Les prix risquent d'exploser

Invasion de l'Ukraine par la Russie : La Réunion n'est pas à l'abri d'une "guerre économique"

  • Publié le 26 février 2022 à 08:01
  • Actualisé le 26 février 2022 à 09:01

La Russie a décidé de mener une opération militaire d'envergure ce jeudi 24 février 2022 en Ukraine. Les vives tensions qui agitaient les deux pays depuis la décision de Vladimir Poutine de proclamer l'indépendance dans deux régions séparatistes se sont consolidées en une véritable guerre militaire. Et si celle-ci fait rage en Ukraine, une autre guerre se prépare à plus grande échelle, celle-ci est économique et elle impactera forcément La Réunion. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Prix du gaz et du pétrole, matières premières, produits agricoles et alimentaires… Les tarifs risquent de flamber dans de nombreux secteurs suite à la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine. Depuis ce jeudi, premier jour de l'invasion russe, les bourses européennes s'effrondrent et l'économie mondiale commence déjà à vaciller.

• Crainte de pénuries en matières agricoles

A La Réunion, les acteurs du monde économique ne cachent pas leur inquiétude. Ceux qui se sentent les plus concernés, ce sont les agriculteurs. "Nous sommes très préoccupés par la déstabilisation du marché des céréales" confie Frédéric Vienne, président de la Chambre d'agriculture, alors que l'Ukraine fournit 12% des céréales dans le monde. La tonne a déjà augmenté de six euros depuis le début du conflit.

"Nous risquons également d'avoir des problèmes d'approvisionnement en engrais, La Russie étant un gros fournisseur. Avec les sanctions économiques envisagées, il faut s'attendre à une forte hausse des tarifs des fertilisants."

Pour Frédéric Vienne, c'est surtout une "guerre économique", bien plus que militaire, qui nous menace. "Avec les effets du Covid nous avions déjà d'importants problèmes de fret maritime, avec des tarifs qui ont augmenté de 30% en un an", rappelle-t-il, "il va falloir s'attendre à de nouvelles hausses".

• Le riz a priori épargné, le blé menacé

Si le secteur de l'alimentation locale risque d'être impacté par ces hausses de prix et ces pénuries, la chaîne qui va de l'agriculteur au consommateur étant fragilisée, d'autres denrées importées ne sont pas immédiatement menacées. C'est le cas du riz.

"A ce stade nous n'observons aucun impact sur le marché réunionnais du riz, nos importations provenant exclusivement d'Asie du sud-est, de l'Inde et du Pakistan" rassure Patrick Barjonnet, directeur général de Soboriz. "Le prix du riz devrait aussi être épargné, sauf en cas de gros effet ricochet bien sûr mais le risque semble faible. La matière première menacée c'est surtout le blé mais le blé et le riz, c'est très différent. Nous n'avons pas de boule de cristal mais pour l'instant le marché est préservé."

Norbert Tacoun, boulanger et président de la Fédération Réunionnaise des Artisans Boulangers (FRAB), surveille de près justement le cours du blé. "Pour le moment, nous sommes rassurés en termes d'approvisionnement, puisque nous sommes fournis par la France métropolitaine" rappelle-t-il. A La Réunion, près de 60% du marché local est fourni par la filiale meunière Cogedal  (Compagnie générale d'alimentation). "Mais on suit l'évolution des prix, les courbes risquent de flamber" ajoute-t-il après une réunion avec la confédération nationale ce vendredi.

Si une pénurie est peu probable, une hausse des prix est donc à redouter. Dans un premier temps, La Réunion pourrait ne pas être concernée par ces augmentations, mais prudence. "Si le cours du blé flambe, il y aura des conséquences directes." A noter que la Russie est le premier exportateur mondial de blé.

• Le BTP temporairement protégé par ses stocks

La filière du bâtiment, elle, semble peut-être moins inquiète bien qu'elle ne crie pas victoire trop vite. "Le conflit est éloigné de La Réunion d'un point de vue géographie mais aussi géopolitique, et nos approvisionnements viennent surtout de la Chine ou bien de la Métropole dans la majorité des cas", note Cyrille Rickmounie, président de la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment).

Mais l'Ukraine reste un gros producteur de métaux, d'acier notamment, et sur ce point, l'impact est inévitable. "On va de toute façon avoir un impact mondial, les différents pays vont aussi acheter en masse pour que leurs habitants ne manquent de rien et c'est ça qui va faire monter les prix, automatiquement" estime-t-il.

Le BTP réunionnais reste protégé à ce stade grâce à ses stocks. "Par habitude à La Réunion, à part pour les pièces détachées, on stocke beaucoup du fait de l'insularité et de l'éloignement. Les gros importateurs ont trois à quatre mois de stock" note Cyrille Rickmounie.

Les entreprises comptant sur l'importation n'auraient donc pas (encore) à s'inquiéter mais l'impact pourrait venir plus tard. C'est ce que redoute Didier Fauchard, président du Medef. Si La Réunion n'est pas "à flux tendu comme en Métropole", le stock, lui, n'est pas inépuisable. "On risque de ne pas sentir les effets de la guerre de suite mais cela peut arriver plus tard comme c'est souvent le cas à La Réunion. D'autant plus que l'impact financier sera inévitable : avec cette tendance à surstocker, ça mobilise du cash, tout ça n'est pas gratuit."

• Les coûts de l'énergie bondissent déjà

La Réunion, si elle se trouve bien loin du conflit, risque de souffrir de cette guerre économique par effet ricochet. "On sait qu'il va y avoir des conséquences, des sanctions financières notamment avec une interdiction des transactions avec la Russie, et Poutine qui promet ensuite des conséquences 'encore jamais vues'… La réalité c'est qu'à La Réunion, on ne va pas être impactés en direct, mais quand je vois les bourses chuter, le baril du pétrole qui dépasse 100 dollars… on va avoir des conséquences qui vont ricocher, c'est certain" commente Didier Fauchard.

Avec cette soudaine hausse de l'or noir, le monde économique craint non seulement une flambée continuelle des prix mais une pénurie en pétrole. "Il semble en effet possible que cela (cette guerre, ndlr) génère une flambée des cours du gaz et du pétrole" redoute Gérard Lebon, à la tête du syndicat des stations-service, le SRPP. Le bilan de l'Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) sera un indicateur à suivre de très près.

La Russie est le premier exportateur mondial de gaz. Selon Jean-François Hoarau, professeur des universités en sciences économiques, "si le pays coupe ses exportations, ce sera très compliqué. Les Américains peuvent produire du gaz de schiste, mais plus cher, et dont la production est plus violente pour l'environnement". Pour le pétrole, "tous les yeux vont être rivés sur l'Arabie saoudite, qui reste un partenaire proche de l'occident, mais encore faut-il voir quel sera le comportement du pays si la Russie ferme tout" ajoute-t-il. Le prix du baril de pétrole pourrait atteindre les 130 dollars selon certains spécialistes, du jamais vu.

• Le risque de l'inflation

Selon Jean-François Hoarau, l'augmentation du prix des matières premières est "quasi certaine" et dans le court terme, "alors que nous étions déjà dans un contexte de forte hausse depuis 2020 avec la crise Covid, avec des tensions sur les marchés pour les matières agricoles, les métaux, l'énergie". Avant le conflit russo-ukrainien, les prix avaient déjà atteint des "niveaux historiques", proches de la crise économique de 2007-2008. Avec la guerre en Ukraine, ces niveaux pourraient être largement dépassés.

Conséquence directe : l'inflation. "Elle aura une répercussion sur les prix de détail, avec en bout de chaîne, le consommateur", estime le professeur d'économie. Une envolée des prix, si celle-ci se confirme, est donc possible dès les prochaines semaines. "Les entreprises quant à elles devront faire le choix de maintenir leurs marges et donc d'augmenter le prix de leurs produits, ou bien baisseront leur production, au détriment également des salariés." Un risque lié, donc, le chômage.

Autre effet : les bourses, en train de "dévisser", à savoir chuter. "Même les entreprises du CAC 40 ont affiché des scores négatifs. Les actions perdent de leur valeur, ce qui un impact pour les entreprises dont la capitalisation baisse mais aussi les ménages, pour lesquels la richesse diminue" détaille le professeur. Une crainte : voir un krach boursier du même acabit que les grandes crises économiques qui ont marqué l'Histoire.

Ce bouleversement des finances mondiales peut entraîner un autre effet, sur le long terme cette fois-ci, au niveau de la Banque centrale européenne (BCE). "La banque centrale déteste l'inflation, et peut être menée à décider d'augmenter ses taux directeurs, pour ralentir les crédits et donc stopper cette pression sur l'inflation." L'économie européenne s'en trouverait là aussi profondément ralentie.

La Réunion, bien qu'éloignée, peut souffrir de toutes ces conséquences économiques. "Le ministre de l'Economie se voulait rassurant en disant que la Russie pèse faiblement dans nos importations. Mais ce qu'il a oublié c'est que nous sommes dans une zone économique intégrée, et nous avons notamment des relations avec l'Allemagne ou d'autres pays qui eux, ont des liens plus importants avec la Russie. C'est ce qu'on appelle l'effet de diffusion ou de manière plus technique de 'corrélation des cycles économiques', ça veut dire que la France risque d'être impactée si ça bouge chez un partenaire économique" détaille Jean-François Hoarau.

Derrière tous ces paramètres, le risque d'un nouvel endettement de l'Etat, qui possède des marges de manœuvre "très faibles, voire quasi inexistantes", note le professeur d'économie, alors que notre pays, tout comme l'Europe, se relève à peine de la crise Covid.

mm/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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6 Commentaires
Pierrot974
Pierrot974
2 ans

J'ai entendu dire par de nombreux journalistes que notre pain est essentiellement fait avec du blé ukrainien, et donc que le prix de la baguette va flamber. Pour cela, je fais confiance aux boulangers ! Et on comprend par la même occasion qu'il n'existe sûrement pas d'autres surfaces agricoles en Europe (et surtout en France !!!) pour y faire pousser du blé. C'est magnifique !

Poupette
Poupette
2 ans

A chaque evenement on nous dit qu'il faut serrer la ceinture accepter l'augmentation des prix mais quand on revient à la normale les prix restent pareils !

Batofou974
Batofou974
2 ans

RADIOSCOPIE7 points capitaux et vitaux1° - Pourquoi une radioscopie de la consommation alimentaire et del'agriculture en 2020 à La Réunion 'Les 7 raisons qui nous poussent à communiquer sur les chiffres clés d'une radioscopie actualisée,en plus du fait qu'ils sont importants et inconnus de tout le monde, ce sont :'Les crises à répétition et la nécessité impérative de prendre ses responsabilités pour lesgénérations présentes et futures dans un contexte de crise mondiale et de changementclimatique avéré'L'expérience et la perspective de la pénurie alimentaire à La Réunion'Le risque majeur de l'embargo, de la disette au-delà de la pénurie, de la famine organisée,La Réunion territoire insulaire étant parmi les plus exposés aux risques naturels majeurs'L'affirmation consensuelle de la nécessité de l'autonomie, de l'indépendance, voire de lasouveraineté alimentaire durable (qui se doivent d'être toutes " durables ")'La responsabilité partagée des citoyens, des consommateurs, des décideurs politiques, desagriculteurs p o u r changer de modèle et de système agricole et alimentaire via la" consom'action " (véritable consommation éco-responsable)'Le respect des engagements nationaux conformément à la TRAJECTOIRE 5.0 conçue par legouvernement en avril 2019 dont le Point N°4 est : " zéro polluant agricole "'L'obligation de mettre en oeuvre des moyens appropriés aux objectifs obligatoires de la LoiÉGAlimSur le site du collectif de OASIS RÉUNION en 2020...

Jace fait sa pub gratuite et illégale sur navire échoué
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2 ans

La solidarire nationale et internationale.

Siberoutard
Siberoutard
2 ans

Par solidarité avec les Ukrainiens qui résistent à la mégalomanie de Poutine, nous pouvons bien nous serrer la ceinture.

Selly quelle déception
Selly quelle déception
2 ans

Il y aura des répercussions. On fait de la politique pour défendre son peuple ou défendre ses indemnités '