"Fiscalité avantageuse" et "publicité hors la loi"

L'agence nationale de santé tacle les producteurs de rhums réunionnais

  • Publié le 3 février 2020 à 06:21
  • Actualisé le 3 février 2020 à 07:14

Dans un rapport sur la consommation d'alcool des Français publié le 14 janvier dernier, Santé publique, une émanation du ministère de la Santé étrille les producteurs de spiritueux domiens. La Réunion est la région de France où la surmortalité masculine et les passages aux urgences liés à l'alcool sont les plus élevés. Les Réunionnais ne boivent pas plus que les autres par contre, ils consomment un alcool plus fort. Un constat effarant dans un contexte qui intrigue, les producteurs locaux de rhum bénéficient d'une fiscalité réduite et la réglementation sur l'affichage de publicités d'alcool est loin d'être respectée. L'Organisme mondiale de la Santé (OMS) préconise un alignement sur la fiscalité nationale et un contrôle drastique de la publicité. Les alcooliers doutent de l'efficacité de la mesure tandis que les parlementaires ont du mal à se faire entendre à l'Assemblée nationale. (Photo photo d'archive RB imazpress )

Un goût de pas assez...

"Malgré une problématique majeure de santé publique, des spiritueux à haute teneur en alcool sont très disponibles, à bas prix, via un réseau de distribution très développé et bénéficient de l'appui d'une importante publicité en faveur des boissons alcoolisées. Les considérations d'ordre économique l'emportent sur la santé publique en opposition avec les recommandations de l'OMS." Dans son rapport, l’agence nationale de santé n’est pas tendre, elle met en avant une problématique qui revient régulièrement sur le tapis.

Un rattrapage en cours mais des producteurs peu convaincus

Les producteurs locaux de rhum s’interrogent. En effet, la fiscalité dérogatoire dont ils bénéficient a pour objectif de protéger la filière canne-sucre-rhum et elle est, actuellement, en train d’être alignée sur la fiscalité nationale. Un alignement progressif qui se fera en six ans. Cette mesure entrée en vigueur le 1er janvier 2020 concerne seulement la cotisation de sécurité sociale (CSS), Santé publique la juge insuffisante car elle "pèse pour une part réduite dans la fiscalité des spiritueux."Des propos appuyés par le docteur Mété, addictologue au CHU de Bellepierre "la CSS ne représente qu’un tiers de l’exonération fiscale des alcooliers. Les deux tiers restants concernent les droits d’accise et là, la fiscalité est cinq à six fois moins élevée par rapport au national. C’est un scandale de santé publique" assène le médecin.

À cela, Isautier et Chatel, les deux producteurs de rhum réunionnais, répondent par la voix d’Amélie Fricker, la déléguée régionale d’"Avec Modération", l’association de prévention à laquelle ils sont adhérents "cette fiscalité permet aux producteurs locaux d’être compétitifs sur le marché. De plus, on peut se demander à quoi va servir cette hausse, peut-on être sûr que cela va réellement diminuer les chiffes de l’alcoolisme à La Réunion ?" s'interroge Amélie Fricker avant d'ajouter "de plus, cela pénalisera les consommateurs modérés qui verront les prix augmenter en rayon et cette mesure pourrait mettre les entreprises qui exportent en difficulté."

La fiscalité, un levier "efficace" selon l'OMS

Pour le docteur Mété, mettre en doute l’efficacité de la mesure est abracadabrant "la fiscalité est l’un des outils les plus efficaces pour lutter contre l’alcoolisme. Il ne faudrait pas en arriver à des prix exorbitants mais juste moins bon marché. Ce sont les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, sous-tendues par des études scientifiques médicales. Il faut rappeler que les rhums fortement défiscalisés sont des produits de base très fortement alcoolisés. Et il ne faut pas oublier que cette exonération fiscale date du début de la départementalisation, c’est archaïque, cela a été mis en place bien avant que la question ne santé publique n’arrive au cœur du débat."     

En effet, les préconisations de l’OMS sont très clairement exposées dans son rapport "stratégie mondiale visant à réduire l'usage nocif de l'alcool" publié en 2010 : "les consommateurs, y compris les gros buveurs et les jeunes, sont sensibles au changement du prix des boissons. On peut recourir aux politiques de prix pour diminuer la consommation parmi les jeunes n’ayant pas l’âge minimum légal, arrêter la progression vers l’absorption de volumes d’alcool importants ou les épisodes de consommation excessive, et influer sur les préférences des consommateurs. […] L’une des conditions essentielles pour que les politiques de prix contribuent à réduire l’usage nocif de l’alcool est un système d’imposition efficace et efficient couplé à un bon système de perception des taxes et de répression."

Publicité et non respect de la loi, la faute aux grands distributeurs ?

Les alcooliers, eux, ne croient pas en ces mesures coercitives, ils ont l’impression d’être considérés comme "les méchants de l’histoire" et crient à la confusion. Notamment en ce qui concerne les publicités de boissons alcoolisées. Dans le débat public, de nombreuses voix s’élèvent contre ces campagnes de pub d’alcool vendu à prix cassé affichées en 4 par 3 qui fleurissent un peu partout sur l’île particulièrement à la période des fêtes de fin d’année, de Pâques, à la saison des baptêmes et communions, des mariages, des vacances, au retour de l’été… Bref, quasiment toute l’année.

"Mes adhérents demandent régulièrement aux grands distributeurs d’arrêter d’afficher leurs produits en 4 par 3, une demande que les grandes surfaces ne respectent pas. Ce qui n’est pas bon pour les marques car l’amalgame est vite fait par le grand public" explique Amélie Fricker avant de poursuivre "cette publicité promotionnelle n‘est pas de leur fait." Une autre source proche des alcooliers ajoute "les producteurs ne maîtrisent pas ces campagnes de communication souvent agressives. Aujourd’hui vu l’ampleur de la polémique, ils demandent aux afficheurs et aux distributeurs de voir par avance où seront situés les panneaux publicitaires et ils vérifient que la loi est respectée mais il y a des dérives..."

Cette défense pourrait paraître légère et un peu facile mais cette source affirme "si les producteurs de rhum montent au créneau, ils mettent leur commerce en péril, les répercussions économiques pourraient être désastreuses s’ils sont mis au ban par les grands distributeurs. Il ne faut pas oublier que leur objectif premier c’est tout de même de vendre."

Les élus se sont emparés du problème

La question de l’affichage notamment aux abords des établissements scolaires revient régulièrement sur le devant de la scène. Pourtant, il existe une réglementation stricte qui interdit la publicité promotionnelle à 200 mètres de ces établissements sauf que la législation n’est pas appliquée comme le relève Santé publique dans son rapport "une régulation plus importante de la publicité: une mesure originale proposée par des députés de La Réunion a été adoptée par la LEROM (Loi Egalité Réelle Outre-Mer) en 2017: elle interdit la publicité pour l’alcool dans un périmètre de 200 mètres au tour des établissements recevant des jeunes. Elle peine pourtant toujours à être appliquée fin 2019."

À l’époque, la députée Éricka Bareigts était l'un des moteurs de cette mesure. Pour l’élue, il faudrait aller plus loin mais il est difficile de se faire entendre à l'Assemblée nationale lorsqu’on n’appartient pas à la majorité présidentielle. Surtout qu'au sein même des parlementaires ultramarins, la cacophonie règne. Les députés antillais sont beaucoup plus frileux à prendre des mesures sévères notamment en matière de fiscalité. Certains affirment qu’ils font preuve de  "protectionnisme", ce qui laisse une marge de manœuvre encore plus limitée pour les députés réunionnais qui souhaitent légiférer et qui pensent qu'il faudrait des mesures spécifiques à La Réunion.

En juin dernier, Jean Hugues Ratenon a déposé une motion avec dix-neuf autres parlementaires, l’élu de la cinquième circonscription affirme que jouer sur la fiscalité ne serait pas suffisant "ce n'est pas un frein quand on est malade, le risque, c’est que les personnes malades se rabattent sur d’autres boissons alcoolisées moins chères." Pour le député, il faut frapper un grand coup "stopper toute publicité promotionnelle sur l’alcool. Aujourd’hui, la loi n’est pas respectée notamment sur des questions des distances, c’est trop flou, une histoire d’appréciation. Si on interdit tout, fin du problème." Même sanction pour les promos dans les catalogues "c’est le seul moyen pour éloigner les personnes vulnérables et la jeunesse de ce fléau." terminne Jean Hugues Ratenon.

L'État a pris la question à bras le corps

A priori, les producteurs de rhum seraient favorables à cette mesure, le docteur Mété aussi, au moins un point sur lequel tout le monde s’accorde. L’addictologue explique "il y a une défaillance générale de l’État sur la question de l’alcool, les lacunes sont très importantes et le résultat, on le connaît, c‘est 450 morts par an à La Réunion." Là encore, les parties parlent d’une seule voix, l'État ne serait pas à la hauteur, les producteurs affirment ne plus être invités aux tables rondes "depuis trois ans" et les élus dénoncent "un manque évident de régulation".

Le 19 décembre dernier, le préfet a présenté un plan de lutte contre l’alcoolisme, il est précisé "dans le cadre du plan contrôle décidé avec les parquets, le Préfet rappelle que la priorité sera donnée aux contrôles effectués auprès des grandes enseignes s’agissant de la publicité liée à l’alcool. Les contrôles effectués par les forces de l’ordre se poursuivront jusqu’au premier trimestre 2020." De plus certaines mairies se sont fortement engagées dans la démarche en produisant des cartographies de ces périmètres de super protection afin de faciliter le repérage des infractions. Des signalements nous sont également faits par les particuliers et des équipes de contrôle sont ensuite envoyés pour relever l'infraction." Mais les procédures juridiques sur le sujet ne sont pas très nombreuses pour le moment.

Dans quelques mois, on pourra donc tirer les premiers enseignements de ce plan qualifié d'"ambitieux" par les services de l'État.

fh / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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4 Commentaires
Fifi
Fifi
4 ans

Il etait tant qu on en parle!merci ip reunion stop pub alcool et a la place des panneaux avec le dernier graph de meo qui m a donne envie de pleurer...

SOWETO
SOWETO
4 ans

Ce qui est étonnant, avant les gens buvaient du rhum mais ne devenaient pas mentalement malades, aujourd'hui tous deviennent fous ou violents ce qui devrait interpeller les pouvoirs publics et l'ARS et nous faire savoir quelle est la teneur en méthanol (alcool qui rend fou et malade capable de provoquer la cécité...) que renferment nos rhums notamment celui qui sent l'éther.

yannn
yannn
4 ans

Hier, pour 30 euros de carburant, une station essence du sud, offrait une bière, bien fraîche, prête à être consommée ; pas terrible comme cadeau, lorsqu'on repart au volant de son véhicule...

Lobby puissant
Lobby puissant
4 ans

Il faut mettre fin à ce lobby puissant, c'est une question de santé publique. Les politiques sont frileux pour ne pas dire ...... Mme Bareigt et M Ratenon doivent poursuivre leur action de prévention et de protection des Reunionnais.