Cargo-mixte à vocation scientifique

Le "Mar Duf " : un nouvel observatoire atmosphérique et biologique marin

  • Publié le 4 janvier 2021 à 13:01
  • Actualisé le 4 janvier 2021 à 14:00

Le Marion Dufresne, ou "Mar Duf", que les Réunionnais connaissent bien pour ses missions de ravitaillement des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), vient de revenir à La Réunion. Il avait a quitté l'île le 6 décembre dernier, pour faire escale à Tromelin avant de mettre le cap sur les terres australes. Ce navire est aujourd'hui un cargo-mixte spécialisé dont la vocation scientifique est renforcée pour 4 ans par un observatoire atmosphérique et biologique marin, par la grâce du programme de recherche MAP-OI, initié par Pierre Tulet, directeur de recherche au CNRS, et précédent directeur du Laboratoire de l'Atmosphère et des Cyclones (LACy, Université de La Réunion - Photo rb/www.ipreunion.com)

Le bien nommé "Marion Dufresne Atmospheric Program - Indian Ocean" s’inscrit de façon complémentaire dans le dispositif de recherche et d’étude développé par les scientifiques français sur l’ouest de l’océan Indien, grâce aux financements de l’UE (FEDER), de la Région Réunion, du SGAR-Réunion,de l’université de La Réunion et du CNRS. Une région du globe des plus mal connues et des moins documentées, tant en matière de processus météorologiques que d’évolution climatique.

Cet état de fait valant pour des espaces où se signale une forte présence française, avec en sus de Mayotte et La Réunion, de nombreuses îles dans le canal du Mozambique, et beaucoup plus au Sud, les Terres Australes, a conduit la recherche française à se doter de capacités adaptées au défi rencontré. C’est ainsi que l’Observatoire de Physique de l’Atmosphère de la Réunion (OPAR), créé en 2003, a intégré une station à l’observatoire du Maïdo en sus de ses deux autres implantations du campus de Moufia, et de l'aéroport de Gillot (radiosondages et le radar UHF). L’OPAR s’impose donc comme un site de pointe, par sa localisation dans une région de l’hémisphère Sud peu étudiée, mais isolé aussi, dans une immensité sur laquelle on manque d’autres points de référence.

L’OPAR est richement doté de 58 instruments en fonctionnement permanent.  Il livre donc en continu de nombreux paramètres relatifs au vent, à l’ozone, aux nuages, aérosols, vapeur d’eau, température, gaz traces… sur un volume qui s’étend de la couche limite océan-atmosphère à… la stratosphère ! De récents programmes de recherche ont développé un réseau de stations d'observation sur l’ouest de l’océan Indien, mettant en service des instruments géolocalisés par satellite, des antennes GNSS pour la mesure et l’assimilation de la vapeur d’eau dans les modèles météorologiques et encore des radiomètres UV pour l’étude des rayonnements ultra-violets et l’analyse de l’ozone stratosphérique.

• Laboratoire mobile

Ce flux d’observations mérite d’être corrélé à d’autres relevés permettant ainsi de constater des variables dans l’espace et de faciliter la compréhension et l’analyse de processus régionaux observés sur l’océan Indien, tels que les échanges de masses d’air dans la zone entre troposphère supérieure/basse stratosphère (UTLS) et tropopause (1) tropicale (TTL) ; la redistribution de la pollution atmosphérique à l’échelle régionale ou au-delà, sans oublier l’évolution de l’ozone stratosphérique. Le manque de références précédemment évoqué affecte la compréhension des processus fondamentaux qui conditionnent la météorologie des océans Indien et Austral ; les fluctuations de la zone de convergence intertropicale (2), l’oscillation de Madden-Julian (3), fronts froids et cyclones tropicaux, sont mal appréhendés. 

D’où l’intérêt d’utiliser le Marion Dufresne II comme laboratoire mobile, ce bateau naviguant régulièrement dans un environnement proche des situations cycloniques de par ses missions qui le mènent 4 fois par an dans la zone circumpolaire, sous fortes houles et vents à l’unisson. 

La collectivité des TAAF, fidèle à sa mission de soutien à la recherche ayant donné son accord à l’implantation d’instruments sur le Mar Duf, pour les rotations ordinaires et les campagnes scientifiques additionnelles, de l’Ifremer et de la flotte océanographique française notamment, celui-ci s’est avéré providentiel du fait des rotations régulières sur des routes offrant une grande variabilité de conditions de mer, de systèmes biologiques et de régions clefs dans les échanges entre les compartiments atmosphériques. 

La répétition de ces navigations, sur les mêmes routes marines et les mêmes périodes permettra également d'étudier les variabilités interannuelles au-dessus des océans Indien et Austral et dans les eaux de surface, et à plus long terme de documenter les tendances climatiques pour une meilleure prévision.

• Expériences et instruments : du phytoplancton à la stratosphère

Courant 2020, et jusqu’en janvier 2021, chaque escale du Marion Dufresne à La Réunion s’avère l’opportunité, pour les scientifiques de MAP-OI, d’investir le bateau pour installer les équipements des 19 instruments nécessaires aux relevés d’observations des 9 laboratoires dont le LACy, engagés dans cette aventure. 

On a donc vu s’agiter sur le bateau, des combinaisons blanches, masquées et bottées, qui ne manipulaient aucun matériel biologique ou radioactif, mais épargnaient ainsi à l’équipage du Marion Dufresne tout risque de contamination au virus que l’on sait ; même bénéfice pour les personnels des TAAF, les scientifiques et les militaires en mission sur les Iles Eparses, les Iles Australes et en Terre Adélie.

Les conditions de travail des scientifiques en ont été quelque peu rendues difficiles, car le port de combinaison en plein soleil, sur le pont, tend à susciter des effets dignes d’un sauna… mais c’était pour la bonne cause.

L’implantation des appareils n’a pas posé de problèmes particuliers, pas plus que les connections dans les salles d’acquisition, c’est plutôt leur adaptation au cahier des charges des navigations qui a nécessité la mise en œuvre d’une technicité créative. En effet, il est impossible de transmettre en continu par satellite la totalité  des données recueillies au quotidien par les instruments, il fallait donc automatiser et sérier les transmissions, faire évoluer des instruments initialement destinés à fonctionner en laboratoire et non point dans des conditions dignes d’une station spatiale, tout en instaurant des automatismes de maintenance, en sus du secours de membres de l’équipage qui ont accepté d’assumer certaines des tâches.

Chaque instrument est connecté à un PC d’acquisition, l’ensemble des données collectées enregistré sur des concentrateurs. Ainsi, lors des escales du bateau à La Réunion en retour de mission les data seront transférées sur le site d’archivage des données de l’Université de La Réunion et parallèlement sur les serveurs du LACy, ainsi que sur les pôles de données scientifiques AERIS (atmosphère) et ODATIS (dédié à l'océan).

• Structuré autour de six axes principaux

La thématique d’étude initiale de la couche limite océan-atmosphère s’est enrichie d’angles d’approche particulièrement porteurs s’agissant de la compréhension des effets biochimiques qui influencent les flux turbulents et les flux d’aérosols marins, du fait du développement rapide d’une nouvelle génération de modélisations couplées océan-vagues-atmosphère pour lesquelles de nouvelles paramétrisations sont requises.

En tant que plate-forme mobile d’observation, MAP-IO est donc structuré autour de six axes principaux. A commencer par la caractérisation de l’état de surface océanique et de la composition biologique en phytoplancton ; données qui permettent de participer à la calibration des données satellites et à la validation des modèles océaniques et biologiques sur l’océan Indien et austral. Suivent la caractérisation des émissions de gaz et d’aérosols marins pour les modèles atmosphériques de prévision numérique ou de climat. L’étude des transports de masses d’air et la redistribution des aérosols et des composés chimiques dans la troposphère et la stratosphère. La surveillance des changements atmosphériques globaux en particulier dans les régions des océans Indien Sud et Austral.

La documentation de la variabilité saisonnière et interannuelle des flux air-mer de CO2 dans les régions des océans Indien Sud et Austral. Et enfin, le renforcement des réseaux d’observation déployés sur les océan Indien et Austral dans le cadre de programmes tels que ReNovRisk Cyclones et Changement Climatique, " Indian Ocean GNSS Application For Meteorology - Eparses Islands " (IOGA4MET), UV-indien…Le programme MAP-OI dans sa partie Mar Duf Atmosphère est prévu pour durer au moins 4 ans et pourquoi pas se transformer en observatoire pérenne sur le modèle de l’OPAR.

• Des données uniques

L’étude de de la composition biologique en phytoplancton des eaux où pénètre la lumière qui permet la photosynthèse, à partir d’un bateau en déplacement constant, est conduite de façon autonome par un cytomètre en flux (CMF), qui permet de faire défiler des particules, ici du phytoplancton et du microzooplancton en suspension dans l’eau, à grande vitesse, dans le faisceau d'un laser, en les comptant et en les caractérisant par milliers à chaque échantillon.

Le cytomètre est en l’occurrence couplé à un autre instrument, une " ferry box ", connectée à la prise d’eau du Marduf’, et qui effectue tout au long du parcours des séries géolocalisées de mesures de salinité, température, fluorescence du phytoplancton, teneurs en oxygène dissous et CO2. Les données recueillies seront, de fait, uniques par leur caractère innovant. Pour Pierre Tulet, ces mesures de la biologie marine, avec la création d’un instrument permettant de cartographier le phytoplancton de surface qui est à la base de la chaîne alimentaire, le tout dans une zone opaque à l’observation satellitaire, revêtent de multiples utilités pour les activités de pêche (ressource halieutique), comme la compréhension des mécanismes de stockage du CO2 atmosphérique par les océans.

 

• Notes

1 - La tropopause est une zone de l'atmosphère terrestre qui fait la transition entre la troposphère (au-dessous) et la stratosphère (au-dessus). Elle se situe à une altitude qui diminue avec la latitude depuis environ 17 kilomètres à l'équateur jusqu'à ~9 km aux pôles, mais qui varie aussi en fonction des saisons. Il s'agit d'une couche atmosphérique plus ou moins épaisse, où la température est stable alors qu'on observe une décroissance dans l'atmosphère à partir du sol et une augmentation par la suite dans la stratosphère à cause de l'absorption des rayons ultraviolets par l'ozone. La tropopause est ainsi la partie la plus froide de la basse atmosphère (−50 à −65 °C)1.  

2  - La zone de convergence intertropicale, le " Pot au noir " des marins ou des pilotes de l’Aéropostale, est une ceinture de quelques centaines de kilomètres du Nord au Sud, de zones de basses pressions entourant la Terre près de l'équateur. Elle est formée par la convergence des masses d'air chaudes et humides anticycloniques provenant des tropiques portées par les alizés. On y rencontre de fortes instabilités et des développements de cumulonimbus impressionnants. 

3 - L’oscillation de Madden-Julian (OMJ) est onde atmosphérique causant cycliquement une alternance entre zones pluvieuses, où l'on retrouve surtout des nuages convectifs, et zones sèches très prononcées, où l'air est très stable. Chaque cycle dure entre 30 et 60 jours. Les zones d'ascendance sont favorables au développement de cyclones tropicaux quand les zones de subsidence reliées à l'OMJ leur sont défavorables. Cette oscillation est considérée comme un des prédicteurs de la cyclogenèse. 

pl/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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2 Commentaires
Strop
Strop
3 ans

Positivant! Si je devais recommencer ma vie et que je pouvais choisir mon métier, j'opterai pour la recherche scientifique je crois.

Mayaqui, depuis son mobile
Mayaqui, depuis son mobile
3 ans

Belle polyvalence pour cet immense bateau !