Dengue et démoustication (actualisé)

À quel point l'insecticide est-il destructeur, là est la question

  • Publié le 9 avril 2019 à 13:47

Les opérations de démoustication de l'Agence régionale de santé (ARS) continuent pour tenter de neutraliser l'épidémie de dengue, qui sévit principalement dans l'ouest et le sud de l'île. Mais les inquiétudes des habitants sont nombreuses : de quoi est composé ce produit ? Quel est son impact réel sur l'humain ? Et sur les animaux ? Si l'ARS dit tenter au mieux d'avertir la population, tous ne semblent pas être au diapason. Et l'impact sur l'environnement pourrait malgré tout être fatal. (Photo rb/www.ipreunion.com)

"On fait notre maximum pour que tout se passe au mieux", martèle le docteur François Chièze, directeur de la veille et de la sécurité sanitaire à l’ARS. L’agence est la cible de nombreuses critiques depuis le début des opérations de démoustication sur l’île. Les habitants s’estiment peu informés, et certaines communes comptent déjà de nombreux animaux morts. Parmi eux des poissons, mais aussi des endormis, espèce protégée à La Réunion.

Le but de ces opérations de démoustication : contenir l’épidémie le plus rapidement possible. Les derniers chiffres communiqués faisaient état de 843 nouveaux cas confirmés en une semaine. Depuis ses débuts en 2018, la dengue a touché 10 865 personnes, dont près de 4 000 depuis le 1er janvier, et fait 11 morts. " Il y a donc urgence ", affirme le docteur Chièze.

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Une molécule qui fait débat

Le produit, le voici : il s’agit de la deltaméthrine. Un nom un peu barbare qui désigne en fait "la seule molécule insecticide autorisée en France pour les actions de démoustication", selon l’ARS. Le produit n’est pas catégorisé comme cancérigène à l’heure d’aujourd’hui, il n’est toxique qu’en cas de projection directe, ce qui justifie d’ailleurs l’attirail porté par les agents de l’ARS. "Le seul risque si on se trouve à proximité est de ressentir des irritations, dans ce cas il ne faut pas hésiter à consulter un médecin , explique le docteur Chièze. Il ajoute que tout est une question de quantité : à faible dose, comme tout produit toxique, la molécule ne représente pas de danger pour l’humain.

Des études plus récentes pointent cependant du doigt un produit potentiellement dangereux. Exemple avec ces travaux menés sur plus de 315 000 agriculteurs pendant une dizaine d’années et reportés dans la revue International Journal of Epidemiology.  Cette étude révèle que la deltaméthrine pourrait augmenter les risques de lymphomes. Attention cependant, ces travaux ont des limites : des cancérologues pointent du doigt le fait que certaines données sont imprécises, comme la durée de l’exposition aux produits par exemple. Nul besoin de s’alarmer donc, mais ce genre d’études soulève une question : les tests sur ce genre de produits sont-ils suffisants, avant de les vaporiser dans les habitations ?

Nous avons suivi une opération de démoustication vendredi 5 avril 2019, à Ligne Paradis, à Saint-Pierre. Plusieurs habitants ont refusé de laisser entrer les traiteurs dans leur maison, c’est pourtant obligatoire. L’ARS le rappelle sur son site : il s’agit d’un arrêté préfectoral. L’un des habitants, que nous avons rencontré, a eu peur pour ses volailles. Même si le produit n’est censé toucher que les animaux au sang froid, ce senior de 71 ans garde en mémoire l’épidémie du chikungunya, et la vaste opération de démoustication en 2006. "Plusieurs de mes amis possédaient des canards, des tortues ou des abeilles, ils sont tous morts à cause du produit."

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"On va vers un chikungunya bis"

Pourtant si on veut vraiment tuer les moustiques, "il faut s’en donner les moyens", explique le docteur François Chièze. Et malgré les faibles dosages du produit (15 à 20 fois moins important que pour un usage agricole, précise l’ARS), celui-ci est particulièrement nocif pour les insectes, les reptiles ou les poissons. Le docteur Chièze le reconnaît : "Oui, c’est toxique, c’est pourquoi nous intervenons essentiellement dans les milieux urbains, et nous évitons les habitations qui abritent des bassins de poissons ou des tortues par exemple".

"Ce que nous redoutons, c'est un effondrement de la biomasse", s’inquiète pourtant Jean-Christophe Espérance, adjoint en charges des espaces naturels à la mairie de La Possession. La maire de la commune Vanessa Miranville avait justement réclamé l’utilisation de "produits non toxiques", pointant du doigt le produit actuel, dangereux pour la faune locale. "On va vers un chikungunya bis", estime pour sa part Jean-Christophe Espérance.

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Les deux épidémies ne sont pourtant pas comparables explique le docteur Chièze. "Nous sommes dans une phase importante de l’épidémie, certes, mais rien à voir avec la crise du chikungunya", affirme-t-il. Près de 40% de la population réunionnaise a été touchée lors de cette épidémie en 2005-2006. "Nous ne sommes clairement pas dans les mêmes ordres de grandeur", estime le docteur.

Les animaux protégés sont-ils... protégés ?

Si l'ARS annonce quadriller au mieux ses zones d'intervention pour ne pas toucher d'espèces protégées... ce n’est pas le même son de cloche du côté de la commune de La Possession. "Nous avons constaté plusieurs morts d’oiseaux", témoigne Jean-Christophe Espérance. L’ARS nie de son côté tout impact sur ce type d’animaux. "Les témoignages sont pourtant unanimes", continue l’élu de La Possession. "On constate déjà un nombre de décès important : une douzaine d’endormis par exemple ont été retrouvés morts sur un hectare seulement."

Quant aux apiculteurs, ils sont inquiets... "voire terrifiés à l’idée de perdre leurs ruches", explique Jean-Christophe Espérance. "Si le produit impacte les moustiques, il sera forcément nocif pour les abeilles". L’agence de santé se défend de son côté par la mise en place d’un numéro vert, et donc non surtaxé, le 0800 110 000. Il est destiné aux apiculteurs, afin de déclarer leurs ruchers : plus de 800 d’entre eux ont déjà été enregistrés. Le docteur Chièze confirme : "Nous n’intervenons jamais à proximité des ruches. Nous avons d’ailleurs une distance à respecter vis-à-vis de ces zones : 125 mètres minimum."

Une étude parue dès 1988 faisait déjà part des risques de la deltaméthrine sur les abeilles pollinisatrices. Des doses pourtant inférieures au seuil de nocivité montrent que les abeilles subissent déjà des troubles variés, comme une baisse de leur longévité, notamment sur les mâles, plus sensibles que les femelles. Chez les femelles on observerait une baisse de la fécondité de 20%.

Une population suffisamment au courant ?

Pour l’élu de La Possession, il va de soi que les citoyens ne sont pas suffisamment tenus au courant. "Il y a un vrai manque de communication entre les élus et l’ARS et donc entre les élus et la population car nous ne détenons pas toutes les informations." La commune de La Possession va jusqu’à reprocher à l’ARS des interventions communiquées 24h plus tard.

S’agit-il d’un manque de rigueur de la part des habitants qui ne lisent pas leur courrier ? Ou d’échanges insuffisants entre l’agence de santé et les mairies ? L’ARS admet qu’il y peut éventuellement y avoir "des oublis" mais qu’une information est normalement envoyée avant chaque traitement, par avis de passage dans les boîtes aux lettres ou par information transmise aux mairies. "On manque de données scientifiques, de transparence", estime Jean-Christophe Espérance. "Certains habitants envoient des e-mails à l’ARS mais l’agence reste une instance relativement opaque, il est souvent difficile d’obtenir des réponses."

Lors de l’opération de démoustication que nous avons suivie à Saint-Pierre, Nicolas Odon, ingénieur d’études pour l’ARS dans les secteurs sud et ouest, a fait part de sa désolation quant au manque d’information des habitants : "Ils ont peur du produit, et en même temps ils banalisent cette maladie. Pourtant il s’agit d’une maladie grave, avec plusieurs hospitalisations par semaine. " Ne pas sous-estimer l’impact de la dengue, c’est donc le message de l’ARS… au détriment des animaux, peut-être.  "Ce n’est pas simplement une grosse fièvre. Des gens sont hospitalisés et meurent à cause de cette épidémie."

Vers des solutions alternatives

"Des études ont été menées, notamment par des universitaires, en vue de stériliser les moustiques mâles, ça aurait pu être une alternative intéressante", relève l’élu de La Possession. Quand on interroge l’ARS à ce sujet, il s’agit essentiellement d’une contrainte de temps. La "technique de l’insecte stérile", déjà surnommée TIS à La Réunion, s’appuie en effet sur des lâchers de moustiques stérilisés, qui, après accouplement, génèrent des pontes dites "non viables". De quoi réduire drastiquement la population de moustiques.

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"Il s’agit d’un processus très long", explique le docteur Chièze. "Nous serons prêts d’ici peu et des premiers tests vont être menés en milieu naturel." Une première phase d’expérimentation devrait donc être testée pendant l’hiver austral.

mm/www.ipreunion.com (mis en ligne mardi 9 avril 2019 à 2 heures  59- actualisé)

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2 Commentaires
Hardcore
Hardcore
4 ans

On ne peut que regretter qu un périmètre de sécurité ne soit pas installé autour de la zone demoustiquee. Ils préviennent les propriétaires des maisons, ils sont équipés de combi, masque à gaz, mais rien n'est fait pour prévenir les passants qui sont dans la rue, juste à un mètre derrière le mur de clÃ'ture. Je crois qu'il y a un vrai défaut de diligence de la part de l'état.

Titi974
Titi974
4 ans

Offrez aux moustiques des lieux de pontes sécurisés, J'ai 3 seaux avec des poissons Mayer depuis 4 ans, zéro entretien, même en pleine sécheresse, eau même pas renouvelée, juste une grille pour empêcher la chute de feuilles, Quelques croquettes pour chat de temps en temps et zéro larve