Des esclaves aux poilus

Le 11 novembre, une journée chargée d'Histoire

  • Publié le 11 novembre 2020 à 15:38
  • Actualisé le 11 novembre 2020 à 15:43

Si le 11 novembre fait surtout écho à l'armistice entre la France et l'Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale en 1918, c'est aussi le jour où l'on célèbre l'arrêt de la convention autorisant l'engagisme indien ainsi que la fin des révoltes des esclaves de Saint-Leu. Nous vous proposons de revenir sur ces différents événements qui ont marqué notre Histoire à cette date (Photo d'illustration rb / www.ipreunion.com )

Aujourd’hui nous sommes le 11 novembre. Si vous êtes chanceux, vous profitez de ce ce jour férié pour vous reposer. Sachez toutefois que nous fêtons officiellement le 102ème anniversaire de l’armistice signé en 1918 entre la France et l’Allemagne, qui a mis fin aux combats de la Première Guerre Mondiale.

A l’époque, tous les territoires français, colonies y comorus, ont été mobilisés et La Réunion n’y échappe pas. Le 4 août 1914, le gouverneur de l’île fait paraître l’ordre de mobilisation générale, les Réunionnais quitteront leur terre deux jours plus tard et seront envoyés sur tous les fronts.

Environ 6.000 hommes partiront combattre en Europe, moins de 500 d’entre-eux mourront au combat et 160 des suites de leurs blessures selon les recherches de Pierre Brest et de Virginie Carton publiées en 2017 dans le livre numérique La Réunion et les Réunionnais pendant la grande guerre, disponible sur le site du gouvernement.

Selon les chercheurs, le nombre total de Réunionnais mobilisés est aujourd’hui encore discuté. "Au total, entre 1914 et 1918, 14.355 Réunionnais ont été recensés. 6.936 d’entre eux - soit la moitié -, jugés aptes, sont incorporés et envoyés à Madagascar, d’où 5.950 partent pour la France. D’autres sources avancent des chiffres beaucoup plus élevés, allant jusqu’à 4.000 Réunionnais affectés dans les deux bases militaires de Diégo-Suarez et de l’Emyrne, et plus de 10.000 envoyés en France, parmi lesquels environ 4.000 restent cantonnés dans des services auxiliaires, loin du front. En revanche, toutes les sources convergent sur le nombre de soldats Réunionnais engagés dans les combats, environ 6.000 pour l’ensemble des années de guerre" écrit Pierre Brest.

Au total dans le monde, le conflit aurait fait plus de 18,6 millions de morts, d’invalides et de mutilés dont huit millions de civils. Si le cessez-le-feu est effectif le 11 novembre 1918 à 11h, il faudra attendre le 28 juin 1919 et le traité de Versailles pour officialiser la victoire française.

La ville de Saint-Denis organise une commémoration "de la victoire et de la paix en hommage à tous les morts pour la France" à partir 9h30 ce mercredi aumonuments aux morts, situé sur l’avenue de la Victoire. Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, en visite sur l’île pour coordonner avec le préfet les moyens de lutte contre l’incendie du Maïdo, sera présent pour l’occasion.

- Les révoltes de Saint-Leu du 5 au 11 novembre 1811 -

Si le 11 novembre 1918 est une date définitivement ancrée dans les esprits et célébrée chaque année, le 11 novembre 1811 a aussi marqué particulièrement marqué l'Histoire de La Réunion.

107 ans avant la signature de l’armistice a eu lieu la plus importante et la plus aboutie des révoltes d’esclaves qu’ai connu notre île. A l’époque, l’île est aux mains des Anglais après la capitulation des Français en 1809. Les relations entre les "maîtres" français et leurs esclaves sont particulièrement tendues, ces derniers craignant moins l’autorité de ceux qui ont battu en retraite face à l’ennemi.

C’est dans ce contexte qu’en 1811, du 5 au 11 novembre, près de 200 esclaves d’origines diverses (africains, Malgaches, créoles) décident d’aller en découdre avec leurs oppresseurs, menés par le créole Elie.

Selon le musée historique de Villèle, situé dans la commune de Saint-Paul, "si l’idée de révolte est permanente dans l’esprit de nombreux esclaves, elle va pouvoir se concrétiser à Saint-Leu en raison du manque d’eau permanent sur la commune qui obligeait les esclaves de la partie Sud à se retrouver jour après jour pour les corvées d’eau dans la ravine du Trou".

Autre élément déterminant : "les contacts qui auront lieu avec des esclaves de la commune de Saint-Louis, à l’occasion de travaux de manutention de troncs d’arbres à charger à Etang-Salé sur un navire anglais, en décembre 1810."

Durant près de deux mois, des esclaves réquisitionnés sur chacune des deux communes vont entretenir et faire mûrir l’idée d’une révolte commune. C’est à ce moment-là, alors qu’il est à leurs côtés lors des discussions, que l’esclave Figaro décide de dénoncer ces révoltés auprès de sa maîtresse. Cette dernière transmettra l’information aux autorités qui n’en feront rien.

La révolte est lancée dans la nuit du 5 novembre 1811 et durera jusqu’au 11 novembre. Les insurgés iront de maison en maison pour s’attaquer aux colons.

Selon le musée de Villèle, " il n’y aura que peu de pillages des habitations, aucun incendie de bâtiments et aucune violence envers les femmes libres. Seul deux colons, s’opposant à l’entrée des insurgés sur leurs habitations seront assassinés. Les esclaves seront vite maîtrisés par les Blancs disposant encore d’un minimum d’armes à feu. Plusieurs dizaines d’esclaves décèderont lors de l’affrontement, près de 150 seront arrêtés puis emprisonnés soit le jour même soit dans les jours qui suivront. Leur jugement, condamnation puis exécution auront lieu en mars 1812. A l’issue de la révolte et de sa répression, les départs en marronnage de plusieurs esclaves seront signalés. Elie et trois de ses frères seront décapités et leur mère arrêtée et interrogée. "

Le Komité Elie dont fait partie l’association Rasine Kaf se bat pour que l’histoire d’Elie et de tous les autres révoltés ne tombent pas dans l’oubli. Chaque année ils organisent une cérémonie en l’honneur de ces esclaves. Le 5 novembre dernier, le préfet Jacques Billant était présent à Saint-Leu pour célébrer l’anniversaire du début de la révolte devant le monument dressé en hommage aux insurgés.

- La suspension de la convention autorisant l'engagisme indien -

Entre le 11 novembre 1811 et le 11 novembre 1918, le 11 novembre 1882 a également marqué un tournant dans l’Histoire réunionnaise. Après la proclamation de l’abolition de l’esclavage par Sarda Garriga en 1848, l’engagisme se met officiellement en place. Les travailleurs venus apportés de la main d’œuvre sont maintenant sous un contrat d’engagement. A la grande différence des esclaves, les engagés gardent leur nom qu’ils peuvent transmettre, la possibilité de pratiquer leurs cultes et n’appartiennent pas à un propriétaire.

Pour autant, "les conditions de vie des engagés sont difficiles, en raison de l’insalubrité des camps où manquent les femmes mais aussi en raison des rythmes élevés de travail qui augmentent encore pendant la saison de la coupe des cannes et de la fabrication du sucre".

A La Réunion, la grande majorité de ces engagés sont Indiens : selon le musée de Villèle, 117.000 enregistrés entre 1828 et 1933 venaient d’Inde, soit deux tiers des travailleurs.

A cette époque, le pays est sous domination britannique, de nombreuses conventions régulent ainsi l’engagement des Indiens vers La Réunion. Le gouvernement anglais fixe clairement les conditions du recrutement et le cadre de travail : cependant sur place à La Réunion, les normes sont loin d’être respectées.

"Le 25 juillet 1860, est signée une convention franco-britannique qui autorise un premier recrutement de 6.000 Indiens à destination de La Réunion. Le 1er août 1861, cette convention est élargie aux autres colonies à sucre française, sans limitation de nombre. Mais, dès le milieu des années 1860, une importante crise secoue le monde du sucre soumis à la concurrence de la betterave, mais aussi aux maladies de la canne, au point que certaines années, les engagés ne trouvent pas preneur. Les conditions de vie se dégradent pour l’ensemble des engagés au point que le Consul britannique demande la venue d’une commission d’enquête" selon le musée de Villèle.

Finalement, suite à ces différents problèmes et à cause de tensions diplomatiques entre la France et le Royaume-Uni, le 11 novembre 1882, la convention de 1861 est suspendue.

Cette date signe donc l’arrêt de l’engagisme indien à La Réunion, même si des engagés déjà en mer au moment du traité, débarqueront encore en 1865.

Le Lazaret de la Grande Chaloupe où étaient envoyés les engagés à leur arriver sur l’île afin de les placer en quarantaine et ainsi éviter toute propagation de maladies, organise chaque 11 novembre une journée spéciale en l’honneur des engagés indiens. Cette année, la manifestation a dû être annulée mais le Lazaret précise que l’exposition permanente est accessible au public de 9h à 16h.

Le 11 novembre est donc une journée chargée en histoire et nous rappelle chaque année un peu plus l’importance du devoir de mémoire.

vc/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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2 Commentaires
Missouk
Missouk
3 ans

Lorsque j'enseignais, je rappelais à mes élèves chaque année ce qu'était le devoir de mémoire. Je trouve à ce titre totalement inadmissible que les grands surfaces et de nombreux commerces soient ouverts toute la journée. Chacun profite d'un "jour de congé payé" au titre de ce devoir de mémoire que beaucoup aujourd'hui ignorent. Peut-être un peu "vieux con", mais j'estime que le 11novembre, le 1er mai, le 8 mai et le 14 juillet, tous les commerces devraient être fermés.

Mayaqui, depuis son mobile
Mayaqui, depuis son mobile
3 ans

Merci pour ce rappel historique réunionnais et des révoltés de Saint leu