Publication de Wilfrid Bertile chez Surya Editions.

Une géographie redessinée : quand Monsieur Volcan fait des siennes

  • Publié le 25 août 2012 à 08:12

Deux livres en un, c'est ce que nous offre Wilfrid Bertile avec sa dernière publication chez Surya Editions. Une géographie redessinée décrit l'éruption volcanique d'avril 2007 avec la précision d'un scientifique et, parallèlement, évoque avec émotion " les souvenirs engloutis " de l'enfant du Tremblet que fut l'auteur. Engloutis, car l'immense flot de laves a dévoré " la paillote en bois recouverte de rames de vacoas " (p. 17) où a grandi l'ancien maire de St-Philippe avec ses 6 frères et s?urs.

Du coup, le livre lui-même est redessiné : l’exposé scientifique occupe la partie supérieure de la page avec photos, cartes et graphiques à l’appui ; le rappel de l’enfance se déroule dans la partie inférieure, comme une petite musique nostalgique en écho au roulement assourdissant du fleuve de feu. 

Le volcan tient une place de choix dans l’imaginaire réunionnais. Il est la métaphore de la violence refoulée qui éclate en gerbes soudaines. Il inspire les écrivains. Il fascine, attire et inquiète.

Wilfrid Bertile, né à Saint-Philippe et résident fidèle de sa ville natale, peut revendiquer d’être un enfant du volcan, qu’il écrit avec un V majuscule, en hommage respectueux à un grand personnage. " Dès ma plus tendre enfance, le Volcan faisait partie de mon univers " (p. 26) confie-t-il. Manière de dire qu’un paysage familier n’est pas extérieur à soi, mais qu’il peut habiter tout l’être. Le Grand Brûlé, expression qui n’est pas anodine, produit sur Wilfrid Bertile ce sentiment du sublime propre aux lieux sacrés : " ce désert végétal et minéral et même oppressant m’apaise et me fait aimer la vie. " (p. 24)

Outre ces échappées mystiques, le récit nous entraîne dans les pérégrinations d’un marmay d’une famille pauvre de " petits Blancs ". Il faut l’imaginer avec d’autres " coureurs des bois " à la recherche des trésors dans la forêt ou au pied du rempart du Tremblet : goyaviers, mangues, jacques, cambares, vangassayes, cardamone ou " cœur d’amant ", miel sauvage. On apprend aussi comment on capture des oiseaux à la glu.

Mais n’allez pas croire que cette enfance-là n’était que jeux et plaisirs ! En fait, la nature offrait quelques fruits bienvenus s’ajoutant à une maigre pitance. " Nous vivions sous le signe de la triple précarité de l’habitat, de l’emploi et des ressources. (…) Sans terre et sans métier, papa n’a pu que se rabattre sur les activités de ceux qui n’avaient rien : la pêche, à ses risques et périls, dans une mer hostile, et la culture de la vanille sur des terrains domaniaux pris en concession dans des conditions léonines. " (pp. 17-18).

Magie des souvenirs d’enfance : il en reste l’éblouissement. " Rien n’est plus beau ni plus émouvant qu’une fleur de vanille, épanouie au lever du jour, scintillante de perles de rosée, offerte et fragile " (p. 71), sans doute parce que la floraison ne dure que l’espace d’un jour et que sa fécondation doit être faite au plus tôt.

Bref, ce livre nous fait voyager, dans l’espace et dans le temps. On pénètre dans cette partie de l’île que ses propres habitants explorent assez rarement, à l’occasion d’une éruption ou d’un tour de l’île. On se remémore une époque pas si lointaine mais parfois oubliée : " Nous marchions pour les pèlerinages, nous marchions pour l’école, nous marchions pour l’église, nous marchions pour aller faire les commissions à la boutique, nous marchions pour les corvées d’eau ou de bois ". (p. 54).

Et surtout on a la double facette d’une observation distanciée car scientifique et de l’expression d’un vécu. La coulée d’avril 2007 fut exceptionnelle " par le volume de lave émis, le plus important depuis au moins deux siècles, par le débit extraordinaire des coulées, par l’épaisseur de celles-ci, par la lenteur de leur refroidissement, et les bouleversements géographiques constatés " (p.111). Du côté vécu, cela donne le leitmotiv du " jamais plus ": " je ne verrai plus jamais la petite ravine Criais " (p. 48), " nous n’irons plus au bois ; les arbres sont engloutis " (p. 89).

Deux  livres en un, avons-nous dit. Et aussi deux hommes : le Docteur d’Etat ès Lettres et Sciences Humaines, géographe, et un enfant du Tremblet, et on pourrait en ajouter un 3ème, l’élu de Saint-Philippe qui a eu aussi à gérer les colères de ce Monsieur Volcan qu’il aime tant. Plusieurs voix mêlées en une seule et qui touchent tout à la fois l’intellect, la mémoire et le cœur.

Brigitte Croisier

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1 Commentaires
payet leon
payet leon
11 ans

oui enfant du Tremblet moi même .et mon père pecheur dans cette mer avec M.lucien .J ai des images et film avant cette coulée 2007 de la forêt kalapa et la ravine criais.