L'ARS appelle à la prudence

La chloroquine bientôt soumise à des essais cliniques à La Réunion

  • Publié le 1 avril 2020 à 05:30
  • Actualisé le 1 avril 2020 à 06:40

Elle fait polémique y compris chez les scientifiques : la chloroquine peut désormais être prescrite contre le Covid-19. Encensé par le professeur Raoult, qui exerce à Marseille, le médicament pourrait être une piste de traitement. Si bien qu'une équipe de scientifiques péi a lancé une opération nommée "Proquine" et visant à mettre en place des essais cliniques de grande ampleur, dans les hôpitaux de l'île mais aussi dans le reste de la France. Un projet soutenu par la Direction générale de la santé et qui pourrait donc commencer d'ici peu. L'ARS appelle cependant à la prudence et à ne pas tomber dans la précipitation, les effets néfastes de la chloroquine étant bien réels. (Photo rb/www.ipreunion.com)

La prescription de la chloroquine (sous sa forme la plus répandue, l’hydroxychloroquine de son nom complet) est autorisée depuis le 26 mars via un décret publié au Journal officiel. Elle est cependant loin d'être automatique et reste extrêmement contrôlée. La chloroquine est dédiée aux patients déjà malades et est administrée "dans les établissements de santé qui les prennent en charge".

Aujourd'hui une équipe de scientifiques à La Réunion étudie la possibilité de prescrire de la chloroquine sous une forme "prophylactique" à savoir préventive, quand la charge virale est suffisamment développée pour intervenir, mais avant qu'une forme grave de la maladie se contracte.

Selon les médecins en charge de l'étude, ce dispositif pourrait donc permettre d'intervenir sur les patients tout juste dépistés positifs au Covid-19.

- "Opération Proquine" -

Pour le docteur Claude Gindrey, anesthésiste réanimateur au CHU de La Réunion, ces tests seraient l'occasion de "valider scientifiquement le pouvoir prophylactique de l’hydroxychloroquine" et donc, selon lui, de soigner le plus grand nombre.

L'opération a été nommée "Proquine". Pour faire preuve de bonne foi, l'équipe souhaite mettre en place un consortium de recherche nommé "Graal" qui serait installé à Antananarivo, à Madagascar. "Toutes nos études seront publiques, dans un souci de transparence" explique le docteur Gindrey. Pourquoi sur la Grande île ? "Parce que là-bas ils sont beaucoup moins bien dotés que nous en terme de recherche médicale, autant s'y rendre", ajoute-t-il.

Le médecin s'inscrit dans la continuité des travaux menés par le controversé professeur Raoult en Métropole. "La chloroquine est connue depuis des années c'est l'un des médicaments les plus vendus avec l'aspirine", défend-il, pointant du doigt les opposants au professeur Raoult qu'il qualifie de "détracteurs".

- Des tests bientôt réalité ? -

L'opération Proquine avance. Aujourd'hui l'équipe en charge de l'étude souhaite des essais cliniques de grande ampleur, à La Réunion et dans les 22 agences régionales de France. "Nous avons prévenu la Direction générale de la santé et mis monsieur Jérôme Salomon en copie de tous nos e-mails. Aujourd'hui on est capable de lancer l'opération" assure Claude Gindrey.

De fait, la Direction générale de la santé a permis, via une autorisation dérogatoire au protocole, d'accélérer la procédure visant à mettre en place ces tests cliniques. Un synopsis détaillé a cependant été demandé à l'équipe scientifique en charge du projet. "Il ne nous manque plus que l'accord du pape !" s'amuse Claude Gindrey.

En réalité, cela passe par le crible de l'ARS et nécessite également l'accord des hôpitaux. En effet, seuls les hôpitaux "volontaires" se lanceront dans l'aventure.

- Prudence et patience -

A Imaz Press nous avons échangé avec les structures de recherche compétentes de l'île et plus spécifiquement l'Agence régionale de santé. A l'ARS on reste très prudent sur la question de la chloroquine et les tests clinique de l'opération Proquine.

"Il ne faudrait pas donner de faux espoirs" nous dit-on. L'agence reste sur la réserve face aux nombreux "positionnements hétéroclites" et les polémiques que suscitent les études du professeur Raoult. Les effets secondaires de la chloroquine, notamment sur le plan cardiaque, sont non négligeables. "Tout est une question de dosage" estime pour sa part le docteur Claude Gindrey.

L'ARS estime que les auteurs de cette étude sont "sans doute de bonne foi" et que "l'idée est intéressante, porteuse d'espoir". Cela dit, la chloroquine n'est pas l'unique molécule actuellement à l'étude pour traiter le Covid-19. L'Union européenne a en effet lancé un grand essai clinique dans 7 pays dont la France, baptisé "Discovery", qui vise à réaliser toute une série de tests sur plusieurs médicaments en s'appuyant sur des molécules déjà connues pour d'autres maladies.

Comme le rappelle le journal Les Echos, cinq "branches" sont incluses dans cette étude : les patients sans aucun médicament expérimental, ceux soignés au Remdesivir (mis au point pour combattre Ebola), un troisième groupe soigné au lopinavir en combinaison avec le ritonavir (contre le VIH), un quatrième avec la même combinaison à laquelle s'ajoute l'interféron "bêta", une protéine naturelle. Enfin, la cinquième branche est un traitement à base d'hydroxychloroquine, résumée à "chloroquine". Une branche ajoutée à la demande du gouvernement.

Alors pourquoi la chloroquine a-t-elle été validée aussi rapidement par décret au Journal officiel ? "Honnêtement c'est très étonnant" admet-on du côté de l'ARS. La réputation du médicament, mais également son coût moindre auront peut-être eu raison des délais de recherche scientifique, la crise sanitaire l'exigeant.

Dans un communiqué diffusé par plus tard que ce mardi 31 mars, l'ARS de La Réunion a lancé un message d'alerte : "des études supplémentaires sont nécessaires pour valider son efficacité et vérifier son innocuité (…) De ce fait, et dans le but de garantir la distribution de PLAQUENIL aux patients qui en ont un besoin impérieux, ce médicament ne doit pas être prescrit hors de ce cadre".

En effet, force est de constater que le médicament Plaquenil a été prescrit récemment à tour de bras par des médecins de l'île, provoquant une pénurie dans les pharmacies et fragilisant les personnes atteintes de lupus par exemple, pour qui le médicament est essentiel. Raison de plus pour l'ARS de sensibiliser à nouveau face à l'usage du médicament.

- La communauté scientifique divisée -

Pour l'ARS cependant, les essais cliniques sont une bonne nouvelle. "Mais cela nécessite une vraie rigueur" nous dit-on. Par des essais thérapeutiques plus solides et effectués directement à La Réunion, c'est en effet l'occasion d'avancer sur la question du traitement.

Mais sur ce point, y compris dans les rangs des "pro-Raoult", les visions divergent. Certains comme l'opération Proquine, s'attardent sur l'aspect prophylactique du médicament et donc son côté préventif. D'autres préconisent un traitement pour guérir de la maladie, une fois que celle-ci est déjà contractée.

Prix Nobel 2008 de médecine pour la découverte du virus du sida, Françoise Barré-Sinoussi a été l'une des premières à appeler à la prudence face à la chloroquine, dans un entretien accordé au journal Le Monde. Pour elle comme pour de nombreux membres de la communauté scientifique, l'efficacité de ce traitement contre le coronavirus n'a pas été prouvée "de façon rigoureuse".

De fait pas plus tard que le vendredi 27 mars 2020, le professeur Didier Raoult a mis en ligne une nouvelle étude sur le site de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille qu’il dirige.

Cette étude menée sur 80 patients a été aussitôt fustigée par de nombreux scientifiques. Au même titre que ses précédentes études, jugées insuffisantes, le médecin a été accusé de ne pas inclure de "groupe-contrôle" dans cette étude qui n'est parue dans aucun journal scientifique.

Un groupe-contrôle est un ensemble de patients à qui on ne donne pas le médicament étudié dans un souci de comparaison avec le groupe traité. Difficile donc de conclure que c'est bien la chloroquine qui est un facteur "d'évolution favorable" sur ces patients, selon les termes de l'étude.

Par ailleurs on compte à l'heure actuelle 3 décès potentiellement liés à un traitement à la chloroquine. Des enquêtes se poursuivent pour déterminer si l'administration de Plaquenil est à l'origine de la mort de ces patients. Ce lundi 30 mars, l'Agence française du médicament (ANSM) a prévenu que les traitements à la chloroquine pouvaient entraîner "des effets indésirables graves" et ne devaient "en aucun cas" être utilisés en automédication.

mm / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

Pour aller plus loin :

L'ARS fait le point sur les masques distribués et met en garde contre la chloroquine

La prescription de chloroquine autorisée en traitement du Covid-19

Coronavirus: Trump optimiste sur l'antipaludéen chloroquine

guest
7 Commentaires
Mano
Mano
3 ans

Pleine réussite dans votre démarche...

Voyageur
Voyageur
3 ans

Comment se fait il que j'en ai pris pendant 20 ans lors de mes déplacements dans le monde et sans effet secondaire !!!!!

Claude GINDREY
Claude GINDREY
3 ans

Entièrement d'accord pour cette prudence puisque nous avions demandé à nos pharmaciens de sécurité les stocks et éviter toute automédication Il faut donc des essais bien encadrés et qui ne peuvent être qu'en mode dérogatoire vu l'urgence pandémique. Dans quelques petites semaines la masse totale virale sera en partie contenue La fenêtre est étroite il faut forcer le pas pour ne pas perdre l'occasion de prouver ou pas la capacité prophylactique de l'hydroxychloroquine News qui va dans le sens de notre démarche Une étude chinoise de l'hôpital Renmin (non encore publiée, mais disponible en preprint avant reviewing depuis le 30 mars 2020) suggère que, chez des patients présentant des formes modérées de COVID-19, l'administration de 400 mg/jour d'hydroxychloroquine pendant 5 jours accélère modestement la disparition des symptômes (en moyenne, une journée de moins de fièvre et de toux sur 3 jours de symptômes). Mais ce traitement pourrait s'avérer plus décisif en termes de prévention de la progression vers des formes graves : les 4 patients ayant progressé vers une forme clinique sévère étaient tous dans le groupe contrôle. Malgré ses limites (changement de design en cours d'étude, petite taille, traitement standard mal décrit, éventuelle absence de double aveugle, non publication de données virologiques et radiographiques), cette étude pourrait indiquer une utilité de l'hydroxychloroquine dans la prise en charge des formes précoces et modérées de la COVID-19, dans un objectif de prévention d'une éventuelle aggravation. Son analyse est à mettre en regard des études virologiques existantes et de l'absence d'efficacité clinique observée dans une étude similaire, mais de plus petite taille, publiée début mars.

Sapoties
Sapoties
3 ans

Effectivement tenter quelque chose vaut mieux que ne rien tenter du tout, mais pourquoi est-ce à la Réunion que l'on effectue les essais cliniques ?

Mayaqui, depuis son mobile
Mayaqui, depuis son mobile
3 ans

Dans des épisodes aussi virulents que les pandémies, le temps manque et si un medicament est efficace, on s en sert , en prenant en compte les contre indications bien sur !!!!

Nico
Nico
3 ans

Poisson D'avril!! (Non, c'est une information réelle Nico. Bonne journée Nico - Webmaster)

Strop
Strop
3 ans

Il ne s'agit pas d'être pour ou contre. Il s'agit d'étudier, de faire des tests réels avant conclusion. Mais nous sommes dans une époque remplie de frustrations et de difficulté à patienter... les gens veulent tout, tout de suite, maintenant, en particulier ceux qui ne font rien. Que la paix et la santé soient avec vous.