
Ils sont quatre. Quatre policiers de la BAC de jour du Port à avoir été mobilisés de nuit ce soir-là, le samedi 1er février 2014. Et qui vont être auditionnés à partir de ce lundi par les enquêteurs de l’IGPN, la police des polices. L’heure est en effet à l’enquête pour éclaircir le déroulé des faits, déterminer les circonstances du drame ayant coûté un oeil au jeune Steve et démêler le vrai du faux.
Cette nuit du 1er février est la troisième consécutive émaillée d’échauffourées au Port. Deux jours plus tôt, le jeudi 30 janvier, une demi-douzaine de policiers avait notamment dû faire face à une cinquantaine de fauteurs de trouble, plusieurs équipages ayant été rapatriés vers Saint-Denis, où le quartier du Chaudron s’agitait lui aussi. C’est aux alentours de 22 heures que sont aperçus lors d’une reconnaissance les premiers barrages de poubelles ou de branchages enflammés, rue Rico-Carpaye, à hauteur de la station Shell. Les forces de l’ordre se rendent sur les lieux, mais décident de se replier et de demander du renfort.
Vers minuit, la BAC de Saint-Denis arrive en soutien. Elle se déploie du côté du rond-point des Danseuses, appuyant des effectifs portois. La BAC de jour du Port est en revanche postée à l’autre bout de l'avenue Rico-Carpaye, aux environs de la station Engen, accompagnée des services de police-secours et de la hiérarchie policière. L’objectif du dispositif est de prendre les jeunes manifestants en tenaille, tandis que le scénario des jours précédents se répète, jets de galets contre grenades lacrymogènes.
Deux versions contradictoires
C’est là que l’une de ces grenades, défectueuse, blesse "très sérieusement" un fonctionnaire dionysien de la BAC, voyant son doigt arraché. Il est alors transféré à l’hôpital par ses collègues, une information qui ne parvient pas jusqu’aux policiers placés à l’autre bout de la rue. Ces derniers tentent ainsi de progresser pour porter secours au fonctionnaire blessé, mais se retrouvent seuls, les effectifs de police-secours et leur hiérarchie ayant également quitté les lieux.
De plus, l’un des policiers se foule la cheville, obligeant l’équipe de la BAC portoise à remonter dans son véhicule. Ils auraient alors fait demi-tour pour passer derrière l'avenue Rico-Carpaye, dans la quartier de la SIDR, afin d’essayer de prendre à revers les manifestants. C’est à ce moment-là que les événements semblent se précipiter, aux environs de 2 heures du matin.
Selon des sources proches de l’enquête, les quatre équipiers de la BAC se retrouvent alors face à un autre groupe de jeunes et essuient de nouveaux jets de galets. Trois des policiers descendent de leur véhicule. Ils ne progressent plus. Ils s’appuient sur les portières pour tirer au flash-ball. L'objectif est de disperser la foule. C’est à ce moment-là que le jeune Steve a été touché au visage.
Mais c’est une version différente que le jeune homme a racontée au Journal de l’île de La Réunion : "On a couru dans une ruelle. La BAC a fait le tour. Et moi je suis tombé. J’étais par terre et on m’a tiré dessus. Au visage. Dans l’œil... J’étais plein de sang et on m’a frappé aussi après. Plusieurs coups de pieds au corps et un au visage."
De leur côté, les policiers nient farouchement toute course-poursuite, à pied ou en voiture. Ils démentent avoir visé délibérément Steve. Et encore plus avoir frappé l’adolescent. Ils contredisent là encore ses propos mettant directement en cause l’un des fonctionnaires : "Il est sorti de sa voiture, il a tiré, il m’a frappé et m’a laissé comme ça (...) C’est comme s’il avait la rage (...) Les autres policiers dans la voiture lui ont dit d'arrêter (...) Ils disaient : c'est bon, c'est bon, laisse-le, il a compris."
Le flash-ball "superpro", une arme très imprécise
Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu au moins un tir de flash-ball. Un modèle spécifique, dit flash-ball "superpro", à la réputation d’être très imprécis. De nombreux policiers s’en sont d’ailleurs plaints à plusieurs reprises, demandant à ne plus l’utiliser. La question est de savoir dans quelles circonstances a été effectué ce tir – les policiers défendant jusque-là la version d’un "tir de dispersion" – et s’il a été précédé ou suivi de coups, comme le dit l’adolescent. Ce dernier affirme aussi avoir reçu le coup de flash-ball alors qu'il était au sol. Ce qui revient à dire que le projectile aurait été tiré à bout portant "et à une distance aussi courte, le jeune aurait eu le crâne fracassé" affirment des spécialistes.
Autre fait à éclaircir, Steve affirme avoir été victime d’un policier qui "avait le crâne rasé". Or les fonctionnaires portent obligatoirement un casque lors de ce genre d’intervention, à moins que l’homme l’ait retiré pour une raison ou pour une autre.
Ce sont donc sur ces quelques minutes et sur ces zones d'ombre que devraient porter l’essentiel des interrogations des enquêteurs de l’IGPN. Quittant les lieux pour rejoindre le rond-point des Danseuses, où ils ont reçu l’ordre de rechercher le doigt du policier blessé, les fonctionnaires de la BAC affirment ne pas savoir alors qu’un jeune a été touché. Ils rejoignent ensuite le commissariat, une dernière "physio" menée vers 3h30 pour faire un état des lieux attestant d’un retour au calme dans les rues portoises.
Et ce n’est que vers 4 heures du matin que la gendarmerie avertit le commissariat qu’un adolescent ayant été touché par un tir de flash-ball a été admis à l’hôpital Gabriel-Martin de Saint-Paul avant d’être transféré en urgence au CHU de Bellepierre à Saint-Denis. Et une fois les faits révélés par Imaz Press le lendemain, dimanche 2 février, une procédure a été immédiatement engagée.
Un sentiment d’abandon
En octobre 2011, des faits similaires étaient survenus à Mayotte, où un garçon de 9 ans, Nassuir Oili, avait également perdu un oeil suite à un tir de flash-ball lors d'une manifestation contre la vie chère. Les faits avaient été jugés à La Réunion, le gendarme mis en cause ayant été renvoyé devant la cour d’assises le 5 décembre dernier.
Cette fois, il s'agit donc d'un adolescent de 16 ans, élève de première S apprécié de ses professeurs et n’ayant jamais eu affaire à la police jusque-là, qui devra désormais vivre avec une infirmité. Reste aussi du côté des policiers, un sentiment amer d’abandon et de manque de soutien de la part de leur hiérarchie. Le tout dans une affaire remettant cruellement sur la table la question du manque de moyens humains et matériels.
En attendant, l’IGPN doit débuter les auditions des quatre policiers portois ce vendredi ou ce week-end. Celles-ci devraient permettre d’en savoir davantage sur le déroulé exact des faits et notamment d’identifier le fonctionnaire auteur du tir de flash-ball. Ce dernier ayant atteint le jeune Steve au visage, il risque de faire l’objet d’une procédure.
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10 Commentaire(s)
Pourquoi a-t-il couru s'il ne faisait rien de répréhensible?