Sécurité maritime

Tresta Star : un naufrage peut en cacher un autre

  • Publié le 23 février 2022 à 09:22
  • Actualisé le 23 février 2022 à 12:14

Le naufrage dramatique du Tresta Star sur la Pointe du Tremblet, le 3 février 2022, alors que le cyclone Batsirai passait au plus près de La Réunion, a mis en exergue plusieurs carences en matière de sécurité maritime, tant dans les eaux mauriciennes que dans celles relevant du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage sud océan Indien (CROSS) et donc sous responsabilité française. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

La mésaventure du Tresta Star ("Oil Products Tanker," un ravitailleur), battant pavillon mauricien - l'armateur étant une société indienne, la Tresta Trading Ltd - découle de la menace qu'a fait peser le cyclone Batsirai sur l'île Maurice, poussant la Mauritius Ports Authority (MPA) à diriger vers la haute mer les bateaux ne disposant pas d'un poste d'accostage sécurisé…

Maurice étant un pavillon de complaisance, doublé d'un paradis fiscal, "open registry", il y est facile d'opérer des bateaux avec des équipages cosmopolites, à peu de frais, sans trop d'impôts et d'ennuis administratifs, ainsi le Tresta Star était doté d'un équipage composé de sept marins indiens et quatre marins bangladeshis, totalement dévoués à son armateur indien, lequel soustraite la gestion et la paie du personnel à une autre société, Amba Shipping and Logistics PVT Ltd…

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On trouve là le genre de montages en poupées russes qui permettent de délayer les responsabilités dans le cadre d'activité vouées à l'optimisation fiscale. De fait, le développement des activité de ravitaillement - oil bunkering - à l'intérieur de l'enceinte portuaire gérée par la Mauritius Ports Authority (MPA), suscite la multiplication de bunker barges dévolues à cette activité que la "Platform Moris Lanvironnman" surveille étroitement.

Le naufrage du Tresta Star a conduit ce collectif à pointer du doigt le fait que huit bateaux sont actuellement autorisés à travailler de la sorte en transportant des hydrocarbures à quai et à l'extérieur du port, hors quai, en mer, avec tout ce que cela implique comme risques environnementaux. La navigabilité des barges est mise en question suite au naufrage du Tresta Star qui s'est avéré incapable de tenir la mer avant de finir désemparé sur le littoral de Saint-Philippe, pollution à la clé.

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Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, avait rapidement déclaré que “ce pétrolier navigue à vide, il n'y a donc à ce stade pas de risque de pollution maritime grave par hydrocarbure”, sans trop savoir de quoi il retournait. De même le préfet Jacques Billant affirmait “le navire contient moins de 8m3 de gazole de propulsion dont la majorité devrait se disperser sans risque majeur pour l'environnement”.

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- Une veille armée qui date de la catastrophe environnementale de l'Amoco Cadiz -

Au-delà de cette problématique environnementale qui a malheureusement abouti sur nos côtes, on est en droit de s'interroger sur l'incapacité de l'autorité de contrôle et de surveillance française à assurer le secours en mer dans les eaux périphériques de La Réunion, mais aussi du canal de Mozambique. Car enfin, le Tresta Star, lorsqu'il a fini par lancer un SOS était à proximité immédiate de La Réunion, il avait précédemment dérivé quatre à cinq jours entre Maurice et La Réunion dans une totale indifférence.

Et si d'aventure il avait demandé du secours plus tôt, quel remorqueur français aurait pu s'aventurer dans cette mer cyclonique ? Aucun. Il n'y a pas à La Réunion ou à Mayotte de remorqueur de haute mer de type Abeille, quand il y en a cinq en France métropolitaine, en alerte permanente. Une veille armée qui date de la catastrophe environnementale de l'Amoco Cadiz (1978) et dont la permanence est planifiée jusqu'à 2050. C'est l'Etat affrète 365 jours par an des navires spécialisés, prêts à partir en 40 minutes 24h sur 24.

Le Tresta Star était un petit soutier portuaire, pas un super tanker ou un porte conteneur géant. Comment le CROSS pourrai-il gérer un naufrage ou la dérive de tels titans, à proximité de La Réunion ou dans le canal de Mozambique ? 350 millions de tonnes de pétrole brut transitent chaque année par le canal de Mozambique, véritable autoroute du pétrole, qui passe entre Madagascar et l'Afrique de l'Est, à proximité immédiate des îles Éparses et de Mayotte.

En cas d'accident, d'avarie, sans remorqueur de haute mer capable de tracter ces navires géants jusqu'à sept nœuds, il serait au mieux possible de sauver l'équipage et d'attendre un miracle. L'incapacité de la France à assumer et faire valoir sa souveraineté sur les mers, sur sa ZEE (zone économique exclusive), fragilise sa légitimité dans un monde qui redevient dangereux.

- L'US Navy veut s'installer à Diego Suarez -

Africa Intelligence, dans son édition du 4 février dernier, révèle que suite au blocage du canal de Suez, en avril dernier, par un porte-conteneurs, "les Etats-Unis cherchent à garantir la sécurité de nouvelles routes maritimes pour le trafic mondial. Washington a ainsi décidé fin 2021 de jeter son dévolu sur Madagascar, dont les eaux ont été, pendant cet épisode, largement empruntées pour contourner l'Afrique. Le Département de la défense américain s'apprête à financer la rénovation de la base navale de Diego-Suarez (Antsiranana) située sur la pointe nord de la Grande Ile, après plusieurs années d'atermoiements. (…) Une manière pour les Etats-Unis de réactiver leur coopération sécuritaire avec Antananarivo. Washington s'était déjà engagé à fournir aux autorités maritimes malgaches des systèmes d'identification automatique (AIS) pour contrôler le trafic, ainsi que des stations radars, en coopération avec la France…"

plc/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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6 Commentaires
Ed
Ed
2 ans

Bonjour à toutes et à tous,On ne peut pas nier que l'infrastructure de sûreté portuaire et maritime n'est pas à la hauteur de ce qu'elle devrait être en raison de la proximité des autoroutes maritimes mondiales (est-ouest via Suez ou Asie ' côtes est et ouest de l'Afrique) ou régionales (trafics inter-îles en Océan Indien).Mais financer ces infrastructures a un coût et je doute que personne ne soit conscient que ces coûts sont forcément rapportés, à un moment ou à un autre de la réflexion, au nombre de personnes à protéger. Ce qui sur le fond est idiot, puisque c'est la Nature qu'on protège à la base, et non les Hommes. Mais si l'Homme avait quelque chose à faire de la Nature, la planète ne serait pas dans l'état dans laquelle elle est : les tempêtes ne se multiplieraient pas dans des régions qui n'en connaissaient que très peu auparavant ; les typhons ne gagneraient pas en puissance par des différences grandissantes de température entre les masses d'air qui s'affrontent, etc, etc'Donc la seule et unique chose que les habitants de la Région Océan Indien peuvent faire pour faire avancer le dossier, c'est se parler et s'unir pour exiger que soit mise en place cette structure au niveau international par des autorités qui ont l'expérience de ce genre de situations d'urgence. Qu'elle soit américaine, française, anglaise ou sud-africaine, ou sous l'égide de l'ONU, peu importe. C'est l'expérience dans la gestion de ces situations de crise qui compte' et la puissance du bras juridique qui saura aller rechercher les Responsabilités et mettre très rapidement la main sur les Kapitaux avant qu'ils ne disparaissent. Car comme l'a très bien expliqué cet article (et c'est rare), le monde maritime est par définition peu réglementé et surtout peu contrôlé' par rapport à la Terre. Et tant qu'il n'y aura pas en haute mer de contrôle pour vérifier que les certificats exigibles sont conformes à la Réalité du navire, il ne se passera rien. Puisque tout le monde sait que les navires à problèmes ne se rendent pas dans les ports réputés faire des contrôles !J'ajouterai que le contexte économique est propice (baisse historique des autorisations de forage pétrolier en haute mer) à l'achat de navires suffisamment puissants pour prendre en charge les monstres d'aujourd'hui. LANGUEDOC, FLANDRES et LIBERTE sont des " vieux loups de mer " aujourd'hui. La relève vient d'être achetée d'occasion en la coque de navires de support Off-Shore encore plus puissants et monstrueux que " Notre " ABEILLE LIBERTE.Donc c'est le moment d'écrire avec constance et application à vos élus pour démarrer le jeu d'effet domino qui les amènera à agir au niveau régional, voire international.Si vous ne faites rien, il ne se passera RIEN.

JR
JR
2 ans

On peut s'interroger sur l'incapacité de l'autorité de contrôle et de surveillance de la Réunion à assurer la surveillance des eaux périphériques de l'île ! Le Tresta Star a dérivé quatre à cinq jours entre Maurice et la Réunion sans que sa trajectoire, bien aléatoire en raison de ses pannes, n'alertent l'autorité de contrôle et de surveillance ! Vous rappelez-vous du gros bateau de transport qui a éperonné l'île, à Saint-Denis au niveau du Banian des Deux Canons ' L'échouage a été signalé très tôt le matin par des auditeurs de Radio Freedom ! Y-a-t'il un radar et une autorité de surveillance de nos côtes ' La question est posée.

nuittranquille
nuittranquille
2 ans

Article très intéressant. Continuez !

Dysfonctionnements
Dysfonctionnements
2 ans

Les dysfonctionnements ont été nombreux : Maurice, armateur, personnels du navire et la France.

Merci
Merci
2 ans

Ça change des info " passe pommade " aux autorités comme on peut lire ailleurs. La presse doit jouer son rôle de contre pouvoir pour faire vivre la démocratie.

JR
JR
2 ans

Bel article, bravo !Cependant une erreur s'est glissée dans le titre " - L'US Navy veut s'installer à Diego Garcia -"Il faut lire L'US Navy veut s'installer à Diégo-Suarez ( Antsiranana )