Le projet pourrait prendre du retard

Mémorial de l'esclavage à Paris : l'appel à candidatures tourne au fiasco

  • Publié le 18 mars 2021 à 02:59
  • Actualisé le 18 mars 2021 à 06:55

Après des semaines de débat, l'appel à candidatures pour le mémorial de l'esclavage prévu aux Tuileries à Paris est finalement abandonné. Lancé en juin 2020, il devait permettre de sélectionner un artiste pour la conception de ce mémorial sur lequel on devrait lire 200.000 noms d'esclaves affranchis. Une condition qui n'a pas été prise en compte par les artistes pré-sélectionnés pour ce projet, qui risque donc de prendre du retard alors qu'il devait être un engagement fort du mandat Macron. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Le mémorial est censé sortir de terre aux alentours de septembre 2021. Mais l'échéance sera-t-elle respectée ? Le 27 avril 2018, à l'occasion du 170ème anniversaire de la signature du décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, Emmanuel Macron s'était engagé à "voir ériger à Paris dans le jardin des Tuileries, un mémorial qui rende hommage aux victimes de l'esclavage" rappelle le ministère de la Culture.

Le 5 juin 2020, nouvelle étape, sous l'ancien gouvernement : les ex-ministres Annick Girardin et Franck Riester annonçaient la publication d’un appel à candidatures "pour la conception, la réalisation et l’installation d’une œuvre d’art en hommage aux victimes de l’esclavage au sein du jardin des Tuileries".

Dans le cahier des charges : l'inscription des 200.000 noms recensés pour ce projet. 200.000 victimes de l'esclavage, affranchies en 1848. Parmi ces noms, ceux de 63.000 Réunionnais, a indiqué Emmanuel Gordien, président du Comité marche 98 (CM98) au journal L'Humanité. L'association a mis cinq ans à rassembler tous ces noms.

Pourtant sur les cinq artistes finalistes, aucun n'a semblé prendre suffisamment en compte ce critère, poussant le gouvernement à annuler l'appel à candidatures, le 8 mars dernier. A l'origine de la contestation, le Comité marche du 23 mai 98 (CM98), situé aux Antilles. Au moment de réaliser que la liste des 200.000 noms risque de ne pas figurer sur le mémorial, le comité se fend d'une tribune dans laquelle il accuse le gouvernement d'avoir "honte" de ces noms d'esclaves. "Pour le ministère de la Culture, ces noms ne siéent point au prestigieux Jardin des Tuileries. On les comprend ! Ce jardin fut créé par Catherine de Médicis en 1564, rénové en 1664 (29 ans après que le premier déporté africain a eu mis pied sur les terres de Guadeloupe et de Martinique) par André Le Nôtre sous les ordres de Jean-Baptiste Colbert. Alors des noms d’anciens esclaves dans des lieux imaginés par Colbert, le concepteur du code noir, c’est un quasi sacrilège !"

Maintenant que l'appel à candidatures a été abandonné, un autre devrait être lancé d'ici peu. Contacté sur l'origine de ce fiasco, les ministères de la Culture et des Outre-mer n'ont pas donné suite à nos questions.

- "Histoire incomplète" -

"On déplore bien entendu que cela se passe comme ça", indique la Fondation pour la mémoire de l'esclavage à Imaz Press. "Mais nous n'avons aucune prise là-dessus, tout est géré par le ministère de la Culture. On espère que cela va vite repartir et bien se passer… Notre président Jean-Marc Ayrault avait pourtant bien insisté sur l'importance de ce projet" nous dit la fondation.

Du côté des associations réunionnaises, on ne comprend pas que le projet ait été mal mené à ce point. "Il faut arrêter de nous faire tourner en bourrique" dénonce Ghislaine Mithra Bessière, présidente de Rasine Kaf. "Nous soutenons l'avis du CM98 bien entendu. Il y a un cahier des charges à suivre, ces artistes se sont assis dessus" estime-t-elle. "Moi j'aurais voulu qu'on ait ce mémorial le 10 mai. Pourquoi avoir attendu autant avant de se rendre compte que les critères n'étaient pas remplis ? On nous a baladés, il y a de quoi être énervé."

Et pourquoi ne retenir que quelques noms quand on peut avoir la place de tous les inscrire… "Il est important d'avoir les 200.000, il n'y a pas de 'tri' à faire, c'est important pour l'histoire, pour la mémoire" estime Paul Canaguy, de l'association Historun. "Nous avons nous-mêmes participé au travail de recensement de ces noms, avec l'aide des archives départementales." Depuis, plus aucune nouvelle déplore celui qui s'interroge sur "les priorités du ministère de la Culture".

"Il est important que nos enfants connaissent cette histoire" appuie Thierry Gauliris. "Et dire qu'en 2021 il faut encore se battre pour que ces choses-là rentrent. Mais si ce n'est pas fait, l'histoire sera incomplète." Alors que la liste des noms, elle, ne peut pas l'être. "On peut enlever une chanson d'un 33 tours s'il n'y a pas assez de place. On ne peut pas enlever le nom d'un esclave."

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Pour le leader de Baster, il faudrait "quelque chose d'imposant, que les gens le voient vraiment, comme une statue à laquelle s'ajouterait une plaque avec les noms". Ghislaine Mithra Bessière, elle, voit plutôt "un mur de noms qui ferait face à un miroir, on serait alors dos au mur avec tous ces noms qui apparaissent devant nos yeux". Sobriété ou non, tous sont unanimes : il faut graver dans la pierre ces 200.000 noms. Pour que l'histoire ne les oublie pas.

mm/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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1 Commentaires
Joseph, depuis son mobile
Joseph, depuis son mobile
3 ans

Pourquoi au jardin des Tuileries et pas dans chaque département concerné!