Selon un observatoire international

Surpopulation, violence, contrebande et troubles psychiatriques dans les prisons de La Réunion

  • Publié le 26 février 2019 à 06:25
  • Actualisé le 6 mars 2019 à 11:18

70 652 personnes incarcérées en France en janvier 2019, une nouvelle augmentation indiquent les chiffres publiés par le ministère de la Justice le 23 février dernier. Les Outre-mer ne sont pas épargnés par cette hausse avec une population carcérale qui est passée de 5 083 personnes en décembre 2018 à 5 132 fin janvier. Cela engendre une surpopulation carcérale et La Réunion n'y déroge pas. La maison d'arrêt de Saint-Pierre croule sous les détenus. À cela s'ajoute la vétusté des lieux, des problèmes de violence, de radicalisation et de prise en charge des détenus ayant des troubles psychiatriques. Zoom sur les trois établissements pénitentiaires de l'île, dont certains sont particulièrement scrutés par l'observatoire international des prisons.

Dans le Sud

La maison d’arrêt de Saint-Pierre surnommée " la Cayenne " est sans doute l’un des plus anciens établissements pénitentiaires de France. 150 détenus y vivent pour une capacité d’accueil faite pour 115. Une surpopulation de 30%.

À cela s’ajoute un autre problème de taille : la structure, vieillissante,  n’est plus aux normes car ce sont dans des dortoirs que les prisonniers s’entassent. Des détenus qui purgent des peines inférieure à un an ou attendent leur jugement, c’est le principe d’une maison d’arrêt. 

Des conditions de vie difficiles qui ont des conséquences. À plusieurs reprises, le personnel pénitentiaire a tenté d’alerter les pouvoirs publics, un projet de réhabilitation des lieux devait voir le jour mais pour le moment, c’est statu quo, rien sur ce sujet dans la loi finances 2019. Les surveillants doivent faire face à des détenus de plus en plus violents entre eux mais aussi envers le personnel. Pour certains syndicalistes, si envisager des travaux n’est pas à l’ordre du jour, il faudrait alors fermer l’établissement mais où iraient les détenus ? Car dans les autres prisons de l’île, le constat est tout aussi alarmant. 


Dans l'Ouest 

Au centre pénitentiaire du Port, les détenus purgent des peines allant de un à dix ans. Parfois plus, en fonction de leurs profils. La prison est séparée en deux, le quartier haut et le quartier bas. Dans sa dernière étude, le ministère de la Justice considère que l’établissement est rempli à 83,8% de ses capacités d’accueil. Mais c’est là, tout le paradoxe des chiffres.

Vincent Pardoux est le secrétaire régional de FO-Pénitentiaire à La Réunion, pour lui, ce chiffre ne reflète pas la réalité " le ministère fait une moyenne. Le quartier bas, plus sécuritaire, est une prison classique avec des cellules, il est rempli à un peu plus de 100%. Le quartier haut est une prison dortoirs. Les détenus sont plus libres, ce quartier haut est rempli à 70%. Mais tous les profils n’y sont pas acceptés, le détenus ne doit pas représenter une menace pour les autres prisonniers sauf que depuis quelques années nous sommes confrontés au phénomène de parachutage de tout type de contrebande, drogue, alcool, téléphone… difficiles à enrayer et des détenus sous effet et plus violents". Le quartier haut, moins sécurisé ne peut donc plus accueillir plus de prisonniers.

Pour finir, il y a un quartier pour mineurs rempli à 50%. Le ministère fait les comptes et considère donc que le centre de détention du Port n’est pas en surpopulation, un État comptable qui ne prend pas en compte les réalités du terrain.

Dans le Nord

Reste le centre pénitentiaire de Domenjod. L’établissement le plus récent, il regroupe plusieurs types d’établissements : maisons d’arrêt femmes et hommes, centres de détention femmes et hommes et un quartier pour mineurs. Au 1er février, ils étaient 510 détenus pour une capacité d’accueil de 558. La population carcérale s’élève donc à 91,4% selon le ministère. Pourtant le quartier des femmes de la maison d’arrêt est engorgé: 15 femmes pour 11 places. Celui du centre de détention est juste, 17 femmes y sont incarcérées pour 17 places. Et au contraire, le quartier pour mineurs n’est rempli qu’à 33%. Là encore, une moyenne.

Agressions, radicalisation, troubles psychiatriques 

Pour Vincent Pardoux, les trois établissements pénitentiaires de l’île sont en surpopulation carcérale. Les conséquences, c’est sur le terrain que les surveillants les ressentent. De plus en plus d’agressions, des problèmes sanitaires et des détenus avec des troubles psychiatriques qui apparaissent ou s’aggravent.

C’est là, l’autre phénomène que le syndicaliste pointe du doigt. Au delà de la surpopulation carcérale, il y a une diversité des profils de détenus difficile à gérer. Des détenus radicalisés qui ne sont pas isolés des autres détenus, cela peut amener à une propagation de la radicalisation en prison. Jérôme Lebeau le radicalisé de Saint-Benoît qui avait ouvert le feu sur les forces de l’ordre est actuellement incarcéré dans l’une des trois prisons de l’île et il est en contact permanent avec d'autres détenus, tout comme Riad Ben Cheick qui avait été condamné pour apologie du terrorisme. Les prisons sont un terreau fertile au processus de radicalisation.

Autre problématique, celle des détenus ayant des troubles psychiatriques. Ils sont envoyés à l’Établissement public de santé mentale mais souvent faute de place ou à cause de leur hyperviolence, ils reviennent à la case prison. Ce qui aggrave souvent leur maladie et les conduit à commettre des agressions envers leurs codétenus ou les surveillants.

L’unité hospitalière du CHU manque aussi cruellement de lits, seulement six pour plus de 1 000 prisonniers ce qui implique des séjours souvent trop courts pour les détenus qui doivent laisser leur place au suivant.

Des établissements dans le collimateur 

Des problématiques que l’observatoire international des prisons suit de près. Le centre de détention du Port et la maison d’arrêt de Saint-Pierre sont dans le collimateur. " Structures trop vieilles, prisons dortoirs, cela engrange une plus grande promiscuité et crée des facteurs de risques supplémentaires " affirme François Bès, le coordinateur du pôle enquête de l'Observatoire international des prisons. Il rejoint aussi Vincent Pardoux " il y a une véritable mise en danger de la vie des détenus, de gros soucis d’hygiène et il est vrai que la prise en charge des détenus atteints de maladie mentale est très problématique " détaille-t-il.

Des problématiques amplifiées dans les Outre-mer selon le spécialiste " pendant des décennies, les Outre-mer ont été laissés pour compte et les structures extérieures comme les établissements de santé mentale y sont encore moins développées que dans l’Hexagone."

Pour François Bès "ces conditions d’incarcération sont indignes" et c’est vers la justice que l’observatoire international des prisons compte bien se tourner. Vers le tribunal administratif en premier lieu, les détenus pourraient alors engager un recours d’indemnisation. Et vers la Cour européenne des droits de l’homme, "une décision du juge pourrait contraindre l’État à faire des travaux dans ces établissements pénitentiaires d’un autre temps  comme ce fut le cas en Guyane ou à Fresnes." explique-t-il. L'observatoire international des prisons a du poids, il dispose d'un statut consultatif auprès des Nations unies. 

Des solutions ? 

Les établissements réunionnais sont sous surveillance. Plus généralement, le gouvernement a annoncé la création de 7 000 places de prison et La réforme de la justice adoptée à l'Assemblée et au Sénat mi-février prévoit de proscrire l'emprisonnement pour les très courtes peines, l'application des peines d'emprisonnement de plus d'un an et des alternatives en milieu ouvert. 

fh/www.ipreunion.com

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