Une pratique légale mais "opaque" selon la préfecture

Échange : pêche de requins bouledogue contre bons d'achat

  • Publié le 27 février 2020 à 10:26
  • Actualisé le 27 février 2020 à 10:30

Depuis plusieurs mois, des photos de requins pêchés traditionnellement à La Réunion se multiplient sur la page Facebook d'Océan Prévention Réunion (OPR). L'association offre des bons d'achat à utiliser dans des magasins de pêche à ceux qui lui envoient les photos de leurs prises. La pêche des bouledogue reste une pratique légale puisqu'elle n'est pas faite dans un cadre commercial. C'est malgré tout une pratique opaque qui gagnerait à être davantage contrôlée, selon la préfecture qui ne s'inquiète pas pour l'instant outre mesure, les pêches de bouledogue restant marginales.

Pas plus tard que le 18 février 2020, l'association Océan Prévention Réunion poste une photo transmise par un pêcheur de Grande Anse. "Un triplé" comme le communique OPR "avec 2 mâles et une femelle respectivement de 7, 9 et 7,5 kg." Le pêcheur se verra remettre un bon d'achat à utiliser dans un magasin de pêche spécialisé, en récompense de sa prise.

Ces bons ne sont pas là pour inciter les pêcheurs à tuer du requin, affirme Jean-François Nativel, président de l'association OPR et également candidat aux élections municipales à Saint-Paul. "C'est un coup de pouce que je donne à ces gens qui contribuent à réduire le risque requin." Les bons s'élèvent à 30 euros par prise. "Bien sûr j'essaie d'avoir une preuve des photos que l'on m'envoie mais j'ai une grande confiance en ces pêcheurs" ajoute le président d'OPR. "On donne peu, mais si on pouvait on donnerait plus !"

Consommés mais pas commercialisés

Ces requins bouledogue finissent dans les assiettes des pêcheurs, qui ramènent les prises chez eux, selon OPR. Ils sont donc consommés dans un cercle privé, et pas commercialisés. Depuis 1999, il est en effet interdit de consommer la chair des requins bouledogue et tigre pour raisons sanitaires. Selon la préfecture, il existe un risque d'intoxication, la "ciguatera", liée à la consommation de poissons contaminés par des toxines.

Les services de l'Etat restent cependant sceptiques. "Qu'est-ce qui nous prouve qu'une partie de ces prises n'est pas vendue sous le manteau ? On ne peut en tout cas pas l'exclure" nous dit-on. La pratique reste donc légale mais pose question. "Le problème de cette pêche traditionnelle, c'est son opacité. Il n'y a aucune objection à avoir a priori, mais on ne sait pas exactement ce qui est pêché et où c'est pêché. Ces squales finissent-ils vraiment dans les assiettes des pêcheurs ? Et combien de prises accessoires à côté de ces requins ? Comment être sûr que ces requins ne sont pas pêchés dans les zones protégées ?" s'interroge la préfecture.

Jean-François Nativel assure être vigilant à ces questions. "Une fois j'ai bien vu que c'était un requin de récif que le pêcheur avait eu, je lui ai dit : attention ce n'est pas autorisé !" C'est justement ce qui fait peur à la préfecture : "Comment être certain qu'aucune espèce menacée n'est pêchée ? Les pêcheurs font-ils vraiment la différence entre toutes les espèces ?"

L'intérêt de pêcher du bouledogue pour en faire un kari est également discutable selon la préfecture qui estime que la chair d'un adulte est "peu goûteuse voire infecte, trop ammoniaquée" : "si on souhaite que cela soit mangeable, il faut que ce soit un juvénile et bien cuisiné, bien pimenté…"

Quelques échantillons envoyés à l'Université

Sur les annonces postées sur les réseaux sociaux on y voit à chaque fois la mention de cette phrase : "un échantillon de ce spécimen sera remis à l'Université de l'île de La Réunion dans le cadre de "EURRAICA", programme local de connaissance génétique sur les requins". Un partenariat dont est très fier le président d'OPR. "Cela fait déjà 4 ans qu'on collabore avec l'Université. Beaucoup de gens diabolisent la pêche du requin alors que c'est aussi une manière d'en savoir plus sur les bouledogue."

Collaboration que confirme Sébastien Jaquemet, enseignant-chercheur en biologie marine à la faculté de sciences de La Réunion. Obtenir des échantillons n'est cependant pas chose aisée et si la petite phrase portant sur les échantillons apparaît lors de chaque prise, leur envoi est loin d'être systématique. "Depuis 2014-2015, on a du recevoir peut-être 3 ou 4 échantillons issus de ces pêches" compte l'enseignant chercheur. "OPR communique énormément sur le sujet, mais dans les faits on ne reçoit pas grand-chose", ajoute-t-il, reconnaissant malgré tout dans la démarche du président de l'association un geste "sincère et volontaire".

La récupération d'échantillons peut être intéressante pour l'Université qui a cependant conscience de la polémique autour de la pêche au requin. "Puisqu'il est pêché de toute façon, nous on est OK pour profiter de l'opportunité" reconnaît Sébastien Jaquemet. Il arrive que son bras droit, le technicien de laboratoire Thomas Poirout, se rende directement sur place pour prélever sur les prises des pêcheurs. "Mais les gens restent méfiants, ils ont peur des répercussions, ou alors ne montrent pas beaucoup d'intérêt pour l'aspect recherche", explique Sébastien Jaquemet.

Le nombre de ces échantillons peine donc à s'envoler, également car pêcher du bouledogue n'est pas donné à tout le monde, comme le rappellent les services de l'Etat. "Déjà on en voit moins grâce au programme de prévention du Centre Sécurité Requin, et le bouledogue reste tapi dans les fonds marins, il est donc difficile de le pêcher."

Un complément au programme de pêche qui n'a rien d'officiel

Ce soutien d'OPR à la pêche traditionnelle des bouledogue, la préfecture le rappelle : "c'est une pure initiative OPR". L'association y voit un complément solide du programme officiel de pêche de l'Etat. Mais ce complément, lui, n'a rien d'officiel.

OPR de son côté estime agir là où le programme officiel est loin d'être suffisant. "Avec le programme de l'Etat on ne pêche 20 bouledogue par an !" déplore Jean-François Nativel. Mettant en avant son complément maison, il reconnaît cependant qu'il est difficile de motiver les pêcheurs à s'afficher : "j'ai eu 3 retours seulement en 2019 contre une dizaine en 2018. La pêche de requins a une image beaucoup trop négative !"

Les pêches de squales mises en avant sur la page d'OPR restent cependant marginales, comme le soulève la préfecture : "ce sont de petites quantités pour l'instant, on s'inquiéterait davantage si ces bons d'achat provoquaient un développement significatif de la pêche de bouledogue. Il y a beaucoup de communication à ce sujet mais peu d'impact sur la population de requins, ça reste anecdotique. Ça deviendrait un vrai sujet qu'il faudrait surveiller et contrôler par contre si le dispositif prenait de l'ampleur."

Vers une levée d'interdiction de commercialiser ?

Comme depuis le début de son combat, le président d'OPR souhaite briser le tabou et lever l'interdiction de commercialiser du bouledogue ou du tigre. "Il faut lutter contre la prolifération de ces requins. Regardez avant on se faisait lyncher, et tout le monde dit merci maintenant."

Un changement de mentalité lié notamment selon lui à la mort d'un pêcheur, tué par un squale le 30 janvier 2019. Âgé de 41 ans, ce pêcheur de bichique a été attaqué à Sainte-Rose au niveau de l'embouchure de la Rivière de l'Est. La jambe gauche arrachée, il n'a pas survécu.

Si le président d'OPR assure que "de toute façon la pêche au requin se fait qu'on le veule ou non", c'est bien sa commercialisation qui fait débat. "C'est aussi une façon de la part d'OPR de protester contre l'arrêté de 1999. C'est un acte militant, quelque part", estime la préfecture. Faute d'autorisation pour commercialiser le requin, les pêcheurs seraient démotivés à l'idée de chercher du bouledogue. C'est en tout cas l'argument retenu par OPR.

La préfecture estime encore aujourd'hui que le risque sanitaire lié à la ciguatera n'est pas totalement nul. Mais les services de l'Etat réfléchissent cependant sérieusement à revenir sur l'arrêté de 1999. "Il existe bien un programme de recherche, qui coûte 200.000 euros par an sur 4 ans, en vue peut-être un jour d'envisager la reprise de la commercialisation du requin." Un programme visant à étudier l'impact réel de la toxine tant décriée sur les squales réunionnais.

La reprise de la pêche, si elle se fait, pourrait provoquer une levée de boucliers de la part des associations écologistes. "On ne viserait pas non plus une pêche industrielle", assure la préfecture. "On ne pense pas non plus que sitôt l'arrêté levé, on aura tout d'un coup des centaines de pêcheurs qui prendront la mer. Il s'agirait de toute façon de faire ça intelligemment".

mm / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

Pour aller plus loin :

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guest
5 Commentaires
pierre
pierre
4 ans

Espèces invasives la longs des coraux frangeants, et qui volent le territoire d'autres espèces endémique à l'île depuis des années déjà.Bonne résolution de leur part. Bientôt les tigres et bouledogues dans nos assiettes et les pointes blanches et pointes noires retrouverons enfin leur espace et leur nurserie et seront en nombre pour repousser ces squatteurs mangeurs de tortues marines et autres espèces protégées. Continuez la lutte.

Favites
Favites
4 ans

OUI ,ELLES SONT OÙ CES PUBLI JUSTIFIANT CE MASSACRE !! dans les annales OLIDA OU SUR LA feuille de choux OPR de NATIVEL JAQUEMET -NATIVEL même combat,!!!

Favites
Favites
4 ans

BEN VOYONS NONO PLUS FACILE DE rester dans son laboratoire le CUL dans son fauteuil a attendre que l'on apporte de quoi faire un "papier ,que d'aller traîner ses palmes à 60-70m.Elles sont où ces publications qui justifient ce massacre des requins ???

Nono
Nono
4 ans

@Favites
Effectivement, concernant la dépendance aux viandards, il est plus facile d'aller chercher des coraux que des échantillons de poisson. Merci pour cette riche information d'un intérêt scientifique certain.
Tiens, en parlant des coraux, bravo pour vos recherches pendant des années, je ne sais personnellement pas à quoi cela a servi vu l'état lamentable général du lagon, mais c'est sans doute parce que je ne suis pas scientifique.

Favites
Favites
4 ans

Salut collègue enseignant-chercheur! En tant qu'àncien dela maison( biologie marine) je constate que les moeurs ont bien changé!! Il était un temps où aller sur le terrain(biodiversité coraux) sans dépendredes VIANDARDS être ainsi ASSOCIÉ à leur sale besogne et ainsi la JUSTIFIER !!!!