Ça s'est passé un 24 février - Début d'un mouvement social sans précédent

1991 - Le Chaudron s'embrase après la saisie des émetteurs de Télé Freedom

  • Publié le 24 février 2017 à 09:14

Le 24 février 1991, le préfet de La Réunion ordonne la saisie des émetteurs de Télé Freedom, chaîne de télévision privée diffusée sans autorisation légale. Cette décision engendre un mouvement social sans précédent : grandes surfaces pillées, voitures brûlées, violentes émeutes. Les yeux sont rivés sur le quartier du Chaudron, où bouillonne cette crise profonde qui traverse un département où les taux de chômage et d'allocataires de minima sociaux sont parmi les plus élevés de France. Ces événements sont la cristallisation d'une départementalisation boiteuse.

Plus qu’une chaîne de télévision, Télé Freedom apparaît comme un symbole de liberté. Dans un contexte où la société réunionnaise ressent profondément le joug d’un pouvoir dominateur : l’ère du colonialisme est terminée, mais les chaînes ne sont pas si lointaines. Elles ont juste pris d’autres formes.

Avant l’élection de François Mitterand en 1981, la radio puis la télévision d’État, avec l’ORTF-Réunion ne laissent pas de place à l’opposition, relatant uniquement la parole du gouvernement. La libéralisation des ondes entraîne ensuite l’émergence des premières radios libres réunionnaises. C’est ainsi que radio Freedom voit le jour, le 14 juillet 1981 par Camille Sudre, un docteur installé dans l’île depuis quelques années.  Le succès est quasiment immédiat. Pour la première fois, les Réunionnais ont un espace où ils peuvent s’exprimer : en français et, surtout, en créole ! C’est le concept des "radios doléances". Pas de filtre, pas de censure.

- Télé Freedom libère la parole sur le petit écran -

Fort de cette réussite, Camille Sudre décide de se tourner vers la télévision. Télé Freedom commence à émettre, sans autorisation légale à partir de septembre 1986. C’est la première chaîne privée qui s’installe dans le paysage médiatique local. Et l’effet est immédiat : les gens se reconnaissent dans les programmes, contrairement à ce qui leur est proposé du côté du service public. Qu’à cela ne tienne si l’image n’est pas nette ou si le son n’est pas bon. Les "télé doléances" libèrent la parole sur les petits écrans. Et le grand ordonnateur de ce projet, c’est Camille Sudre, l’homme en blanc.

Mais la colombe va ensuite se (faire) brûler les ailes. Les avertissements se multiplient et plusieurs plaintes sont déposées contre la chaîne. Parallèlement, le Conseil Supérieur de l’audiovisuel (CSA) lance un appel d’offres, remporté par le projet Antenne-Réunion et Canal +.

- La saisie des émetteurs : le catalyseur d’un mouvement social sans précédent  -

Le 24 février 1991, le préfet Daniel Constantin ordonne la saisie des émetteurs de Télé Freedom. S’ensuit un mouvement social sans précédent sur l’île. Les grands magasins sont pillés, des personnes repartent avec des télévisions dans les mains, les voitures brûlent, les routes sont jonchées de débris. Le quartier du Chaudron est au cœur de ce bouillonnement humain. La saisie des émetteurs n’est en vérité que le catalyseur d’un malaise profond.

Dans un département où les taux de chômage et d’allocataires de minimas sociaux sont les plus élevés de France et où le créole est banni de l’espace public, la fin de Télé Freedom a comme un goût amer. Face à des pouvoirs publics tout-puissants. Jour et nuit, des individus lambda – ouvriers, travailleurs, jeunes, moins jeunes – affrontent les forces de l’ordre, tandis que le bâtiment de la préfecture est carrément surveillé par l’armée. Des CRS sont envoyés directement de Métropole.

Le mouvement se durcit et atteint une ampleur incommensurable : un grand magasin de meubles s’embrase et huit corps calcinés sont retrouvés à l’intérieur. Dans le même temps, le véhicule d’une jeune journaliste est percuté par une pierre, jetée du haut d’un pont dans l’ouest. Elle n’y survivra pas. Des restes humains auraient également été retrouvés dans le magasin Fo-Yam. Le doute plane encore aujourd’hui.


Les pouvoirs publics sont dépassés et tentent, en vain, de trouver un responsable, qu’il soit le Parti Communiste Réunionnais – le premier parti politique sur l’île à l’époque – ou Camille Sudre. Mais la réalité, c’est que ce mouvement est spontané et qu’il est initié par les Réunionnais eux-mêmes, usagers des médias. Et qui en ont assez d’être simples spectateurs : ils veulent devenir acteurs.
Camille Sudre ressort de cette crise en étant élu président de la Région, battant ainsi le président sortant Pierre Lagourgue ainsi que le chef de file du PCR Paul Vergès. Ce dernier sera néanmoins élu vice-président - après avoir fait alliance avec le leader du mouvement à la colombe -, et il le restera lorsque l’élection sera invalidée un an plus tard et que Margie Sudre prendra la tête de la collectivité.

mp/www.ipreunion.com, vendredi 24 février 2017, 3:00

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