Les coureurs à pied et traileurs toujours prives de compétitions

Éric Lacroix : "dire que le sport est non essentiel est aberrant"

  • Publié le 25 avril 2021 à 13:02
  • Actualisé le 25 avril 2021 à 13:04

Membre de l'équipe de France de course de montagne de 1991 à 1995, coach de haut niveau, auteur de plusieurs ouvrages sur la course à pied, notamment "Guide d'entrainement à l'ultra trail : l'exemple le Grand Raid", consultant, conférencier... et directeur du SUAPS (Service universitaire des activités physiques et sportives) de La Réunion, Eric Lacroix a plus d'une corde à son arc. Alors que le monde de la course hors stade est toujours à l'arrêt dans notre île, nous l'avons interrogé sur les conséquences de la crise Covid-19 sur ce milieu de passionnés un brin déprimés. "Dire que le sport est non essentiel est aberrant" n'a pas caché le sportif. Entretien (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Imaz Press : est-ce que vous comprenez cette interdiction d’organiser des courses hors stade depuis plusieurs mois et jusqu’au 1er juin au moins ?

Eric Lacroix : on a le cul entre deux chaises. On est soumis à une sorte d’Epée de Damoclès. On a un virus qui circule et une crise sanitaire jamais vécue auparavant pour laquelle on n’a pas de connaissance.

On a été pris de court et on a fermé des choses. Et on a des gens qui sont en bonne santé, qui recherchent la santé par le sport, et qui sont pénalisés. On vit une sorte de schizophrénie. D’un côté, on veut bien comprendre mais de l’autre, ça nous enlève nos libertés. Si je me place du côté sportif, je trouve cela difficile et délicat. De l’autre, je comprends qu’on protège la population.

Il y a néanmoins un paradoxe, c’est ne pas pouvoir s’occuper de sa santé. On est dans un " Jusqu’au boutisme " du côté pathologique alors qu’on aurait pu donner aux gens la responsabilité de leur pratique sportive. Ce qui est aberrant, c’est de dire que le sport est non essentiel.

- "Il manque un peu d’intelligence collective" -

Imaz Press : auriez-vous des solutions à donner, des idées novatrices à apporter pour aider à sortir de ces interdictions de pratique ?

Eric Lacroix : la compétition en elle-même attire du monde. Dès l’instant qu’il y a spectacle, il y a beaucoup de monde, un brassage se fait. Le Grand Raid est par exemple un spectacle international et cela créée de l’anxiété dans le contexte actuel, ce qui explique hélas son annulation en 2020. Il existe des solutions pour permettre une pratique individuelle avec des défis, des courses virtuelles. Avec le vaccin, on pourra peut-être revenir au spectacle…

Je trouve en fait qu’il manque un peu d’intelligence collective dans les décisions qui ont été prises. On aurait pu faire intervenir des gens de la santé, des gens qui font du sport pour réfléchir à des solutions. Il faut juste du bon sens avec une écoute de plus de personnes. On ferme vite les portes et les écoutilles à cause de la peur. La fédération a sur ce point hérité d’un fait politique. Elle est entre le marteau et l’enclume. Il faut trouver des solutions. Ne pas laisser le haut niveau échapper seul à la crise. Le nombre de licenciés se réduit, les pratiquants s’épuisent…

- " Il y a eu une perte de sens de la pratique" -

Imaz Press : cette crise perdure hélas. Quels en sont les effets secondaires justement pour le coureur à pied et traileur ?

Eric Lacroix :  aujourd’hui, je peux courir 8-10 km/jour et je suis heureux. Je ne comprenais pas en revanche le un km autour de chez soi du premier confinement où on arrivait à critiquer quelqu’un qui courait autour de chez lui. Il y a aujourd’hui pas mal de personnes qui continuent à courir et qui espèrent recourir en compétition…

Ce qui motive dans la pratique de la course à pied ou le trail, c’est le lien social et/ou un projet personnel identifié. Avec le Covid-19, il n’y a plus cette possibilité de faire une compétition, de courir avec les copains et copines, de partir faire une épreuve à plusieurs ou pour un stage. Il y a une sorte de manque qui s’installe sur la motivation…

Si on prend l’exemple de ceux qui préparent le Grand Raid, il y a eu une perte de sens de la pratique avec l’annulation de l’an passé. Avec le danger de sombrer dans une petite dépression, de tomber dans la déprime. Mais comme tout ce qui est mental est difficile à déceler, c’est difficile de savoir pourquoi certains ont décroché… surtout qu’on retrouve différents modèles de profil chez le traileur: le profil résilient, le profil contemplatif et le profil performatif. 

- "On est en train de rendre les gens envieux" -

Imaz Press : un trail réservé  à une élite a été organisé en métropole récemment. C’était un test pour les athlètes mais aussi pour les futures protocoles organisationnels. Qu’en pensez-vous ?

 

Eric Lacroix : je trouve cela dangereux. Ce tri sélectif qu’on est en train de faire n’a aucun sens au niveau de la pratique. Les marques professionnalisent le trail. Or, le trail a été nourri par son côté populaire accessible à tous. Le trail, c’est d’abord un esprit. Il faut garder nos valeurs. Dans le trail, les gens sont acteurs. Les athlètes de haut niveau dans le trail ont toujours été dans le partage.

Ce sont des gens comme vous et moi. Dans le trail, la star est dans le populaire. Donc soyons solidaires et ne privilégions personne. Car là, c’est comme s’il y avait des élus. Les autres restent sur la touche. C’est dangereux par rapport à l’égalité de chances donnée au départ par le trail ; ça créée même aujourd’hui de la rivalité mimétique. On est tous jaloux à la base. On est en train de rendre les gens envieux. C’est aberrant de dire que la culture et le sport sont non essentiels. Comme si nous n’existions pas. Cette situation rend les gens aigris. Ils se rebellent. Ils n’ont plus que cela. 

- "Il faut prendre du plaisir dans l’entrainement" -

Imaz Press : le tirage au sort des épreuves du Grand Raid a eu lieu il y a peu. Comment préparer sa course dans ce contexte particulier, notamment sans épreuve de préparation, sans points de qualification, sans repères peut-être finalement ?

Eric Lacroix : il faut être objectif. Les gens ont coupé avec la compétition en ultra et ont pu regénérer leur organisme. Le corps s’est reposé. J’ose espérer que ce repos a été bénéfique. Même si on peut s’interroger par rapport à l’anxiété ambiante et au stress lié au COVID… Il ne faudrait pas que ça dure trop…. On en revient au sens, à l’intérêt de la motivation derrière..

Mon conseil ? S’entrainer en se disant que l’épreuve aura lieu. L’entrainement n’est pas forcément tourné vers la compétition. Ce qui est intéressant, c’est le chemin pour y parvenir. Il faut réfléchir au chemin, à la planification. Le corps et le cerveau s’adaptent. Laissons la chance à ceux qui ont été frustrés.

Je répète souvent que Pascal Parny a remporté deux fois la Diagonale sans aucune compétition au préalable. Il faut mettre son corps en condition de fatigue, tester son matériel, son alimentation. Y aller progressivement. Partir en week-end rando. C’est ça qui est sympa. Il faut prendre du plaisir dans l’entrainement. Et ne pas avoir peur car le trail, ce n’est qu’un loisir.

Propos recueillis par lb/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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3 Commentaires
Odyle
Odyle
2 ans

C'est une abération. Le sport c'est la santé. Je pense qu'il y a plus de risques de contamination lorsque des centaines de personnes sont agglutinées pour danser ou manifester illégalement que des traileurs ou coureurs qui pour une competition sont dispersés dans la nature. Encore une histoire politique.

Semelles de vent
Semelles de vent
2 ans

La pratique du sport est essentielle. Le spectacle, qui n'est qu'une conséquence , en aucun cas!

Phil
Phil
2 ans

Merci ... oui c'est officiel , même si on s'en doutait dans " le monde d'avant " , le sport ( amateur , professionnel pas de souci ) et la culture ne servent à rien ... alors luttons et prenons encore plus de plaisir sur nos sentiers magiques ! RDV en octobre pour les 4 courses du Grand Raid ! nou tien bo , nou larg pa !