales, radicalisation, grand banditisme ...

Dans les manifestations, la police peut également porter la cagoule , ou des tours de cou , pour se protéger dès lacrymogènes, des feux, des cocktails Molotov (rappelez vous le CRS en feu en 2017) ; les syndicats de la police disent que parfois c'est pour ne pas être reconnus car leur image est diffusée sur certains sites avec même leur adresse !!!!!!

La solution est peut être là...... nous avons besoin de notre police plus que jamais .
Trop de laxisme par les différents gouvernements nous ont menés dans une situation inextricable ....

HULK
HULK
3 ans

Cette loi n'est pas forcément plus "liberticide" que d'autres précédentes, parfois plus dangereuses. Il me semble que punir quelqu'un parce qu'il a décroché le portrait de M.MACRON et l'a brÃ"lé est plus grave que de flouter le visage d'un policier. Vous devez flouter le visage d'un individu en train de voler mais les policiers doivent opérer visage découvert. De toute manière,s'il y a un problème, il suffit de visionner l'original de la bande,et on verra son visage, non?

MÃ'véLang
MÃ'véLang
3 ans

1 an de prison et 45 000 euros d'amende aussi pour le policier et l'État voyou, car ça fait un moment qu' en occident, on est parti vers une dictature démocratique.Exemple : Il y a 20 ans que georges bouch a montré les photos des preuves des armes de destruction massive de Saddam Hussein, à ce jour, malgré les moyens énormes déployés, ils n'ont pas encore trouvé la plus petite bombinette inoffensive.Mais, on a vu les démocratiens commencer à voler son pétrole avant la capitulation du pays.

Noel
Noel
3 ans

A lire sur France culture un mois après l'élection de Macron : PREVIOUSLY | Alors que bon nombre de rédactions s'alarment de la conception qu'a l'Exécutif de la liberté de la presse depuis l'élection d'Emmanuel Macron, retour sur l'histoire du ministère de l'Information, supprimé en 1974 après de nombreuses accusations de censure et d'ingérence.https://www.franceculture.fr/histoire/censure-macron-va-t-il-recreer-le-ministere-de-linformation-mort-il-y-43-ans