Ces écosystèmes sont menacés

Récifs coralliens : comment concilier pêche et protection de la biodiversité

  • Publié le 27 avril 2020 à 02:59
  • Actualisé le 27 avril 2020 à 06:09

Source de revenus et de nourriture, barrière physique naturelle contre les tempêtes, réservoir de biodiversité, puits de carbone,... Lorsqu'ils sont en bonne santé, les récifs coralliens fournissent de nombreux services et contribuent au développement économique local. Mais ces écosystèmes sont menacés par le réchauffement climatique et les activités humaines. (Photo IRD/Jean-Michel Boré)

Une des solutions pour limiter la dégradation des récifs est la mise en place d'aires marines protégées (AMP) ; ainsi plus de 2 000 aires marines protégées (AMP) ont été́ mises en place depuis les années 1980. Ces aires regroupent plusieurs niveaux de protection, soit aucun prélèvement n'est autorisé (AMP intégrales), soit les activités de pêche sont restreintes (AMP partielles). Actuellement les AMP couvrent 6 % des récifs coralliens mondiaux alors pour atteindre l'objectif de développement durable de 30 % de protection des habitats, leur surface devrait être quintuplée d'ici 2030. Ainsi les gestionnaires s'interrogent sur où placer ces AMP pour optimiser leur efficacité.

C'est à cette question qu'un groupe de chercheurs, impliquant 25 institutions, dont l'IRD, le CNRS et l'Université de Montpellier... et 41 pays, a tenté de répondre dans une publication dans la prestigieuse revue Science

- Une dizaine d’années d'étude -

Milieux complexes, les récifs coralliens sont des écosystèmes d’une extrême fragilité et l’augmentation de leurs dégradations est particulièrement inquiétante. Aux actions humaines directes –surpêche, pollutions diverses, tourisme- s’ajoutent les effets du changement climatique. Aujourd’hui peu de récifs coralliens arrivent à concilier protection de la biodiversité et activités humaines. Durant une dizaine d’années, un groupe international de chercheurs (français, australien, américain et anglais) à réaliser une étude sur les poissons à partir de données récoltées sur 1800 récifs coralliens à travers le monde.

"Les suivis se font selon des méthodes standardisées le long d’un ruban gradué de 50 m de long dans un couloir de 5 m de large, tous les individus observés dans ce couloir sont comptabilisés et leur taille est estimée. Il en ressort des indices comme la biomasse qui est un indicateur de la pression de pêche" nous explique Pascale Chabanet, Directrice de recherche et représentante de l’IRD à La Réunion.

Les objectifs : étudier la capacité des récifs à maintenir une biomasse importante d’espèces commerciales pour la pêche, conserver la pression d’herbivorie par les poissons perroquets, qui limite la croissance des algues et permet le développement du corail, et garantir la diversité fonctionnelle, assurant la résistance et la résilience du fonctionnement des écosystèmes coralliens. "Gérer avec un seul objectif est courant, par exemple protéger les stocks de poissons" note la scientifique. C’est la prise en compte de "ces trois axes à la fois qui a constitué l’originalité de cette étude" continue t-elle

- Fournir suffisamment de stocks pour la pêche, tout en maintenant la biodiversité -

En étudiant les communautés de poissons sur 1.800 récifs coralliens à travers le monde, les chercheurs ont montré que seul 5% des récifs pouvaient assurer simultanément les trois objectifs combinés à un bon niveau. Un bon niveau est qualifié lorsque le récif atteint 75% des conditions de références dans trois domaines : biomasse, herbivorie et diversité fonctionnelle. Plus précisément le but est de fournir suffisamment de stocks pour la pêche, tout en maintenant la biodiversité et la fonctionnalité de l'écosystème.

"Seuls 5% de récifs ont pu atteindre simultanément ces 3 objectifs,  à un bon niveau, et ils se situent tous dans des endroits éloignés de la pression humaine"  informe la chercheuse. "Cela souligne la difficulté de concilier à la fois protection et exploitation des récifs et l’intérêt de sanctuariser des récifs isolés comme ceux des Iles Éparses dans l’océan Indien" poursuit-elle.

L’étude a également montré que lorsque les récifs sont déjà surexploités, très peu pourraient atteindre le seuil de 75% de l’état de référence même s’ils étaient en protection intégrale. Par contre une mise en protection partielle pourrait améliorer fortement le niveau de ces 3 objectifs. "Pour les pays du Sud, une mise en protection partielle reste très intéressante pour la pêche, indispensable dans ces pays où les populations dépendent des récifs coralliens pour leur survie"  indique Pascale Chabanet

- Le déséquilibre fonctionnel des récifs coralliens est inquiétant à La Réunion -

Des couleurs ternies, des algues en abondance, un appauvrissement de la diversité corallienne, peu de poissons perroquets pour nettoyer les algues qui envahissent les récifs…le déséquilibre fonctionnel des récifs coralliens est inquiétant à La Réunion. Une AMP a été mise en place en 2008 pour freiner cette dégradation. Mais malgré cette protection, nos récifs font partie de ceux qui n’atteignent pas le seuil des 25% des objectifs combinés dans l’étude (biomasse, herbivorie et diversité fonctionnelle).

"Ce résultat est expliqué par la forte fréquentation du récif et l’impact important du bassin versant sur des récifs réunionnais proches des côtes. Cette proximité va rendre le récif beaucoup plus vulnérable à la déforestation, à l’urbanisation en amont, au ruissellement des eaux chargées de terre et de polluants divers qui finiront toujours en mer et sur les récifs coralliens. Cet impact limite leur restauration et ce, malgré les mesures de gestion" alarme Pascale Chabanet

L’étude montre également que même si l’ensemble des récifs coralliens de La Réunion était sanctuarisé, cela ne lui permettrait pas d’atteindre le seuil des 75% des conditions de références. "Ces résultats viennent essentiellement de l’impact des activités du bassin versant. Il est donc essentiel de prendre en compte le continuum terre-mer et de mieux gérer les activités en amont pour mieux préserver les récifs coralliens en aval. Quoiqu’il en soit, la protection des récifs coralliens est essentielle pour limiter leur dégradation" explique la biologiste

Vous retrouverez ici la carte présentant la réserve naturelle de l’île.

- Des zones de référence dans l'océan Indien -

Les îles Éparses de l'Océan Indien sont de petites îles françaises, situées autour de Madagascar et interdites d’accès sauf pour les militaires et les scientifiques. On distingue Europa, les îles Glorieuses et Juan de Nova situées dans le canal du Mozambique et Tromelin à l'est de Madagascar. 

De tels territoires où la présence humaine est très limitée, offrent une palette rare et précieuse de sujets d’études scientifiques.  "Ces îles sont pour nous scientifiques des zones de référence pour étudier les écosystèmes sans la pression de l’homme, ce sont donc des observatoires exceptionnels pour étudier l’impact des changements climatiques , j’ai la chance de travailler là-bas depuis une vingtaine d’années, et d’avoir observé des écosystèmes coralliens dans un état de santé remarquable, proches du climax, avec des poissons de taille importante et très curieux face à ces drôles de plongeurs" relate la directrice de recherche. 

"Il ne serait pas étonnant que les Iles Éparses, même si elles n’ont pas été prises en compte dans l’étude, fassent partie des récifs qui atteignent les 75% du niveau de référence" conclut-elle. 

Dans l’étude, les sites Chagos et Aldabra dans l’océan Indien, avec des caractéristiques très proches des Iles Éparses, appartiennent également à ces récifs champions qui combinent à la fois un stock de poissons important, une biodiversité et un état de santé global exceptionnels, du fait d’une distance relativement importante de l’homme.  

es / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com / Photos IRD : Pascale Chabanet, Anne Lemahieu, Jean-Michel Boré

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