Tribune libre de Youssouf Omarjee

Des leçons de vie d'un grand Homme pour le Ramadan

  • Publié le 13 avril 2021 à 19:27

Comment oublier cette personnalité réunionnaise aussi discrète qu'empreinte de bonté ? Tonton Daoud, qui a reçu, à juste titre, une pluie d'éloges, lorsqu'il a rejoint l'Autre Rive ce Lundi 29 Mars, fut un nonagénaire à l'existence exemplaire. Patriarche de la famille Omarjee, vénérable de la communauté musulmane de La Réunion, citoyen engagé au service de la paix des coeurs et de l'harmonie, mais aussi et surtout véritable mémoire de l'histoire réunionnaise, sa silhouette, toute de blanche vêtue ; coiffée d'un manteau bleu marine, se faufilant dans les rues de Saint-Denis pour regagner les arcades conduisant à la Grande Mosquée, est ancrée, à jamais et pour toujours, dans ma mémoire.

Pieux serviteur de Dieu, aussi respectueux des institutions qu’authentique chantre de l’humanisme, il nourrissait la même considération, un égal égard, une attention pareille pour chaque être humain indépendamment de ses conditions d’appartenance religieuse, d’origine sociale ou encore de considération ethnique. Petits et grands y trouveront en lui, à chaque rencontre, un véritable confident, une source d’inspiration et un homme dont la gentillesse ne pouvait que forcer l’admiration. Tout au long de sa vie, il n’a eu de cesse de prier, pour que voit le jour, sur Sainte-Clotilde, un véritable édifice religieux digne de la capacité d’accueil d’une population toujours grandissante dans le quartier. Et, dans son chemin de vie, au-delà des compagnons de route qu’il a su fédérer autour de son projet pour l’avenir, il aura eu la chance de rencontrer le Président Iqbal INGAR, qui, par la grâce divine, a eu la bonne idée de donner corps à ce qui n’était alors qu’un rêve.                         

C’est ainsi qu’en 2018, ils posèrent, ensemble, la première pierre de la Nouvelle Mosquée de Sainte-Clotilde destinée à remplacer l’édifice initial existant. Entre temps, en 2019, Tonton Daoud a eu l’occasion de vivre les joies liées à l’inauguration de la Nouvelle Mosquée à laquelle il tenait temps. C’est donc, 2 années après cet évènement mémorable, que Dieu décida de le rappeler à Lui, à la veille de la Nuit de l’Absolution ou de la Purification dans la tradition musulmane.

Pour sûr, il manquera au Ciel de ses proches, de même que sa voix tendre et son regard avenant, sa constante bienveillance et tout ce qui manque à nos mots pour traduire ce qui fut sa force spirituelle, sa subtile sensibilité et les bonnes ondes qui se dégageaient de sa présence qu’elle soit dans le cadre d’une rencontre impromptue ou d’une visite programmée.

Cependant, ce qui compte, avant toute chose, en cette veille de Ramadan, c’est bien l’héritage spirituel qu’il laisse à celle et celui qui voudrait bien s’en saisir. En effet, c’est un homme cultivé, autodidacte, immensément riche en bonnes actions et dont la noblesse de caractère fut si rare pour qu’elle mérite d’être soulignée ici et rappelée autant que faire se peut, car, par son bon comportement, par cette grâce divine qui l’habitait, il n’a fait que sublimer chaque instant de sa vie. Sa vie tenait en un caractère aussi particulier que très rarement observable dans le monde d’aujourd’hui.

C’est ainsi qu’il fut habité profondément par une vie spirituelle aussi riche qu'intense. Il était attaché à l’accomplissement de ses devoirs envers Dieu, de même que son tempérament était empli de compassion et d’empathie pour son prochain.
Il avait toujours le bon mot pour redonner confiance en soi, il avait le mot qui permettait au plus jeune de surmonter ses frustrations tout comme il avait le don d’inspirer les plus grands, et, pour tous(tes), il avait une parole qui guérissait les âmes. Nul doute qu’il aimait profondément les siens comme il fut aimé, avec passion, par celles et ceux qui en sont senti(e)s proches parce qu’il avait toujours le don de toucher les cœurs par le timbre si doux de sa voix magnétique, par une présence lumineuse, par des conversations toujours pleines de sagesse et de positivité. Il parlait avec bonté et il avait la force de l’élégance pour lui.

Pareillement, il était courtois et il avait, ancré au plus profond de lui-même, une haute idée du respect des autres. D’ailleurs, je me demande bien si cette parole prophétique qui déclare que " Celui qui est facile à vivre, calme et doux, Dieu lui interdit l'enfer " ne fut pas sa maxime de vie, la pierre angulaire de chacune de ses œuvres. Sa courtoisie était celle de faire une pleine place à l’autre qu’il accueillait toujours à bras ouverts chez lui, et, il y avait, en lui, cette marque de fabrique familiale consistant à veiller à la satisfaction de ses hôtes en les choyant de délicates attentions. Pour ainsi dire, presque toujours, en revenant de ces rencontres avec lui et son épouse qu’il affectionnait tant, on se sentait mieux vivre parce que la beauté et la magie de ces moments-là étaient tels qu’ils constituaient comme des parenthèses hors du temps.

Par ailleurs, il était aimable en veillant toujours à faire plaisir les autres, allant même jusqu’à souvent leur donner la préférence sur ses propres désirs. Il était affable dans le sens qu’il écoutait les personnes qui s’adressaient avec lui en faisant preuve d’attention, qui, en encourageant, au besoin, les personnes qui se sentaient comme abandonnées, qui, en prodiguant toujours des conseils de bon aloi aux gens qui avaient besoin de reprendre espoir à la vie. Il était accueillant et appréciait la compagnie des gens même s’il n’avait pas pour habitude de se mêler à la foule. Il cultivait les bonnes fréquentations familiales et amicales car il avait toujours des récits à livrer, des rappels bénéfiques à faire, des témoignages sur l’Histoire familiale qu’il a traversé du haut de son presqu’un siècle d’existence. Il nous disait avoir connu bien des gens remarquables, il évoquait aussi ses blessures toutes personnelles qui avaient forgé son tempérament, mais, jamais il ne s’érigeait en juge de personne. Il disait toujours du bien des personnes ou alors il se taisait. Il connut les fastes de son époque, mais il mena une vie pleine de sobriété tout en sachant apprécier les bonnes choses.

De même, il était imprégné du sens du devoir. Pour lui, l’éducation était primordiale et il interpellait toujours affectueusement son prochain d’une accroche inoubliable " mon enfant, tu sais… " démontrant qu’il avait connu et vécu des évènements joyeux autant que des évènements plus durs, comme, pour mieux dire, qu’il ne fallait pas se faire du mouron face aux rigueurs de la vie. Il invitait à la patience et il convoquait toujours l’esprit de gratitude envers Dieu. Sa force résidait dans son attachement à une spiritualité approfondie autour de bonnes routines quotidiennes de lecture du Coran, d’accomplissement régulier des prières dans lesquelles il faisait preuve d’une assiduité remarquable, de développement de meilleurs rapports humains. Il ne nourrissait aucune inimitié envers quiconque. Il était donc attaché à la concrétisation des devoirs temporels comme des devoirs spirituels. Il avait le sens du devoir, de l’investissement plein et entier dans les tâches et les responsabilités de son temps au service de sa propre réussite certes, mais aussi et surtout au service des autres, de l’intérêt général et des générations futures. Lui qui vécut longtemps, me rappelait toujours notre condition de voyageur de l’éphémère et de la nécessité de s’atteler, avec diligence, à la préparation de Notre Retour vers le Créateur, à la réalité de cette belle rencontre qui se fera avec le Seigneur.

C’est pourquoi, la douceur et la droiture ont toujours constitué les 2 principes directeurs de sa vie. Il mit beaucoup d’enthousiasme et d’énergie dans les relations humaines empreintes de tant de douceur que je ne crois pas qu’il demeure encore aujourd’hui des êtres vivants leur vie à la façon de Tonton Daoud, à moins qu’il n’y subsiste qu’une petite poignée. Il avait donc cette particularité de mener une vie sociale riche avec tout ce qu’elle peut compter d’astringence, toutefois sans jamais se départir de sa bonne humeur. Doux à l’égard de ses semblables et faisant preuve de droiture devant Dieu, tels étaient les ingrédients de la recette de son succès. Ainsi, en manifestant son attachement aux Mosquées qu’il fréquentait tout comme à celle dont il voulut ardemment la construction, Tonton Daoud a fait la preuve qu’il était bel et bien plus attaché à la constitution d’un capital pour l’Au-Delà qu’à faire fortune ici-bas. Ses provisions pour la Vie Ultime n’en sont que meilleures tant en quantité qu’en qualité. En effet, c’est à une œuvre perpétuelle qu’il a consacré sa vie toute entière en étant naturellement une oasis de douceur dans le désert d’une vie parfois déroutante pour qui était venu à sa rencontre.

Enfin, le secret, qui était le sien, était de toujours sourire, quoiqu’il advienne. Peu importait les péripéties de l’existence, Tonton Daoud restait souriant. Non pas qu’il n’avait pas de chagrins à porter ou de peines qui le taraudaient, mais il avait décidé que la joie de vivre devait l’emporter. Il avait fait du don d’aimer le plus beau cadeau qui soit à son prochain. Jamais, il ne fut la leçon à quiconque, même s’il nous appelait constamment à faire preuve de vigilance, de lucidité et de générosité. Je retiens juste que sa vie entière, en soi-même, est une formidable leçon de choses pour tout un chacun. Que son âme repose donc en paix ! Ce n’est qu’à l’aulne des qualités de ce grand Homme que je nous souhaite de vivre un Bon Ramadan.

Youssouf OMARJEE

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