Tribune libre de Jean-Yves Langenier

L'avenir de la canne se joue maintenant

  • Publié le 26 novembre 2021 à 16:21
  • Actualisé le 26 novembre 2021 à 16:24

La filière canne-sucre-rhum-énergie se trouve à un tournant de son histoire à La Réunion. La convention canne, résultat d'un accord entre les planteurs, l'industriel Tereos et les pouvoirs publics, arrive à échéance. C'est un document majeur pour le monde de la canne, car il fixe notamment le prix d'achat par l'industriel de la canne livrée par les planteurs et le montant des aides publiques versées par l'État.

Le sucre est le principal produit extrait de la canne. Jusqu’à 2017, La Réunion bénéficiait de quotas sucriers, c’est-à-dire de la garantie d’écouler jusqu’à un tonnage de 300.000 tonnes de sucre, notre production à un prix garanti. C’était pour l’usinier l’assurance de pouvoir écouler toute la production – qui n’a jamais dépassé 300.000 tonnes – sur la base de contrats d’approvisionnement négociés par l’industriel, et le sucre invendu qui était obligatoirement acheté par l’Union européenne à un prix garanti et suffisamment rémunérateur.

Suite à une plainte de pays exportateurs de sucre, le régime de quotas a été supprimé après sa mise en cause par l’Organisation mondiale du commerce. Désormais si les contrats d’approvisionnement ne couvrent pas la totalité de la production, le reste sera soumis aux aléas du cours mondial. Durant ces 20 dernières années, l’industrie sucrière a développé des sucres spéciaux qui représentent la moitié de la production. Ces sucres satisfont les besoins locaux mais la plus grande partie est exportée. Avec la fin du régime de quotas, les sucres spéciaux sont écoulés dans un marché européen de niche d’un volume de 200.000 tonnes de sucre.

Par ailleurs on sait que l’Union européenne négocie des accords commerciaux avec de nombreux pays, y compris avec les pays exportateurs de sucres spéciaux ; on peut légitimement se poser la question de savoir jusqu’où l’Union européenne peut restreindre l’accès de pays tiers à ces marchés, sachant que l’agriculture n’est qu’un volet d’un accord global qui intègre l’industrie, les services… Dit autrement, pour vendre des Airbus par exemple, l’Union européenne ne risque-t-elle pas d’ouvrir ce marché de niche à des pays ayant des coûts de production bien inférieurs, sacrifiant de fait les intérêts des planteurs de La Reunion ?

De plus, contrairement aux producteurs de betteraves qui sont coopérateurs de Tereos, les planteurs de canne à sucre ne sont pas partie prenante dans la gestion de la société Tereos Océan Indien qui valorise leur production et ils ne disposent pas non plus des informations qui déterminent la stratégie de l’industriel.

À titre d’exemple, dans sa décision du 2 novembre 2021 relative aux “pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’approvisionnement en mélasse à La Reunion”, l’Autorité de la concurrence a souligné :

" En valeur, les ventes annuelles de Tereos entre 2011 et 2019 ont été comprises entre [5-6] et [7-8] millions d’euros. Les ventes annuelles de Tereos Océan Indien aux distilleries ont été comprises entre [4-5] et [6-7] millions d’euros. "

Jusqu’à la publication de cette décision, les planteurs ignoraient que la mélasse extraite de leurs cannes pouvait rapporter de telles sommes. Ceci montre l’importance pour tous les acteurs de jouer cartes sur table pour que les discussions puissent se dérouler sereinement.

La prochaine Convention canne doit être signée au plus tard avant le début de la campagne 2022, c’est à dire dans moins de 7 mois. Les discussions n’ont pas commencé et les planteurs semblent être dans le flou le plus total. Or la filière représente 2600 planteurs, près de 18.000 emplois et constitue la principale exportation de La Réunion. Elle a un poids économique et social qui ne peut laisser indifférent le Conseil Départemental compétent en matière agricole, ni le Conseil Régional compétent en matière de développement économique.

À l’approche de l’échéance 2022, les planteurs témoignent des difficultés aggravées qu’ils rencontrent. L’actuelle campagne marquée par la faiblesse tant en quantité qu’en richesse de la canne, la persistance de sécheresse, les variétés de canne qu’on leur demande de planter, la hausse constante des coûts du fret et des intrants créent les conditions d’une crise sociale qui aurait de lourdes répercussions. On peut noter que la SAPHIR, gestionnaire de l’eau d’irrigation, risque de connaître de grandes difficultés, car des planteurs ne seront pas en mesure de payer leurs factures d’eau, faute de trésorerie.

Cette situation a déclenché une prise de conscience du monde agricole qui serre les rangs. Ainsi plusieurs organisations de planteurs habituellement concurrentes viennent de constituer une Intersyndicale agricole de La Réunion, avec le soutien du Président de la Chambre d’Agriculture.

Au niveau politique, dans une motion présentée lors de son assemblée plénière du 22 novembre, le Conseil régional " réitère sa proposition déjà exprimée dans la motion relative à la filière canne adoptée à l’unanimité lors de l’assemblée plénière du 30 juillet 2021 de l’organisation d’États généraux sur la canne afin de définir et partager avec l’ensemble des acteurs une feuille de route pour l’avenir de la filière, car les attentes sur le terrain sont très fortes et les planteurs, comme les industriels, ont besoin dès à présent d’une visibilité sur le long terme indispensable pour assurer la pérennité d’une filière qui demeure le pivot de l’agriculture réunionnaise, et un élément déterminant de l’équilibre économique, social et environnemental de La Réunion "

Le Conseil départemental ne peut pas faire moins, compte tenu de ses compétences en agriculture et dans le champ social. On ne peut que déplorer la fin de non-recevoir opposée par le vice-président en charge de l’Agriculture du Département à ma proposition d’aller plus loin que l’adoption d’une motion.

Il m’apparaît pourtant essentiel que le Conseil départemental doit se mobiliser activement aux côtés des acteurs de la filière, afin d’œuvrer ensemble – avec l’État, un interlocuteur incontournable, le Conseil régional, l’Association des Maires…- pour déterminer des solutions durables pour la filière canne-sucre-rhum-énergie dans un contexte qui n’est plus celui d’un marché protégé avec un débouché garanti pour un de ses principaux produits.

L’avenir de la canne se joue actuellement et l’essentiel sera décidé bien avant la fin de notre mandature. Notre responsabilité est claire : contribuer à sauver 18.000 emplois et un savoir-faire de plus de deux siècles que beaucoup de monde nous envie.

Jean-Yves Langenier

conseiller départemental de La Réunion


 

guest
6 Commentaires
Fred rob
Fred rob
2 ans

Il est temps de penser et de préparer l'après canne à sucre. Des cultures diversifiées destinées à l'autosuffisance alimentaire seraient bien plus utiles au Réuionnais, créeraient plus d'emploi et pollueraient beaucoup moins notre sol si en bio. La culture de la canne enrichit les industriels, au dépens du peuple réunionnais.

Madame soleil
Madame soleil
2 ans

Le futur maire du Port.

Antipode
Antipode
2 ans

Il est urgent d'en finir avec la canne à sucre ou de diminuer drastiquement la production au profit du maraîchage jusqu'à l'autonomie alimentaire et de la culture du zamal à usage médicinale comme récréatif !

Ste Suzanne
Ste Suzanne
2 ans

Vous êtes politicien pas agriculteur Occupez vous de vos oignons Eus ils vivent avec des subventions Vous des indemnités payer à rien foutre et surtout voyager en première classe aux frais de la population

Le Port
Le Port
2 ans

Revenir en politique à 70 ans et on parle de renouvellement de la classe politique'où va-t-on ' Lamentable !

Carla
Carla
2 ans

il est encore la lui'la Cane ....ui ben a koz pas maraichage! Zot i vive ek rien subvetionset zot néna monople.. URCOOPA par exemple