Opération "petit-déjeuner à l'école"

Quand les enseignants doivent éduquer les enfants... et leurs parents

  • Publié le 23 mai 2019 à 09:28

Dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté initié par le gouvernement, la ville du Port a accueilli l'opération "petit-déjeuner à l'école". Des paniers repas sont servis dans les écoles de la commune, depuis mardi 21 mai 2019. Cette journée de lancement s'est accompagnée d'une séance de sensibilisation et d'échange entre enseignants et familles, autour de la nutrition. Selon les informations du Rectorat, il faudra reproduire ce rituel chaque semaine lors de la distribution des petits déjeuners. Et cela sera aussi le cas dans les trois autres communes concernées par le dispositif, en l'occurrence Saint-Denis, Saint-André et Saint-Louis. Si la sensibilisation des enfants à la nutrition s'inscrit directement dans le programme, la présence des parents lors des séances pose question. Est-ce vraiment aux enseignants de se charger de cela ? (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

L’idée est plus que louable : sensibiliser les familles à l’importance du petit-déjeuner. Mardi 21 mai s’est déroulé le lancement du dispositif "petit-déjeuner à l’école", permettant de distribuer aux élèves un panier repas gratuit et équilibré le matin. Suite à quoi une séance d’échange entre professeurs, enfants et parents était organisée après le petit-déjeuner.

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Sur le papier, tout semble parfait. En coulisses, c’est un peu différent… Car certains enseignants du Port ont découvert l’existence de cette séance la veille, à 17h. Un message qui semble avoir été transféré un peu tardivement par les directeurs d’école… Mais il suffit de remonter le cours de la conversation pour remarquer le courriel d’origine, venant du Rectorat : celui-ci a été envoyé aux directrices et directeurs d’écoles le vendredi 17 mai à 17h. Soit pendant les vacances et à l’aube du week-end…

"C’est un travail de longue haleine, et les établissements sont au courant depuis le mois de mars au moins", affirme Philippe Eugène, adjoint de l’inspecteur d’académie. Au courant du programme basé sur la santé, et de la distribution des paniers repas, peut-être. Mais au courant de ces petites séances hebdomadaires en présence des parents, pas tellement.

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Cours aux adultes

Les enseignants se sont donc retrouvés à préparer une séance en quelques heures sur l’importance d’une bonne alimentation. Séance "dédiée aux enfants" nous rappelle le Rectorat, mais à laquelle les parents pouvaient assister, et durant laquelle ils pouvaient poser des questions. Et selon les informations du Rectorat, ce sera le cas chaque semaine, en fonction de ce que décide chacune des écoles concernées par le dispositif. Pour l'instant 4 communes sont inscrites : Le Port, Saint-Denis, Saint-André et Saint-Louis.

Florence*, l’une de ces enseignantes, est bien consciente que face aux parents, ce n’est pas pareil : "Dire que c'est fait exclusivement pour les enfants, ce n’est pas tout à fait exact… Dans ma classe, nous avons fait participer directement les parents lors de la séance de lancement, en leur distribuant un quiz sur l’histoire du petit-déjeuner par exemple".

Sensibiliser les élèves dans le cadre d’un cours sur la nutrition et la nourriture équilibrée, c’est une chose. Mais s’occuper de l’éducation nutritionnelle des parents en est une autre. Pour le Rectorat, "on ne dépasse pas la dimension pédagogique". Selon Philippe Eugène, il s’agit "d’initier les parents à ce dispositif." "Ça fait partie de ce qu’on appelle "l’école de la confiance", on invite les parents à voir ce qui se passe en classe."

Bien sûr il faut que les parents jouent le jeu. Car cela implique de regarder son enfant dans son environnement scolaire, cela implique d’assister silencieusement à l’exposé du professeur, cela implique de ne pas abrutir l’enseignant de questions...

Du travail en plus

"Tout ceci fait partie du programme" nous explique Philippe Eugène. Information confirmée par l’enseignante que nous avons contactée : " c’est intégré dans tout ce qu’on apprend aux élèves sur la santé depuis le début de l’année." De là à dire qu’il n’y a pas de travail supplémentaire, c’est un peu utopique…

De ce côté-là, il y a deux discours différents. Pour le Rectorat, "cela ne nécessite pas tant que préparation que ça". Pour les enseignants, ce n’est pas le même son de cloche. Certes un support pédagogique leur a été envoyé pour les aider : un document de 10 pages qui contient conseils et vidéos destinés à construire cette séance de sensibilisation. Les professeurs sont aussi invités à consulter plusieurs sites indiqués dans le support : encore des pages et des pages à lire. Mais une séance devant les élèves, ça se prépare, même si celle-ci a lieu en-dehors du temps de classe.

On apprendra également qu’il ne s’agit pas seulement de discuter avec parents et enfants sur l’importance d’une alimentation équilibrée, il faut organiser une "activité". "Courte", précise le document, mais activité quand même. Plusieurs scénarios sont alors envoyés en guise d'exemples : des quiz, des images à commenter, des QCM à remplir… "Chaque enseignant assure une animation pédagogique, à l’aide des supports d’activités, mène des échanges avec les parents et les élèves sur l’importance du petit déjeuner et l’impact qu’il peut avoir sur la qualité apprentissages" apprend-on dans cette circulaire. Tout un programme.

Être pédagogique, mais rapide

Il faudra donc sensibiliser, animer, organiser, débattre, gérer à la fois l’énergie des enfants et les questions des parents. Le tout préparé chaque semaine, et exposé dans un temps record ! Car selon le Rectorat, ces petits topos ne devraient pas dépasser les 10 minutes. "Quand on en a parlé avec les enseignants, ils étaient inquiets au départ", explique l’adjoint de l’inspecteur. A juste titre...

Cela n’aurait-il pas été plus rapide et efficace de faire intervenir des nutritionnistes ou des médecins ? A cette question, Philippe Eugène nous répond que les nutritionnistes sont déjà intervenus dans la constitution des paniers repas, pour obtenir des combinaisons les plus équilibrées possible. Les médecins quant à eux sont intervenus dans la création de flyers distribués aux familles.

Après le dispositif de prélèvement fiscal à la source ou encore la prime d'activité délégués aux entreprises, maintenant l'éducation nutritionnelle confiée aux enseignants... de combien de tâches encore l'Etat va-t-il se délester, aux dépens des autres ?

Quant à l'extension de ce dispositif, nul ne sait pour l'instant si d'autres communes passeront le cap. "Je n’ai pas de boule de cristal", nous explique Philippe Eugène. A voir donc si de nouvelles villes s'ajoutent aux qautre communes inscrites… Mais les enseignants auront-ils leur mot à dire ? Telle est la question.

*Le prénom a été changé

mm/www.ipreunion.com

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1 Commentaires
Pierrot
Pierrot
4 ans

Â" De combien de tâches encore l'Etat va-t-il se délester, aux dépends des autres ? Â"... Aux dépends de quels autres ? Les enseignants c'est l'Etat non ? Leur traitement c'est l'Etat non ? Ça devient agaçant quand c'est l'Etat de toujours trouver à redire, y compris qu'il se déleste sur ... lui même ! Après tout, 10mn d'exposé qu'en l'importance du petit déjeuner c'est très bien, très utile, c'est à fois une vrai action de justice sociale via l'état olé, une aide concrète à la concentration et donc l'apprentissage des élèves, et 53% d'indexation et sur-rémunération (qui entretient la vie chère et attise les marges commerciales) c'est suffisamment payé pour 10mn sur l'importance du petit déjeuner !