Le score historique de Marine Le Pen analysé par un universitaire

Bernard Idelson : c'est "peut-être plus une déception qu'une surprise..."

  • Publié le 25 avril 2017 à 02:59

Marine Le Pen, chef de file de l'extrême droite, ardente défenderesse d'un repli de la Nation sur elle-même et de l'exclusion de l'autre, a terminé à la deuxième place ce dimanche 23 avril 2017, date du premier tour de la présidentielle. Avec ses 23,46 % de suffrages, un score historique, elle talonne en effet Jean-Luc Mélenchon et ses 24,53 % des voix. Comment La Réunion, terre d'accueil et d'asile en est-elle arrivée là ? Élements de réponse avec Bernard Idelson, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université de La Réunion, pour qui le résultat de dimanche est "peut-être plus une déception qu'une surprise..."

• Dans un département où l’électorat se prononce plutôt à gauche, Marine Le Pen termine à la deuxième place, c’est une surprise ?

- A lire les réactions "décomplexées", par rapport à il y a quelques années, de beaucoup d’internautes sur les réseaux socionumériques, ou a entrendre les commentaires d’auditeurs sur des radios locales, je dirais que c’est peut-être plus une déception qu’une surprise...

• Pourquoi autant de Réunionnais en sont-ils arrivés à voter pour l’extrême droite ?

- Il est difficile de comprendre les raisons du choix des électeurs(trices), on ne peut émettre que des hypothèses : les motivations des électeurs réunionnais du FN seraient peut-être identiques à celles des électeurs de métropole ; ils sont de surcroit confrontés à des difficultés liées au chômage et à la pauvreté parfois bien plus âpres. Ce qui interpelle, c’est l’influence probable de l’argumentation de la candidate du FN complètement déconnectée des réalités de l’île. Par exemple, s’engager (comme elle l’a fait dans un entretien sur une chaine de télévision locale) à lutter contre l’immigration clandestine à La Réunion, en présentant cette question comme cruciale pour le développement local, est consternant. Il n’y a pas de problèmes d’émigration illégale à La Réunion, les accès aéroportuaires et portuaires étant quasiment verrouillés.

• Alors pourquoi cette "libération" de la parole et de l’acte, on ne cache plus que l'on vote Le Pen, c'est même une "fierté" pour certains ?

Comme en métropole, cette libération est sans doute liée à la stratégie de Marine Le Pen et de son état major. Beaucoup en oublient l’itinéraire, le passé, notamment pendant la Guerre d’Algérie, de ce mouvement en France.

• La situation socio-économique de l’île, le sentiment d’avoir déjà tout essayé - la droite, la gauche –, sans que cela marche, sont–ils les principales causes de ce vote extrémiste ?

Certes, la crise et la situation économique évoquées sont certainement responsables. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’il existe une tradition d’extrême-droite dans l’île. Certaines feuilles de la presse de la fin du XIXe siècle et de la première partie du XXe siècle peuvent l’attester. La période de la montée du nazisme en France, au moment ou Pétain, en 1934, déclare que "la situation n’est pas grave", ne semble pas émouvoir l’élite réunionnaise d’alors. Enfin, n’oubliez pas que le premier et l'unique député du FN de l’Assemblée Nationale était le Tamponnais Jean Fontaine, au moment où il adhère au parti de Jean-Marie Le Pen en 1984, même s’il n’en restera membre que deux ans.

• Un programme économique qui semble vide de sens pour La Réunion, une volonté affichée de quitter l’Europe, principal bailleur de fonds pour les grands chantiers de La Réunion, n’ont pas empêché le vote Le Pen, pourquoi ?

- Sans doute pour les raisons précédemment évoquées, la peur irrationnelle l’emportant sur la raison...

• Ce vote en faveur d’une candidate qui ne cache pas sa volonté d’exclusion n’est-il pas paradoxal dans une île où le "vivre ensemble" est sans cesse mis en avant

- Peut-être mais, n’en déplaise à certains, il est intéressant d’analyser et de revenir encore à la période de la colonisation. Le Code noir de Colbert sur lequel s’organise le peuplement colonial est un texte profondément raciste, fondé sur la discrimination et l’assujettissement d’êtres humains par d’autres êtres humains. Le "vivre ensemble" a d’abord été contraint et basé sur des rapports de force et de domination. Le projet de création d’un lieu muséal, d’unité, de civilisation réunionnaise, aurait peut-être permis, s’il s’était concrétisé, d’aider à mieux penser cette unité, celle d’une population dont effectivement la trajectoire "plurielle" est  unique au monde.  

• Au final il existerait à La Réunion un terreau propice au développement de ce type d’idéologie extrémistes ?

- Oui sûrement, mais primo, encore une fois ce terreau n’est pas récent dans l'île, et secondo, La Réunion, désormais ouverte aux moyens de communication mondialisée, n’échappe pas à la circulation et à la diffusion de telles idées. L’autre aspect, susceptible de nous rendre plus optimistes, est que ses habitants possèdent également des outils d’information et de connaissance qui leur permettent d’exercer aussi leur sens critique. C’est dailleurs une des missions régaliennes de l’université…

www.ipreunion.com

 

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4 Commentaires
Armand GUNET
Armand GUNET
6 ans

C'est quo ce gros mensonge du fameux "vivre ensemble" réunionnais ? Ici, des "communautés" vivent côte-à-côte en prenant bien soin de ne pas se mélanger aux autres. Certains ne mangent pas de fruits de mer ni de porc, d'autres pas de porc et d'autres pas de bœuf Et ceux qui ne mangent pas de porc obligent TOUS les autres à ne manger que du poulet abattu selon LEURS convictions. Impossible de surcroît de mettre tous ces gens à la même table devant une bouteille d'un bon vin ! Et tous ces gens affirment qu'il n'y a qu'un seul Dieu, lequel a donné des ordres des plus contradictoires aux juifs, aux musulmans, aux hindous et aux chrétiens !!! Sans rire !!!

domnin
domnin
6 ans

Il semble surtout que le peuple soit plus réaliste que ses élites... Le programme étatique et anti-liberal du FN est clairement de gauche. Mme Le Pen n'a rien à voir avec la guerre d'Algérie, elle n'était même pas née et elle a rompu avec les vieilles idées de son père. Enfin je suggère à l'auteur de lire l'excellent livre de Jean François Niort "Le Code Noir" qui montre que ce code n'est pas si "raciste" que ça. Au final la seule chose vraie est que Mme Le Pen n'a rien compris à la Réunion. C'est pour ça qu'il ne faut pas voter pour elle. Et pas pour l'idéologie dépassée de ce Mr.

Frexit
Frexit
6 ans

Encore un journaliste europeiste part pris et inculte pour qui il va de soit que sortir de l europe est un acte de repli.
L'europe donne moins a la france qu elle n en recoit pour chaque euro verse a la Reunion par l UE la France a verse 2? (y compris avec les impots des reunionnais) la difference va dans la poche d autres pays de l'UE.Mais je suppose que pour ce journaliste un femme qui refuse d etre violee opere un "repli sur soi" ?
Mauvaise foi et desinformation sont les mamelles du journalistes européen... (heureusement cher Fexit que vous êtes là pour donner un avis qui, bien sûr, élève significativement le niveau du débat... Merci à vous - webmaser ipreunion.com

Candide
Candide
6 ans

La vision historique de l'universitaire (le terreau d'extrême droite chez certains nostalgiques du "bon vieux temps des colonies") occulte ce que tout un chacun peut entendre auprès de ses voisins, proches, etc... qui, désormais, n'ont plus honte d'oser voter Le Pen: c'est d'abord le rejet du "tous pourris", droite et gauche ayant été incapables de résoudre les problèmes liés au chômage de masse, éminemment problématique à La Réunion, et celui des inégalités, dont les hommes politiques sont quasiment l'expression, avec leurs salaires démesurés, leurs embauches familiales et clientélistes, etc... le problème, au-delà du programme économique illusoire, c'est bien que le Front National risque de faire pareil, voire bien pire, avec des équipes au niveau local qui ne respirent ni la compétence, ni absolument pas l'honnêteté et le don de soi pour l'intérêt général!
Malheureusement, la caricature du "banquier qui travaille dans l'intérêt des riches", que Macron donne de lui-même, ne va pas aider non plus à limiter ce fourvoiement des électeurs vers l'extrême droite...